Raconter la mort du père… « Il faut tout nous dire »

Raconter la mort du père, la mort de la mère par les ressources de la littérature, de ce qu’elle procure à la fois comme distance et comme concentration, beaucoup ont tenté de le faire, peu y sont parvenus. François Mary, dans son dernier ouvrage, Père, y réussit parfaitement. Il y a chez lui, à le lire, non seulement un goût profond pour l’écriture mais aussi une extrême attention aux êtres et aux choses qui l’entourent, une vraie sensibilité, une authentique humanité qui le rapproche par exemple d’un Gustave Roud, avec un sens du tragique, de l’irrémédiable, comme dans l’évocation -admirable à tout point de vue- de la mort du jeune chat.

Le livre réunit deux textes de nature différente. Le premier, en italique, a été écrit dans une sorte d’urgence, juste après la mort du père. Le second, intitulé « Notations », est plus tardif et regroupe des « souvenirs morcelés » qui n’avaient pas trouvé leur place dans le premier. Ce n’est donc pas une redite mais plutôt un changement de focale, ce second texte s’élargissant aux figures des grands-parents et donnant ainsi aux parents, ainsi qu’au fils, une dimension familiale, une assise dans le temps.

Les deux textes diffèrent également par leur forme. Le premier se compose d’une succession de très courts chapitres, d’une page le plus souvent, dont le titre indique la teneur : « Leurs mains, Choses aimées, En réanimation, Ta mort en face, Mauvais fils, Le chemin ensemble, La douleur ». Ce sont autant de jalons sur la route de celui qui fait l’expérience de la perte, en l’occurrence de ses parents à trois ans d’intervalle. Le second texte, moins scandé, plus fluide, est constitué de brefs paragraphes se succédant les uns aux autres en continu, et que viennent émailler vers la fin plusieurs citations d’auteurs : Georges Haldas, Patrice Delbourg, Pierre Guyotat, Léon-Paul Fargue, Philippe Besson, Marina Tsvetaeva.

Si c’est bien ici la mort du père qui est l’objet principal du livre, c’est pourtant celle de la mère qui en fait l’ouverture. Passer par la mère morte pour renouer avec le père, c’est vouloir dire que les deux sont liés, que l’homme dans le père ne se révèle au fils qu’à la mort de la mère. Les trois ans durant lesquels il lui survivra seront l’occasion pour le père et le fils d’apprendre à se connaître. C’est là le vrai sujet du livre, que François Mary aborde avec délicatesse, par petites touches, subtilement. Tout réside ici dans les détails de l’observation, la finesse des sensations et des sentiments. Sans aucune lourdeur ni tricherie. Car la révélation joue dans les deux sens. Révélation de l’homme dans le père pour le fils, on l’a dit, et révélation du fils homosexuel pour le père. Il n’y a plus temps pour les faux-semblants. À la moindre occasion, le père répète au fils qu’« il faut tout nous dire ».

Élargie à d’autres souvenirs et aux ascendants paternel et maternel, la partie « Notations » englobe en quelque sorte le noyau premier de la relation père / fils pour mieux y retourner, d’une autre manière, tout aussi bouleversante. Ainsi ne se découvre qu’à la toute dernière ligne du livre ce qui symbolise peut-être l’intimité d’un père, ce qui en signe l’accès, en tout cas entre lui et son fils : son prénom.

André SAGNE

François Mary est notamment l’auteur de deux récits et de plusieurs livres d’artiste, seul ou en collectif. Il a également rassemblé des dossiers sur plusieurs autres poètes pour la revue des éditions Plein Chant.

Père, François Mary, éditions Plein Chant, 2018, 74 p. 10 euros

L’ADIEU À MOUSTAPHA de Phiippe Vallois, 2019, vu en primeur

« Le cinéma trop secret de Philippe Vallois est (…) habité de fantômes, de beaux fantômes de chair et de désir, qui ne hantent pas mais qui accompagnent. Des fantômes incroyablement vivants, solaires, sexués, sans contraintes ni tabous, à l’image des films eux-mêmes. Affranchis. Différents. Uniques en leur genre. En cela infiniment attachants. (…) Comme autant d’autoportraits en forme de kaléidoscope. »

Didier Roth-Bettoni clôt sur ces lignes le livre qu’il a consacré à ce singulier cinéaste, paru chez ErosOnyx éditions en 2016. Pas de meilleur guide pour entrer dans le dernier film de Vallois qui sera présenté au festival Chéris-Chéries, au cinéma MK2 Beaubourg, le vendredi 22 novembre 2019 à 15 h 40 : L’Adieu à Moustapha, séance suivie d’une rencontre avec le metteur en scène.

Ce film, c’est d’abord une fantasmagorie baroque à voir au moins deux fois pour en démêler les fils, une drôle d’histoire d’amour entre deux gigolos, un de soixante-dix ans et toujours appétissant, l’autre en pleine verdeur, et une drôle d’histoire de cinéma entre deux films, l’un sur le tournage et l’autre sur le résultat qui n’arrive à voir le jour que par l’incroyable virtuosité technique et narrative de Vallois, un numéro de prestidigitateur numérique ! Rien de convenu dans L’Adieu à Moustapha. Toujours, signature de l’univers valloisien, ce chassé-croisé du cœur et du cerveau, de la réalité et de l’imagination. Le vrai accouche d’un faux qui nous séduit et nous fait nous poser l’éternelle question : nos plus belles histoires d’amour ne doivent-elles pas se terminer par un film à nous faire dans la tête ?

Imbroglio de sexe, de suspense et d’émotion. Chez Vallois, les gigolos ont de l’humour et du cœur, se cherchent, se fuient et se tourmentent comme des amants. Francis, incarné par un Vallois portant perruque, ex-gigolo, s’est épris de Sofiane, gigolo beur en pleine fleur, gigolo pas comme les autres, honnête et voyou à la fois, « fantôme de chair et de désir » justement. Le fuyant gigolo Sofiane a une histoire que Francis veut connaître, un passé d’humiliation par des patrons sordides ; il essaie de s’en sortir par ses charmes. Un gigolo mystérieux, à la fois garnement et gouape, devenu l’ami de son client qui voudrait l’aider à avoir des papiers pour rester en France. Il séduit autant par sa dégaine que par sa verve dont on avait eu un échantillon dans Le Bagage ultime, film précédent de Vallois. Il a une tchatche aussi désopilante que les plans cul vrais ou faux qu’il aime raconter, aussi déboussolante que sa… matraque, un accent aussi épicé que sont longues ses dents de jeune loup.

Lui-même mirage complexe, Sofiane a aussi des troubles et cauchemars hallucinants de « drogueur », pour reprendre un de ses mots. Coup de théâtre ! Sofiane se révèle bien plus chercheur de trésors que de passes. Sans doute a-t-il fouillé (après quelle crapulerie ?) dans les secrets d’un client collectionneur de joyaux archéologiques et depuis, il rêve de poêle à frire (oui, j’ai bien écrit « poêle à frire », comprenne qui verra le film !) comme on rêve de baguette magique Le voilà entraînant Francis dans sa quête. Détection éprouvante, car cet ange brun, spécialiste du masque de beauté (voyez le film pour comprendre !) , sent le soufre, toujours entre deux cauchemars de chat noir ou de cadavre qui le hantent. Déjà, dans le deuxième long métrage du cinéaste sorti en 1976, Johan, carnet intime d’un homosexuel, Vallois était la proie d’une autre gouape, obscur objet du désir que l’on ne voyait jamais pour la simple raison qu’il était sous les verrous, et ce fantôme d’amour s’incarnait dans le film en un portrait éclaté de beaux gars, nimbés de sable dans une arène de lutteurs ou d’un nuage de talc dans un loft devenu dancing kitsch et lupanar proustien… L’atout majeur de Sofiane, dans ce nouveau film, n’est-il pas, comme pour Johan, son art d’apparaître et de disparaître comme un djinn de contes d’Orient ? Jusqu’où peut-on aller pour une telle énigme ? Il est vrai qu’il faut aussi compter avec lui sur un autre sortilège, la présence du mystérieux Moustapha qui fait de chacune de ses apparitions un plan à trois…

On aura compris que Vallois nous entraîne ici dans un de ces nouveaux voyages espiègles dont il a le secret, avec des motifs entrelacés de désir et de mort qui rôdent depuis Haltéroflic (1983) ou de puzzle policier comme dans L’Énigme des sables (1987)… Et si le charme fonctionne, ce n’est pas seulement parce qu’on est tenu en haleine par les fils entrecroisés d’une intrigue savante jusqu’au casse-tête, c’est aussi par les inventions cinématographiques de ce qu’il faut bien appeler le style du cinéaste. Alternance rigoureuse de la couleur et du noir et blanc pour passer du réel à la fiction, décor filmé sur fond vert pour y incruster les personnages et nous griser d’illusion puisque Sofiane est trop beau pour ne pas filer comme un éclair avant la fin du tournage : il faut donc jongler pour que le spectateur se croie tour à tour à Paris, dans une forêt et un gîte de Bourgogne, découper les silhouettes et les mettre sur fond de paysage urbain ou champêtre (on sait que Vallois s’est toujours senti appartenir aux deux univers), reconstituer la voix de Sofiane pour des répliques non enregistrées, recourir à des ombres chinoises, laisser parfois en noir son visage dans la cagoule, offrir aux spectateurs des mirages de cinéma, des iris de chat d’un vert phosphorescent dans le noir et blanc, une scène de sodomie tendre et brutale qui passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, une haie feuillue incrustée sur une toile vivante qu’on plie et replie comme un drap des mille et une nuits… On n’a pas oublié la myriade d’images vivantes de l’album cinématographique tourné en 1984 en hommage à Huguette Spengler, avec Huguette Spengler, ma patrie la nébuleuse du rêve… Il y a de l’artisan Méliès dans la lanterne numérique de la caméra de Vallois, technique dont il essaie patiemment tous les tours et détours, toutes les astuces, comme un enfant, avec des ciseaux et un pot de colle, peut parvenir à un véritable kaléidoscope ! On peut voir L’Adieu à Moustapha comme une déclaration d’amour kaléidoscopique à une belle gouape filante.

Dans le cinéma astucieux de Vallois, homme orchestre de la technique, jusqu’au bout il y aura de la vie, du sexe, de l’amitié fidèle et des couples funambules. Une amie-fée, mi-Gelsomina mi-Louise Brooks, Anne tantôt blonde et tantôt brune, prononce émerveillée les prénoms associés de Francis et Sofiane. Vallois incarne le septième ciel renouvelé de chaque saison de la vie : « Arrivé à la retraite, c’est bon de s’abandonner au plaisir de l’autre ». Et il y a ses mots à son ami Juan l’Argentin, victime d’un AVC dont il se relève « confondu » mais debout, vêtu de rouge et toujours noble de visage. Juan le remercie de lui avoir lavé les slips durant son long séjour à l’hôpital. Ils réveillent ensemble près de cinquante ans de souvenirs et Philippe de le tancer quand il trouve que Juan parle trop de la mort : « Pense à la vie, pense à l’instant ! ». Philippe Vallois, « l’homme qui aimait les hommes » les aime toujours, réinvente la vie à coup de « cinéthérapie » et transmute ses deuils les plus intimes à chacun de ses films de cinémagicien.

Pierre Lacroix, novembre 2019

Le Monde-Le Monde des Livres, vendredi 18 octobre 2019, p. 4

« À la lecture des sonnets et chansons de Renée Vivien (1877-1909), on est frappé par la musicalité et fluidité de la langue, la subtilité ds couleurs et des émotions. Pas étonnant que Pauline Paris s’en soit emparée pour proposer la brève anthologie d’une œuvre dont elle déjoue avec habileté le fond sombre, voire désespéré, pour en saisir l’ardeur.

Si les deux titres de cette sélection appartiennent à trois recueils, Études et Préludes (1901), Cendres et Poussières (1902) et À l’heure des mains jointes (1906), c’est sur un fragment de Sapho qui adapte les vers de l’antique poète de Lesbos, « Prolonge la nuit », que se ferme le recueil illustré par Élisa Frantz. Son autoportrait dit mieux que tout l’allégresse et la vitalité dune âme à l’irrépressible sensualité.»

Philippe-Jean CATINCHI

FRANCOFANS est un bimestriel de la scène francophone

Dans FrancoFans, le bimestriel indé de la scène francophone, n°79, Annie Claire Hilga signale Treize poèmes de Renée Vivien mis en musique et chantés par Pauline Paris. Elle relève l’introduction « Des pieds et des notes », signée Hélène Hazera, de ce recueil de poèmes « judicieusement choisis », écrit-elle, qui « reflètent la liberté de l’auteur sur fond d’amours saphiques » et évitent « le trop-plein de spleen ».

Estimant le projet « audacieux », elle le trouve « parfaitement réussi » parce qu’ainsi « les deux Pauline se retrouvent en phase » (rappelons que le prénom de naissance de Renée Vivien était aussi Pauline).

Dans « Nos Enchanteurs » Michel Kemper écrit sur « Treize Poèmes »

Nos Enchanteurs – Pauline Paris (photo non créditée tirée de son site)

Ce qui est bien avec ces prévisions alarmistes sur le déclin du CD, c’est que pour exister encore, pour le mériter, nos amis les artistes rivalisent d’imagination, de créativité, de talent, pour donner à ce support laser finissant un attrait supplémentaire, une légitimité nouvelle. Fini ces lasers sans âme dupliqués à l’infini, voici le temps de l’objet d’art, d’un disque-désir.
Parlons justement de désir. De ces Treize poèmes de Renée Vivien, que retenir en premier, comment le définir ? C’est un livre manifestement, certes de peu de pages, mais un livre, amoureusement mis en pages (mis en images par Elisa Frantz, introduit par Hélène Hazera, présenté par Nicole G. Albert), sobre typo et couverture dont on ne cesserait de caresser le lisse du papier. C’est un disque, aussi (et surtout ?), le nouvel album de la parisienne Pauline Paris, qui met ici en musique ces poèmes de Renée Vivien. A vous de décider si vous rangez cet opus dans les rayonnages de votre bibliothèque, ou ceux de votre discothèque.
« Toi qui fus, par les soirs d’été / Ma maîtresse et ma Volupté / L’ardeur du baiser t’abandonne… / Ah ! Les violettes d’automne ! » Renée Vivien ? Une des « scandaleuses de la littérature », « Muse aux violettes » digne héritière de Sappho de Lesbos, qui mit en vers et contre tous la passion des amantes. A la première personne, ses vers mêlent sans fard poésie et saphisme. « Née à Londres en 1877, Renée Vivien développe une œuvre prolifique d’inspiration classique et helléniste, doublée d’une esthétique symboliste. Durant sa courte vie – elle meurt à Paris à l’âge de 32 ans, il y a cent-dix ans – elle publie neuf recueils de poèmes, parcourus de passions et d’extases, de muses voluptueuses et révoltées ». « Et tu passes, ô Bien-Aimée / Dans le frémissement de l’air / Mon âme est toute parfumée / Des roses blanches de ta chair ».
Des amours lesbiens portés par une douce musique, faite de cordes et de harpe ? Que nenni, mais un choix de musiques qui parfois font fanfare, pétante, colorée, pour le moins dynamique. Parfois jazzy, qui caresse l’épiderme. Parfois presque valse, qui entre en danse. Et délicieux slows funèbres et bossa langoureuse, ballades folk… On n’a pas tiré pudiquement les rideaux sur ces déclarations d’amour de femme à femme : elles sont exposées comme on le ferait sur un kiosque à musique. C’est pas mis « réservé à un public averti » : ce ne sont après tout que des sentiments, des émotions dans la couche de leur poésie, rien que de très normal. Si ce n’est qu’ils nous encourageraient presque au désir… « Tu viens troubler les fiers desseins / Par des effluves de caresses / Et l’enchevêtrement des tresses / Sur les frissons ailés de tes seins » Est-ce bien ? Oui, c’est un très bel album, délicieux.
Suivra le mois prochain (le 22 novembre précisément), un autre ouvrage, livre écrit par Pauline Paris et Léa Lootgieter, retraçant « l’histoire de quarante chansons cryptées – lesbiennes – de la complicité de leurs paroliers et parolières et de leurs interprètes, aux cabarets et aux clips, de la réception par la critique à l’accueil du public… qui ne sait pas toujours ce qu’il fredonne » (aux éditions iXe).

Pauline Paris, Treize poèmes (de Renée Vivien), livre-CD, éditions ErosOnyx 2019. Le site de Pauline Paris, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.

http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2019/10/08/pauline-paris-amours-lesbiens-est-ce-bien/

[//]

Le 8 novembre 2019, à 19 heures, rencontre aux Mots à la Bouche autour de « Treize poèmes » de Renée Vivien.

Une fois n’étant pas coutume, la rencontre avec Pauline PARIS se fera aussi en musique, puisque Pauline chantera quelques-uns des poèmes de Renée Vivien qu’elle a mis en musique et que l’on peut trouver publiés dans un joli petit recueil illustré par Élisa FRANTZ.

Élisa sera présente ainsi que Duncan ROBERTS auteur de la prise de son, du mixage, des arrangements et directeur artistique avec Pauline.

Le recueil comporte le CD des treize chansons publié en collaboration avec Quart de lune. Les titres de ce CD sont également disponibles sur les plateformes légales de téléchargement et de streaming.

Voir www.quartdelune.com et www.paulineparis.com

Élisa est une artiste, croqueuse non de diamants, mais de portraits. Sans doute croquera-t-elle sa complice Pauline, mais aussi quelques autres dans l’assistance !

Les éditeurs d’EO seront là aussi, mais auront à cœur de laisser d’abord parler nos artistes. N’oublions pas l’auteure de la présentation du recueil, Nicole G. ALBERT, « De la musique avant toute chose, Pauline chante Renée ».

Il faut préciser pour être complet que la page d’ouverture de Treize poèmes est d’Hélène HAZERA. La comptera-t-on parmi nous ?

Le 8 novembre donc, à 19 heures, aux Mots à la Bouche.

À voir : « PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU » de CÉLINE SCIAMMA

Tout ici est vibration. Vibration de la lumière, des matières, des couleurs, des chairs. Vibration des sentiments aussi et des mots qui les portent entre Marianne, la peintre chargée de faire son portrait et Héloïse, promise à un mari lointain. Un instant suspendu dans la vie des deux femmes que leur rencontre sur ce qui s’apparente à une île, au château de la comtesse, la mère d’Héloïse qui a arrangé le futur mariage et commandité le portrait, avec, circulant entre elles, Sophie, la jeune servante. Dès le départ, tout est encadré, on aimerait dire enchâssé. La commande et ses difficultés, le lent apprivoisement du modèle et de son portraitiste, l’épanouissement de l’amour qui se sait perdu d’avance et la séparation. Si révolte il y a, elle est dans les esprits.

En effet, l’époque du film, le dix-huitième siècle, n’est aucunement l’occasion de déployer costumes et décors « historiques ». C’est plutôt l’esprit des Lumières qui souffle et anime le trio de femmes, la comtesse en retrait figurant l’autorité ou plutôt le relais de l’autorité masculine. Les dialogues sont à ce titre la pierre angulaire de l’histoire, ce sont eux qui la font avancer. Il y a là quelque chose de cérébral, d’intellectuel sans être sec, car la sensibilité, la sensualité ne sont jamais loin. La raison n’exclut pas l’amour en ce sens qu’elle est elle-même libératrice, qu’elle permet de comprendre la domination et de s’en délivrer, de se réapproprier son corps, comme le montre l’épisode de l’avortement. Et ce que l’on voit se créer à l’écran n’est rien d’autre qu’une utopie en marche, celle d’une société de femmes qui serait aussi une société égalitaire où Sophie fait jeu égal avec sa maîtresse et discute librement avec elle et Marianne de l’interprétation à donner du mythe d’Orphée et d’Eurydice, qui est l’une des clefs du film.
Aucun homme n’apparaît si ce n’est aux marges, au début et à la fin, et encore comme figurants, pratiquement muets. Délivrées temporairement de leur assujettissement, les trois femmes vivent pleinement leur liberté, Sophie en refusant la grossesse, Marianne et Héloïse en laissant le feu de la passion les gagner et les consumer. C’est cette expérience-là, celle d’une existence voulue, désirée, dans une authenticité d’être, par-delà les conventions, les obligations, les contraintes imposées aux femmes comme à toutes les minorités par la société pour ne pas en perturber l’ordre patriarcal, que donne à voir Céline Sciamma.

Elle le fait à sa manière subtile en interrogeant également, dans une mise en abîme cinématographique puisque nous aussi, spectateurs, regardons la peintre regarder, ce que c’est que de faire un portrait en peinture et en liant de facto cette question du regard à celle de la liberté. Que faisons-nous quand nous regardons une personne ? Et elle-même, comment réagit-elle à ce regard porté sur elle ? Y-a-t-il pression, influence, possession, vol de l’image ? Et dans le cas du portrait ? Un lien s’établit, une interaction : Héloïse ne manque pas de le faire remarquer à Marianne. Le modèle n’est pas un sujet passif. Et le carcan du portrait éclate quand les deux femmes rentrent en profonde connivence. Elles en sont toutes les deux l’auteur car le regard a changé de nature. De professionnel, presque froid au début, méticuleux, il devient, à mesure que la connaissance de chacune sur l’autre progresse, empathique, tendre, amoureux. Partagé. Ce n’est qu’à l’achèvement du portrait que le fil se rompt mais alors tout se précipite. Le tableau est emporté par un domestique homme et on le ressent comme un rapt. Héloïse tout à coup privée de son image est plongée dans une sorte d’absence en dépit d’une présence physique qui n’est plus que fugace.
Le précipice est ouvert. L’inéluctable s’accomplit. Héloïse part vers son destin d’épouse et les deux femmes se quittent pour toujours. Seule la mémoire conserve le feu de ces semaines passées ensemble, ce tumulte et cette passion libératrice que la musique de Vivaldi sublime. Malgré les larmes, aucun regret, aucun remords.

André SAGNE

Quand la littérature bouleverse la vie des…

Quand la littérature bouleverse la vie des LGBT++ !

Un concours de courts-métrages proposé par l’association Bulle Production en partenariat avec le Centre LGBT Paris-ÎdF, pinkX, pinkFlix, Docfilmdepot & les éditions ErosOnyx.

Date de clôture de l’appel et de réception des films, le 7 septembre 2019.

Le Centre LGBT Paris Île-de-France invite les 7 grands moments de Désirs/Plaisirs de BULLE PRODUCTION le 22 juin à 19h30 !

10 Grands Moments de Littérature
Un concours de courts-métrages proposé par l’association Bulle Production avec le Centre Lesbien, Gay, Bi et Trans de Paris et Ile-de-France, pink TV, pinkX, pinkFlix, DOCFILMDEPOT & les éditions ErosOnyx.

QUAND LA LITTÉRATURE BOULEVERSE NOS VIES…

La littérature – au détour d’un livre, de la rencontre avec une oeuvre, un(e) auteur(e) – peut-elle bouleverser une vie?

La littérature agit sur la vie intime par sa puissance d’évocation, de formation et d’initiation. La littérature
imprègne et forme l’individu, et peut-être plus encore la personne Lesbienne, Gay, Bi, Trans et +++. Elle peut apprendre à s’assumer, à penser, que l’on soit auteur(e) d’oeuvres ou simple lectrice/eur. La littérature transforme la vie en aiguisant l’esprit critique du/de la lecteur/lectrice, en lui permettant de développer son point de vue et de poser un regard différent et critique sur le monde. La littérature nourrit un cheminement qui aide à sortir de la naïveté de l’enfance, à échapper à la violence de l’adolescence !

Les œuvres des écrivains des Lumières ont façonné la Révolution Française. On peut considérer que des femmes-écrivains comme Mme de Staël ou George Sand ont influencé les luttes féministes du 20ème siècle et ont ainsi contribué à l’évolution de la condition des femmes.

L’épidémie de SIDA qui voit le jour au début des années 80 constitue le thème principal ou secondaire d’une multitude de romans, récits, journaux, témoignages. L’écriture ou la lecture ont forgé le combat et la résistance face à la maladie ; ils ont pu être un moyen de partager la souffrance, de toucher l’autre.. Nous pensons à Armistead Maupin, Hervé Guibert, Cyril Collard, …

La littérature est l’occasion de tout déballer. de se révéler, au risque de tout perdre comme pour les personnes transgenres, avec ce besoin de témoigner, d’une souffrance d’un corps, d’un décalage social, …

La littérature est évasion, émancipation ; elle permet de rêver voire de croire à un monde meilleur. L’écrit a pu devenir un support de réflexions et d’aventures imaginaires. L’œuvre littéraire bouleverse durablement les idées, les fantasmes en s’enracinant dans notre monde intérieur. Elle nous pénètre, s’installe ; elle nous perturbe encore et nous transforme…

Qui n’a pas soupiré auprès de Romeo ou Juliette, tremblé avec Harry Potter ou fantasmé sur Tarzan ou Jane ?

C’est pourquoi l’équipe de Bulle Production se pose la question de l’impact de la littérature dans nos vies de personnes LGBTIQ, comme lectrices/teurs, ou comme auteur(e)s ; de ce que la littérature travaille en nous, de ce qu’elle transforme durablement, intimement dans nos existences…

Racontez-nous, et partagez, à travers la réalisation d’un film court ( fiction, documentaire, expérimental,
film »fait à la maison » ) voire à travers l’adaptation d’une courte œuvre littéraire (nouvelles, romans, poèmes, lettres,…) ce que la littérature a changé en vous….

LE JURY
La Marraine et Présidente du jury de ce nouvel appel à films est Anne Delabre, Journaliste et écrivaine française.

A ses côtés, Chriss Lag (Réalisatrice), Corentin Sénéchal (Producteur), Françoise Romand (Réalisatrice), Marame Kane (Secrétaire Générale Centre LGBT Paris), Frédérique Ros (Productrice) & Laurent Hérou (Écrivain).

Télécharger le dossier de présentation de l’appel à films 10 Grands Moments de Littérature !

CONTACTS BULLE PRODUCTION
Maria SALVATTI
Référante Appel à Films

Fabien BEHAR
Référant Appel à Films

Sylvie NAJOSKY
Responsable programmation et inclusion

Après le Salon de printemps de L’Autre Livre

Le Salon s’est fort bien passé. Le stand d’ErosOnyx éditions était fort bien placé, sous la verrière du Palais de la Femme.

Il a reçu de nombreuses visites, amis et curieux. Renée Vivien et Kouzmine ont surtout attiré l’attention, puisque c’est pendant le Salon que sortait Chansons d’Alexandrie du second et que nous avons pu annoncer aux fidèles de la poétesse qu’à la fin de l’année
devrait sortir un livre avec CD Treize poèmes mis en musique et chantés par Pauline Paris.
Avec une présentation de Nicole G. Albert et des dessins d’Élisa Frantz. L’idée a vu le jour lors de la matinée qui s’est tenue le 11 novembre 2018 à la librairie Violette & Co « Au tour de Renée Vivien ».
Pauline Paris y chantait du Vivien pendant qu’Élisa Frantz, qui a dessiné l’affiche de l’événement, y croquait le public.