ANTINOÜS DE PESSOA LU PAR « LA CAUSE LITTÉRAIRE »

Nous sommes en 130 apr. J.-C. L’empereur romain Hadrien veille son amant et favori Antinoüs qui vient de se noyer dans le Nil à l’âge de vingt ans. C’est un fait historique, repris notamment par Marguerite Yourcenar dans ses célèbres Mémoires d’Hadrien, et par d’autres auteurs et poètes comme Oscar Wilde, Yukio Mishima, Rainer Maria Rilke, Federico García Lorca ou Mutsuo Takahashi. L’un des plus grands poètes portugais de l’époque moderne, Fernando Pessoa, a lui aussi repris cette figure dans un long poème écrit en anglais, intitulé « Antinoüs ».

Les éditions ErosOnyx nous en proposent aujourd’hui une version bilingue accompagnée d’une note et d’une postface (d’Anibal Frias), spécialiste de Pessoa, dans une présentation soignée comme elles en ont l’habitude. Il en existait jusqu’à présent trois traductions en français, assurées respectivement par Armand Guibert, Patrick Quillier et Georges Thinès. Celle que nous lisons ici, œuvre d’Yvan Quintin, s’en démarque par le choix d’une traduction en vers, passant de l’original anglais (le vers anglais le plus fréquent étant le pentamètre iambique de cinq pieds) aux douze pieds français de l’alexandrin. Sans aller cependant jusqu’à la recherche de la rime, il s’agit, pour le traducteur, de mieux rendre la dimension poétique du texte de Pessoa, écrit, difficulté supplémentaire, dans un anglais élisabéthain, en usant de l’équivalent métrique le plus courant en français.

Ces quelques précisions donnent déjà une idée de la nature du texte. Il est tout sauf naturaliste ou factuel. C’est au contraire à une succession de masques que nous avons affaire. Par la langue choisie, un anglais des XVIème et XVIIème siècles, par le temps historique considéré, qui est celui du deuxième siècle après Jésus-Christ, par le locuteur désigné qui n’est autre que l’empereur lui-même, cédant parfois la place à un commentateur extérieur (l’auteur ou plutôt l’équivalent du chœur antique), Fernando Pessoa, poète portugais du vingtième siècle, ne semble s’effacer par une distanciation assumée que pour mieux exprimer, plus librement sans doute, ce qu’il veut dire, à moins qu’il ne s’agisse d’un nouveau masque tendu au lecteur, lui qui a tant joué de ses hétéronymes.

Nous sommes en 130 apr. J.-C. L’empereur romain Hadrien veille son amant et favori Antinoüs qui vient de se noyer dans le Nil à l’âge de vingt ans. C’est un fait historique, repris notamment par Marguerite Yourcenar dans ses célèbres Mémoires d’Hadrien, et par d’autres auteurs et poètes comme Oscar Wilde, Yukio Mishima, Rainer Maria Rilke, Federico García Lorca ou Mutsuo Takahashi. L’un des plus grands poètes portugais de l’époque moderne, Fernando Pessoa, a lui aussi repris cette figure dans un long poème écrit en anglais, intitulé « Antinoüs ».

[…]

Fernando Pessoa est l’auteur d’une œuvre phare, protéiforme, non encore formellement close, traversée de multiples significations dont la moindre n’est pas de surplomber la notion même d’auteur par le recours à des hétéronymes qui sont autant de moi superposés. Christian Bourgois Éditeur en a publié l’essentiel en 9 volumes à la fin des années 1980 avant l’édition de la Pléiade chez Gallimard au début des années 2000.

Luc-André Sagne

Ce livre a reçu un coup de cœur de la librairie Gallimard, début décembre 2022, avec le commentaire suivant : « Une poésie charnelle, sublime, brûlante ! »

SI MI LA RÉ…

   Hommage à Barbara

de Stéphane Loisy et Baptiste Vignol (Gründ, 2017)

Il faut les ouvrir, les savourer lentement, les garder longtemps en bouche pour les laisser agir, des livres comme celui-là. Avec l’apparence de la chronologie, ça vous a un feuilletage qui enlève toute sécheresse rectiligne. Ça pèse un lingot, comme les albums cadeaux des Noëls d’antan, ça crache du rose en couverture, du rose qui semble détoner pour une Barbara qu’on voit plutôt en rouge et noir, en mauve et noir, avec une photo naturelle et inédite de l’artiste en herbe, loin des portraits sophistiqués qu’on aime mais qu’on a déjà vus, ça vous colle au fil des pages un amour neuf, approfondi, de Barbara et ça le fait scrupuleusement, délicatement, passionnément.

                                             Scrupuleusement

Il a raison, Bernard Serf, neveu de la chanteuse, d’écrire en avant-propos : « C’est clair, intelligent, bien documenté, parfois irrévérencieux, jamais flagorneur, toujours avisé ». Il sait qu’un vrai portrait amoureux n’est jamais un portrait flatté, jamais un embaumement thuriféraire ! Faut que ça vive, un livre de souvenirs et d’hommages, que ça ne sente pas le rance du déjà lu !  Pas de copier-coller d’un article du Web qui se voudrait exhaustif et qui se révèle une accumulation indigeste semée d’oublis. Le livre se veut une nouvelle approche de Barbara. Stéphane Loisy, de son côté, prend le temps de signer çà et là des esquisses d’artistes qui ont beaucoup compté pour la chanteuse et que le Web néglige : « Notre époque est merveilleuse puisque Internet fait office de mémoire collective normée et imposée. Elle recense un grand nombre d’informations en tout genre sur tout et n’importe quoi. Elle omet souvent, par contre, de parler des êtres humains et d’établir une cohérence pour des personnages libres et géniaux ». C’est ainsi qu’il convoque dans ce livre la mémoire de camarades magnifiques et rarement mentionnés, dans la vie de Barbara, comme Remo Forlani, Jean-Jacques Debout, William Sheller, Étienne Roda-Gil et Jeanne Moreau. Il n’oublie pas non plus la carrière cinématographique de la chanteuse, avec deux films trop injustement effacés de sa carrière, Frantz tourné en 1971 par l’ami Jacques Brel et L’oiseau rare en 1973 par l’ami Jean-Claude Brialy. Quant à Gérard Depardieu, il a droit à un éclairage des plus subtils. Le livre ici chroniqué paraît vingt ans après la mort de Barbara. Or, cette année-là, en 2017, Depardieu, devenu ogre sulfureux, mis à l’écart par ses débordements de poids, de gueule et de positions politiques ahurissantes chez le libertaire qu’il fut, Depardieu dit, susurre, fredonne, chante Barbara, piano-voix, en studio et dans le rouge et le noir des Bouffes du Nord. Serait-il interdit d’y voir la complicité retrouvée de Lily Passion, trente ans après, comme une « virilité domptée », comme une bulle de purification ?

Pour Baptiste Vignol, la démarche est aussi scrupuleuse. Commentaires personnels, citations de la chanteuse et de toutes les plumes qui ont déjà esquissé son portrait avant 2017,  sont  inextricablement réunis, avec un parti pris de notes aériennes en bas de page, à peine visibles, comme si le livre ne trouvait sa singularité qu’en s’étant discrètement nourri de ces sources multiples. Un livre érudit donc mais novateur aussi, riche de photos et  d’éléments qu’un fan qui se croyait pourtant peu profane voit et lit ici pour la première fois. Pour le plaisir de la lecture, nous serons, dans cet article, moins méticuleux que les auteurs de citer toutes les sources. Le plaisir a besoin de se libérer de certaines chaînes. Que les auteurs nous le pardonnent !

Il sait, Baptiste Vignol, que les vrais amoureux aiment que leurs stars ne soient pas des déesses ou des dieux. Pas de portrait d’amour sans irrévérence, comme l’annonçait Bernard Serf. Pas d’amoureux, même aveugle, qui ne sache que l’autre a les qualités de ses défauts et les défauts de ses qualités. On apprend, par exemple, que travailler pour Barbara, après le succès enfin là avec le récital de Bobino en 1967, n’est pas une sinécure. Autoritaire, coléreuse, imprévisible, elle usait ses collaborateurs. Se mettre à son service, c’était renoncer à sa vie privée. Françoise Lo et Marie Chaix, ses secrétaires, n’ont pu tenir longtemps à ce régime dont l’envers est la quête de perfection dans chaque détail de ses spectacles : orchestrations, décors, éclairages, costumes, tout est une cérémonie où la chanteuse s’avance parée et mise en lumière comme un toréador ! Roland Romanelli, un de ses accordéonistes les plus célèbres, remercié alors qu’il donnait son avis sur la préparation de Lily Passion, la dit aussi généreuse que cruelle.

Autre paradoxe qui constitue Barbara, son rapport avec l’argent. Son enfance et sa jeunesse ont connu les privations et le pain sec de la  vie d’artiste. Avec le succès dans les années soixante, ce fut la soif insatiable du luxe et des élégances jusqu’à l’ivresse des parfums de Guerlain, le Marienbad aristo de la plaisance, la munificence des mendiantes devenus princesses, contraintes d’engager un agent-comptable pour payer leurs impôts et faire que l’or ne se fonde dans leur mains comme dans un creuset. Alors qu’elle cherche un metteur en scène pour le spectacle Madame en 1969, elle rencontre Roger Blin et ne donne pas suite parce qu’il portait ce jour-là des tennis. Or, la même Barbara vibre à toutes les détresses du monde. Elle écrit en 1986 une chanson Les enfants de novembre  pour Malik Oussekine, tombé à 22 ans sous les coups des forces de l’ordre du ministre Pasqua. Elle est capable d’imposer des billets au prix très abordable pour son spectacle de Pantin en 1981, d’aller gratuitement chanter pour des prisonniers et des malades du sida qui meurent seuls dans les hôpitaux. À la mort de François Mitterrand dont elle a soutenu la candidature en 1981 et 1988 et qui l’a décorée de la légion d’honneur en 1988, elle déplore que le socialisme au pouvoir en soit venu à vivre enfermé dans un autre monde et coupé de la réalité des gens : « Le pouvoir rend fou ». Sans être descendue dans la rue, Barbara s’est toujours vécue, dans son quotidien et dans  nombre de ses chansons, comme une femme de combat, et ce combat, de son vivant, s’est appelé de Gauche.

Parmi les paradoxes, il en est un, secret et tout aussi éloquent, scrupuleusement évoqué : l’amour du vagabondage de sa vie de saltimbanque et le besoin de trouver un nid pour s’y ressourcer et y mourir un jour. À 43 ans, la petite fille des Batignolles achète la maison de Précy-sur-Marne, à 37 kilomètres de Paris. Elle y aménage une grange qui devient « grange aux loups » avec salle de répétition, piano, scène et sono. La bourlingueuse de théâtre en théâtre veut aussi se poser pour trouver calme et volupté dans une maison de pierre et son jardin. Elle s’épuise en se donnant à son public sur scène et a besoin de cures de sommeil pour récupérer mais au bout d’une semaine cette retraite devient prison et il lui faut renouer avec la vie. Elle a avec Précy la même relation ambiguë : l’ermitage permet de se ressourcer mais c’est aussi le lieu où la guette la solitude, avec cette alternance de mal et de joie à vivre qui fait le clair-obscur lancinant et magnifique de Barbara. Paradoxe insoluble et fascinant : être une « amie Pierrot noire », selon la trouvaille d’Hélène Hazera et une voyageuse d’Éros.

                                                        Délicatement

   Comment évoquer les gouffres avec assez de délicatesse pour que les lecteurs et lectrices sentent que rien n’a été tabou dans ce livre à la fois biographie, radioscopie et déclaration d’amour ? Tout naturellement. Avec les faits nus. Monique Serf naît à Paris en 1930 dans une famille juive qui peine à joindre les deux bouts. Sa famille doit se déplacer pour mieux vivre, aller de Paris à Marseille et de Marseille à Roanne. La guerre sépare parents et enfant. Tante Jeanne de Poitiers tente de faire passer les enfants en zone libre mais le train est mitraillé par la Luftwaffe. De cela, Barbara un jour osera parler à un accordeur de piano dans la région de Châtillon-sur-Indre où  la scène s’est déroulée : « La petite fille qui était dans le wagon et qui n’a pas été tuée, c’est moi ». Quand les enfants pourront rejoindre leurs parents à Tarbes, de la nuit s’ajoute à la nuit et, délicatement, l’auteur laisse la plume à Barbara elle-même qui écrit dans son livre Il était un piano noir… paru un an après sa mort : « J’ai de plus en plus peur de mon père. Il le sent. Il le sait. Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur… »

Quant au besoin du pardon, au père comme aux nazis, c’est dans les brumes de ses chansons qu’il se chuchotera et comprenne qui voudra : en lisant ce livre, on fait mieux le lien entre Nantes et Göttingen. Le vrai champ de bataille où l’on peut triompher chez Barbara, c’est la chanson. « Chanter, dit-elle, c’est mon remède et mon poison, ce besoin de s’exhiber, c’est mon mal et ma guérison. » Tout désir lui devient compréhensible, l’inceste dans Si la photo est bonne, ou le suicide qui devient un leitmotiv fréquentable et dont on peut sourire, comme dans À mourir pour mourir. Chanter fait sortir de la mort déjà vécue pendant l’enfance. Barbara aura toujours avec l’enfance cette double relation de tendresse et de mort. À 34 ans, elle déclare : « Je suis déjà morte depuis longtemps. J’ai perdu la vie autrefois ». Mais l’enfance, c’est aussi la grand-mère Varvara, née près d’Odessa et réfugiée à Paris, conteuse d’histoires de steppes et de loups, venant d’un monde de cirque, de danseurs en habit rouge, de joueurs de balalaïka… Comment alors ne pas s’appeler Barbara ?

Comment rester étranger à sa relation éternellement double avec les hommes, avec les amours et la fidélité ? Dès le début du livre, on entre dans le mystère inépuisable de Barbara, évoquant, dans son autobiographie, l’amour comme «… une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après… ». Baptiste Vignol laisse délicatement la plume à Hubert Ballay – le mieux placé puisqu’il semble avoir été  le premier véritable amant -, et à son livre Dis, quand reviendras-tu ? (2014), pour effleurer les sources possibles de la chanson J’ai tué l’amour : « Ébranlée, dès sa préadolescence, par l’intimité nocturne que lui a imposée son père, Barbara a du mal, dans les années 1950, à tomber véritablement amoureuse d’un homme. Elle a pourtant tout fait pour oublier le cauchemar, elle a obligé son corps à se plier aux rites de la sensualité, donné leur chance aux émois fugaces qui, de temps à autres, lui traversaient le cœur, mais les barrières qu’elle a dressées entre elle et les hommes sont trop hautes pour autoriser une complicité amoureuse profonde, durable ». Comme si l’amour fou avec un seul homme n’était possible qu’en rêve : « Je ne sais pas vivre à deux. J’ai vécu des passions, des folies. Il faut avoir beaucoup d’espace pour vivre une passion. Dans une chambre au sixième, à deux, t’étouffes ; il faut avoir les moyens d’un amour. », confie-t-elle à Hélène Hazera avant son Châtelet 93.  Et Barbara, dans son Piano noir… donne la source de cette incapacité à vivre d’amour et d’eau fraîche, après avoir évoqué la rupture avec Hubert Ballay : « Dorénavant, je suis seule (…) Rien ni, hélas !, personne, plus aucun homme, plus aucun amour. Bien sûr, des hommes et des amours. Mais c’est différent. (…) En acceptant de perdre H., je viens de prendre le voile, inexorablement, pour cette beauté : la vie d’une femme qui chante… ». Même dans Pierre, chanson de fidélité apparemment épanouie, si on l’écoute bien, « il y a deux femmes dans cette chanson », selon jacques Tournier dans son Barbara (1968). Profitons-en pour signaler un autre atout de ce Barbara Si mi la ré… : il propose un éclairage copieux sur chaque chanson de Barbara, au fil de leur apparition sur vinyle ou disque-laser !

Dès lors, se mettra en place un autre paradoxe chez Barbara, décidément femme à facettes : d’un côté il y a l’image qu’elle aime parfois donner, celle du Carpe diem et du Carpe noctem, croqueuse d’hommes, mante religieuse, égérie de l’amour libre. « Pas connaître le nom, le métier, être amants une seconde ! (…) C’est formidable. » D’où l’égérie qu’elle est pour les homos et leur goût des « tricks », du sexe avec des inconnus de passage. Dès 1987, elle chante cette chanson qu’elle aurait aimé ne jamais chanter, Sid’amour à mort, et devient amazone militante pour combattre le sida, empêcher le furet de la mort de passer en mettant à la disposition du public des corbeilles de préservatifs à la sortie de ses spectacles. D’un côté, il y a donc la femme qui répond en 1993 à Hélène Hazera lui demandant si l’amour, le sexe sont importants pour elle : « je ne peux m’imaginer chanter sans ». Et de l’autre, il y a la femme qui chante Seule en 1981 et Fatigue en 1996, un an avant sa mort. La Barbara de La solitude. Marie Chaix commente cette chanson de 1965 : « Elle avait besoin de vivre seule ? Elle n’a jamais pu vivre avec quelqu’un en permanence ». Une solitude de louve solitaire qui vous hypnotise quand elle est en scène, comme l’écrit puissamment Danièle Heymann en 1965 : «  Elle est longue et noire, elle est veuve d’on ne sait trop quoi (…) Elle est médium, elle est vampire, elle viole, narines ouvertes, le jardin secret des spectateurs ».

                                                            Passionnément

            Par delà le scrupule et la délicatesse, vibre tout au long de ce livre la passion de Stéphane Loisy et de Baptiste Vignol pour « la longue dame brune ». Barbara, comme Piaf, est entrée, au fil de sa vie, en scène comme en religion. Elle n’a jamais eu la plume et la partition faciles. Chez elle, paroles et musiques doivent naître en symbiose. Écrire ou interpréter des chansons viscérales comme celles de son répertoire se vit comme un chemin de lumière et de croix. Et la réputation de chanteuse rive gauche de ses débuts ne lui a jamais suffi. En 67, tournant de sa carrière, osons dire de sa vocation, elle s’ouvre enfin : « À Bobino, tout à coup, j’ai eu un public, un public populaire, c’est très important, et la jeunesse, ce qui est essentiel. J’ai  été étiquetée pendant des années comme une intellectuelle, ce qui est extrêmement grave parce que je suis une primaire ».

            La relation entre Barbara et son public est amoureusement réciproque. Elle en parle comme d’une étreinte violente sous le signe d’Éros : « Les gens qui ne veulent, qui ne veulent pas vous aimer, qu’il faut aller chercher dans leur cœur, autour desquels on s’enroule, c’est fantastique (…) Il y a deux moments comme ça où on est totalement… C’est une scène et avec un homme amoureux, je veux dire dans un lit. Ce sont deux moments pareils ». Sur la scène Barbara peut glisser de l’amour fugace pour un corps d’homme à ce qui va se passer de plus en plus entre elle et un public de plus en plus grand : « Je ne sais pas bien l’amour. Je sais seulement la passion ? Brûler. Il faut se brûler (…) Je crois qu’il faut se brûler, qu’il faut vivre jusqu’à la déchirure, passionnément (…) Je n’ai pas de passé, je n’ai pas d’avenir, j’ai l’instant présent ». Pas de fonctionnariat de la scène. Une vocation chaque fois nouvelle. S’en aller pour revenir ardemment au rendez-vous.  Aucune musique ne lui fait peur pour entretenir la transe. Les orchestrations rock de L’aigle noir ou de François Wertheim pour l’album La Louve ne sont pas pour lui faire peur, à condition de ne jamais tomber dans la servitude du tube qu’on attend sans vraie surprise.

            Et cet amour-passion, Barbara va le vivre jusqu’à la mort. Très tôt, dans sa carrière, comme Piaf et ses piqûres de morphine contre l’angoisse, il lui faut recourir à des piqûres de cortisone pour lutter contre la dysphonie. Très tôt, il faut pactiser avec les insomnies à coups de pilules et sourire de la différence entre une tentative de suicide et un véritable suicide. « La renifleuse des amours » est priée de repasser et le fil du micro la rattache toujours au monde.  François Reichenbach enregistre un spectacle et n’hésite pas à écrire : « Barbara, c’est toute la beauté et l’angoisse de notre époque, la définition même du stress ». Sa voix devient rauque et elle fait avec. Ce rauque devient de plus en plus fascinant d’album en album comme la voix de Marianne Faithful. Les rationalistes en sont éblouis, comme Michel Cressole en 1981 : « C’est la méthode du mal par le mal, une recette naturelle d’antipsychiatrie populaire que les usagers de Barbara se transmettent de génération en génération ». Baptiste Vignol, de page en page, en vient à un vrai lyrisme inspiré : « Enveloppée de châles, lunettes sur le nez, elle hurle son texte, dans une tension paroxystique pour déclarer sa flamme au public ». Barbara fait don au public de tout ce que la vie lui a appris : « Ce qu’ils ne savent pas, c’est que c’est moi qui suis spectatrice de ce public à mille bras, avec un cœur géant (…) Si je n’avais pas connu la tranche de jambon pout tout déjeuner, je ne pourrais pas entre en scène ». Gérard Daguerre, son pianiste, lors des dernières soirées du Châtelet en décembre 93, parle d’elle comme on parlait de Piaf juste avant sa mort : « J’avais le sentiment qu’elle se suicidait tous les soirs ». Dernier album trois ans après et puis, l’année suivante, en novembre qu’elle aimait, s’éteindre dans sa maison de Précy lorsque Il automne tout autour d’elle.

            Merci à ce beau millefeuille, inépuisable de textes et de photos superbes, de nous laisser, quand on le referme,  plus émus à chaque fois que monte

                                Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous

Pierre LACROIX, co-éditeur d’EO

De notre correspondant à Leipzig (Allemagne )…

Der Ring der Nie Bezwungenen
Erzählung
von Stephan Weitzel

Hannes Franzmann, Verlagsmitarbeiter, reist zu einem Kongress nach Leipzig. Es ist das erste Jahr der Pandemie, die Ausgangsbeschränkungen sind kurzzeitig aufgehoben. Bei einer Stadtführung entlang des Promenadenrings lauscht er den Erzählungen des Gästeführers. Endlich wieder unter echten Menschen. Luft spüren. Stadt riechen und sehen und hören.

Leipzigs reiche Vergangenheit voller europäischer Kulturgeschichte wirft Licht auf die Fragen der Gegenwart. Sind Franzmanns Überlegungen, die als zweite Stimme einen imaginären Dialog entflammt, gar ein Pamphlet gegen den technischen Fortschrittsglauben?

Sein Gespräch mit einem Kollegen an der Hotelbar wird zum Plädoyer für etwas, das ihnen beiden am Herzen liegt. Die alte Buchstadt Leipzig, sie ist noch immer da. Und in den Tiefen der Nacht erfährt Franzmann, was es wohl auf sich haben könnte mit dem Bezwingen.

Eine überraschende poetische Außensicht auf den Leipziger Ring, für einheimische Leser geradezu erfrischend wie eindrucksvoll, was wache Besucher hier im Rundgang auf- und mitzunehmen vermögen.

Récit, augmenté d’une cinquantaine de photographies pleine page
204 pages couleur, éditions Sax, 2021

Le titre : « Le Ring de ceux qui n’ont jamais été vaincus », fait référence à la fois au périphérique qui entoure le petit centre-ville historique de Leipzig et aux manifestations paisibles d’automne 1989 qui, le long de ce périple, ont mené à la chute de la RDA, au Ring de Wagner, fils de la ville, mais aussi au ring de boxe comme synonyme de toutes les luttes.

Le livre : Hannes Franzmann, employé d’une maison d’édition, voyage à Leipzig pour participer à un congrès. C’est l’an I de la pandémie, les restrictions du confinement sont temporairement suspendues. Pendant une visite guidée de la ville, il écoute le récit du guide. Enfin de retour parmi de vraies personnes ! Respirer l’air. Humer la ville, la voir, l’entendre.

Le riche passé de Leipzig, riche d’histoire de la civilisation européenne, oriente les phares sur les questions du présent. Les réflexions de Franzmann qui enflamment comme une seconde voix narrative un dialogue imaginaire, seraient-elles un pamphlet contre la confiance dans le progrès technique ?
Son entretien avec un collègue au bar de l’hôtel devient un plaidoyer pour quelque chose qui leur tient à cœur à tous deux : Leipzig, la vieille ville du livre, elle est toujours là. Et c’est dans les profondeurs de la nuit que Franzmann apprend de quoi il pourrait s’agir, dans cette question de ne jamais se laisser vaincre.

Sortie le 22 ocotobre Correspondance de Renée Vivien avec Jean Charles-Brun

Lettres inédites à Jean Charles-Brun (1900-1909)de Renée Vivien , date de sortie le 22 octobre 2020 aux éditions du Mauconduit.

Les lettres envoyées par R. Vivien à son ami et conseiller littéraire J. Charles-Brun, plus de 500, montrent les coulisses de la vie mondaine et littéraire de l’époque, levant le secret sur sa collaboration littéraire et sa relation avec H. de Zuylen, sa dernière maîtresse connue. Elles révèlent le processus de création poétique, son écriture exigeante et son goût pour la musicalité de la langue.

UNE BIBLIOTHÈQUE GAY IDÉALE Dictionnaire…

Vient de paraître aux éditions L’Harmattan

UNE BIBLIOTHÈQUE GAY IDÉALE
Dictionnaire critique et quasi exhaustif de la littérature gay disponible en langue française

Sous la direction de : Thierry Goguel d’Allondans, Michaël Choffat, Michaël Choffat

ARTS, ESTHÉTIQUE, VIE CULTURELLE, ÉTUDES LITTÉRAIRES, CRITIQUES

Sur France Inter, lundi dernier 30 mars 2020, Augustin Trapenard a lu une lettre d’Annie Ernaux

Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la banderole d’une manif en novembre dernier -L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux, tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et « rien ne vaut la vie » – chanson, encore, d’Alain Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux
Photo empruntée au Blog d’Arnaud Mouillard DR
arnaudmouillard.fr/tag/annie-ernaux/

Les dessous lesbiens de la chanson : LA FORÊT VIERGE QUEER AUX MAUVES ORCHIDÉES

Par où commencer pour donner son avis sur ce livre tant il détone et foisonne ?
Par le choix de sa structure déjà. Les deux préfacières, Élisabeth Lebovici et Catherine Gonnard, nous préviennent de cette composition « ludique » et l’éclairent : « Loin de nous (…) l’idée d’imaginer une histoire de la chanson lesbienne qui suivrait une chronologie, un temps, une « pensée straight » conduites par une progression linéaire ». Nous sommes ici dans une histoire inclassable, « dans un passé où rien n’est sûr, surtout pas l’identité sexuelle de celles qui ont porté les chansons, lesquelles peuvent avoir eu ou pas des relations érotiques avec des femmes ». Le flou autour « d’une identité catégorisable perdure même jusqu’à aujourd’hui où le coming out est plus facile ». Et la chanson est gage de ce flou par le trouble sans hiérarchie entre masculin et féminin qu’elle favorise. « La chanson permet de dissoudre un discours, qui, en voulant expliquer, déclarer, chiffrer, solidifier une évidence en catégorie sociale, assujettit tout ce qui n’est pas du ressort de la norme à un régime de savoir qui est aussi une prise de pouvoir. » Enfin, « le récit d’une libération sexuelle qui se serait accomplie durant tout le XXᵉ siècle et que le XXIᵉ accueillerait comme un fait n’est qu’une fiction destinée à faire de bons sujets ». Refuser le plan chronologique, c’est donc à la fois refuser le schéma réducteur de toute une tradition et s’ouvrir à une classification réinventée, proposer quelque chose de queer dans la colonne vertébrale même du livre. Qu’on en juge par le titre des quatre temps du livre :
1. Quand le portrait devient miroir
2. Quand les amours interdites tombent le masque
3. Quand le genre s’emmêle
4. Quand la solitude ouvre la porte de l’indépendance
Aucune chronologie historique non plus à l’intérieur de chaque partie. Pas de scalpel de dissection, plutôt le seul plaisir d’inviter à une flânerie entre les dessous lesbiens de la chanson de langue française depuis les Années folles. Entrer dans ce livre, c’est accepter une promenade dans une forêt vierge traversée d’étranges allées qui permettent de s’y aventurer.

Luxuriance d’emblée des dessins à l’encre noire, minutieusement réalistes mais fantasques aussi parfois, de Julie Feydel, dessins qui invitent à une patiente scrutation. La jaquette de couverture donne le ton : tous les détails semblent y avoir un sens que le déchiffrage de certains permet de supposer pour les autres, comme si l’on entrait dans un labyrinthe de références gays et lesbiennes où il faut accepter de ne percer que quelques secrets et d’en laisser d’autres subsister. Ne jamais rassasier, laisser ouvert le mystère comme celui de l’identité de genre et de désir des figures croquées par la dessinatrice. S’y croisent toutes les époques, du début du XXᵉ siècle à la nôtre : une table ronde rassemble un couple de femmes complices entre deux hommes sous un lustre à pampilles et chandelles. On se dit que la femme de droite ressemble à Marlène dans Morocco, frac et chapeau claque, et que le dandy de droite pourrait être un Proust portant un éventail. La scène se déroule anachroniquement entre les immeubles d’une cité, avec à droite sur le haut du rabat quand on l’ouvre, des portraits à l’encre de Chine assez précis pour qu’on y reconnaisse Suzy Solidor aux cheveux de lin… et au bas du même rabat, des pochettes d’album vinyle de Catherine Lara, son tout premier qui comportait le titre « Le reflet mauve des forêts » et un autre plus tardif, La Rockeuse de diamants… À gauche de la table décadente, on sèche sur une énigme : une main tient la lettre E et c’est au cœur du livre qu’on trouvera la clef ! Autre constante de ces dessins, l’humour : toujours à gauche de la couverture de Julie Feydel, un porte-manteau tordu devient silhouette queer, cravate d’homme entre les deux pans d’un col de fourrure, avec pour tête une violette, une des fleurs de la flore saphique, inséparable de la figure de Renée Vivien, Sapho 1900 et Sapho cent pour cent. Humour et clins d’œil à l’imaginaire gay et lesbien, voilà bien des promesses de vertige que les dessins de la couverture annoncent et que le livre tient, et tant pis ou tant mieux si l’on n’est pas toujours au parfum puisque les auteures évoquant les chansons nous y mettront !

On a beau penser avoir un peu bourlingué dans la bonne et belle chanson des milieux interlopes, ce livre nous fait comprendre que l’île au trésor cachait en fait un archipel. On a beau s’être passé et repassé le fameux CD Suzy Solidor au cabaret et le délicieux coffret rose en 2 CD, Chansons interlopes (1906-1966), tous deux édités par Martin Pénet, le second regorgeant de perles classées en deux vagues, chansons de la dérision et chansons de l’ambiguïté, ces Dessous lesbiens nous ouvrent évidemment des contrées ignorées, avec une précision savante qui le dispute à la sensibilité. La force du livre est de révéler les dessous de chansons allant de 1920 à 2019 – toutes interprétées par des femmes jouant parfois avec les cloisons japonaises du genre. La plupart de ces chansons nous sont inconnues et celles que l’on connaît, restées pour nous hétéronormées ou pour le moins cryptées, ne prenaient pas toute leur profondeur, leur saveur militante, canaille ou câline, leur art de faire exister toute la gamme des couleurs d’Éros. Forêt vierge de 40 chansons que présente, en trois ou quatre pages fort détaillées pour chaque chanson, ce livre peu commun où l’on ne s’attendait pas à rencontrer Édith Piaf, Anne Sylvestre, Catherine Sauvage, Stéphanie de Monaco, Vanessa Paradis ou encore Françoise Hardy…

Car, comme la préface nous l’annonçait, le parfum lesbien d’une chanson peut monter du trouble et de la fascination qu’exerce le désir féminin, qu’il y ait eu ou pas relations érotiques de la chanteuse avec des femmes. Citons-en un savoureux exemple : Léa Lootgieter et Pauline Paris éclairent le lien entre Piaf et la chanson « Quand même » – dont elles citent les paroles de Louis Poterat coupées par la censure – présente dans une scène de la deuxième adaptation cinématographique par Jean de Limur, sortie en 1936, de La Garçonne, roman de 1922 de Victor Margueritte dont Jacqueline Audry donnera une troisième version en 1957.
Mes sens inapaisés
Cherchant pour se griser
L’aventure des nuits louches
Apportez-moi du nouveau
Le désir crispe ma bouche
La volupté brûle ma peau.

La môme Piaf en est alors à ses premiers enregistrements et l’underground lesbien ne lui fait pas peur. Les auteures, à partir d’un entretien avec Anne Delabre, fondatrice du ciné-club le 7ᵉ genre, et de nombreuses sources précisées en fin de volume, font, pour tous les titres de chansons traités, un minutieux travail de chercheuses. Elles donnent vie avec leurs mots à la scène du film où Piaf enchante, sur un yacht, un cercle « de jeunes femmes à demi nues », puis en viennent aux raisons de la présence de Piaf dans ce film. En une vingtaine de lignes, prend corps le Paris interlope des années 30. Ces lignes pittoresques méritent qu’on les cite in extenso pour donner une idée de l’épaisseur documentée et haute en couleurs du livre :
La môme Piaf n’a pas été choisie par hasard. Jean Wiener, le compositeur de la musique du film, savait quel univers elle symboliserait sur le grand écran. Après avoir mendié et chanté dans la rue, Édith Piaf a décroché un premier engagement en 1934, à 18 ans, dans un cabaret lesbien de Pigalle, le Juan-les-Pins. Sa patronne, Lucienne Franchi dite Lulu de Montmartre, possédait aussi l’un des premiers bars-cabarets féminins, Le Monocle, dont la tête d’affiche n’était autre que Line Marsa, chanteuse réaliste sur le déclin et mère d’Édith Piaf. Prenant maintenant la fille sous son aile, Lulu lui demande de chanter habillée en marin « avec un pantalon en satin bleu clair et une marinière bleu foncé », et de faire l’entraîneuse, c’est-à-dire de séduire les clientes pour les pousser à consommer de l’alcool. Édith Piaf reprend alors des titres de Damia et de Fréhel.
Peu après, elle est repérée par un autre acteur de la nuit interlope, Louis Leplée, qui dirige Le Gerny’s, un établissement huppé des Champs-Élysées. Dès lors, tout s’enchaîne très vite : deux jours après ses débuts au Gerny’s, en 1935, Jacques Canetti l’invite dans treize émissions de Radio-Cité, puis Louis Moysès, patron du cabaret Le Bœuf sur le Toit, la recommande à Jean Wiener qui cherche une jeune pousse pour interpréter « Quand même ». « C’était un petit être extraordinaire, malingre et souffreteux avec des yeux inouïs. Quand j’ai entendu sa voix, les larmes me sont immédiatement venues aux yeux. J’ai tout de suite penser à elle habillée en matelot pour la chanson », se remémore le compositeur sur Inter Variétés en 1969. Le tournage de La garçonne et l’enregistrement de ses quatre premiers titres chez Polydor se font concomitamment, en décembre 1935
. (pp.78-79)

Plus on avance dans le livre, plus il faut accepter la forêt vierge de sa matière inclassable. Et si le charme et la portée des « dessous lesbiens de la chanson » étaient précisément d’être inclassables ? Les quatre temps nommés plus haut pour tracer des allées dans l’ouvrage deviennent vite quatre approches possibles pour chaque chanson ou quasiment. Comme si classer était cérébral et réducteur quand il convient d’éclairer des chansons qui sont inséparablement intention et émotion. Prenons par exemple quelques chansons du premier temps du livre, classées sous la formule « Quand le portrait devient miroir… ». Certes chacune est un miroir plus ou moins clair ou trouble de son interprète, mais elle pourrait relever de l’une des trois autres approches nommées plus haut. Ainsi « le genre s’emmêle » également dans « La chanteuse du dancing » (1973) de Betty Mars :
Elle paraissait habillée en smoking
Et toutes les femmes étaient folles de Madame.

Sur scène, elle aimait les longues cigarettes et fermait ses paupières violettes. « Elvire » (2006) de Brigitte Fontaine, tribade de douze ans , est de celles qui, pour reprendre deux titres des quatre temps du livre, ont très tôt « tombé le masque » et dont « la solitude ouvre la porte de l’indépendance » :
Elle a pris la voie longue
Humide et alchimique
Elle est bien dans ses tongs
Et ses jeux aquatiques.

Profusion encore de la chanson « Monocle et col dur » (1993) de Juliette, chanson de coming out et de genre si emmêlé dans la kyrielle de modèles saphiques qu’elle propose, qu’elle en devient « le sommaire de la petite Bible des lesbiennes » :
D’autres Violette, le dimanche,
Déposaient, si je me souviens,
Pour deux sous de violettes blanches
Sur la tombe de Renée Vivien
Et des Violettes expéditives
Qui n’avaient pas d’autre dessein
Que d’être les rois des sportives
Se faisaient amputer des seins.

Peut-être faut-il mentionner à cette occasion que, pour des générations de gays restés à l’écart de Le Pur et l’Impur (1932-1941) de Colette et de la biographie de Jean-Paul Goujon chez Régine Deforges, Tes blessures sont plus douces que leurs caresses (1986), la chanson de Juliette permit avec les quatre premiers vers cités la révélation de cette « scandaleuse de la littérature » que fut Renée Vivien ! Notons au passage que Pierre Philippe, le parolier de « Monocle et col dur », recherche le choc de la rencontre de la valétudinaire Muse aux violettes et de l’amazone sportive Violette Morris qui s’est fait amputer des seins « pour obtenir une meilleure assise au volant de son automobile ».Décadents paradoxes !

Passons à un thème commun dans la forêt vierge du livre : y sont présentes toutes les militances, des plus douloureuses aux plus douces, des plus discrètes jusqu’aux plus farouches pour se construire. On n’ y trouvera pas de chanson chantée par un homme – même de celles qui fustigent des machos frustrés par une émancipation, féministe ou saphique, qui les exclut, comme celle de Gaston Gabaroche en 1927, « Les filles, c’est des garçons » – mais des chansons de femmes qui rendent visible l’amour lesbien, parfois vécu comme une tragédie ou une faute, mais toujours en poésie, avec des métaphores qui voilent et permettent d’oser un message sans aller jusqu’au coming out.

Dans les années 20, Damia fait rimer « haine » avec « chaîne », présentant les amantes comme deux forçats de l’amour. Plus tard, c’est dans la lettre e de la partition originale qu’il faut aller chercher la clef d’un secret que la chanson chantée veut et peut garder. Ainsi le « Ni toi, ni moi » (1952) de Mick Micheyl.
Ni toi, Ni moi,
Chérie, n’y pouvons rien changer
L’Amour est plus fort
Plus fort que nous
Que la vie et la mort
Et c’est le destin !

C’est à la malédiction du roi Ludwig que Nicole Louvier se sent rattachée, dans un titre composé entre 1960 et 1964, « Gentil roi Louis de Bavière  » dont l’enregistrement ne paraîtra qu’en 2008, cinq ans après sa mort, elle que le succès avait pourtant couronnée de 1953 à 1960 :
Je suis un soldat sans armes
Un pianiste sans piano
Un Arlequin sans guitare
Un Pierrot.

On peut entendre le cri d’amour et de rage d’une écorchée vive depuis l’enfance, comme l’était Gribouille qui « succombe à une overdose de barbiturique et d’alcool » à 26 ans en 1968, et qui aura eu le temps d’aimer et de clamer juste avant de mourir dans la chanson « Ostende » :
Les mots que tu m’as dits
Ils ne s’écrivent pas
Les plumes et les poètes
Se taisent quelquefois.

L’interdit se déverrouille lentement après 68. Barbara, dans sa chanson « Clair de nuit  » (1972) « expire » son chant de « grand loup solitaire » – pour reprendre l’image de Catherine Lara qui en a composé la musique –, de fleur de lune qui peut oser jouer sur les mots lune et l’une :
Comme deux fleurs de lune,
L’une dans l’autre,
Dans les algues, enroulées
.

Même si la chanson se conclut de façon étonnante sur l’accord au masculin Tous les deux, accrochés…

Propre à la chanson saphique est la métaphore et souvent comme ici celle de corps liquides qui se glissent et s’enroulent comme des vagues l’une à l’autre, l’une dans l’autre. Métaphoriquement encore mais plus précautionneusement, Juliette Gréco risque « Les pingouins  » (1970) où l’on ne sait trop si elle veut rire ou médire, surtout dans le premier enregistrement de la chanson où elle n’est pas prête à « la conclusion militante de Frédéric Botton » : Petits pingouins, petits humains, / De façon certaine / Y’a que les « je t’aime »/ Qui ne trompent point et où, en lieu et place de De façon certaine, elle glisse L’erreur est humaine.

Bien après 68, le geste de Sapho peut encore s’accompagner d’ivresse et de culpabilité, comme dans « Les puces » (1978) d’Isabelle Mayereau où la métaphore est savante :
Cherchant toujours la bonne affaire
Un bout de peau un coin de chair. (…)
La mine triste au matin
Elles vont se noyer dans leur bain. (…)
Pour oublier qu’il n’est pas bien
De préférer les chats aux chiens.

Les temps changent et, après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981, on assistera bientôt à des coming out chantés ou dits en direct, aussi ironiques et cinglants que des répliques de théâtre. En 1984, dans une émission de télévision, Colette Magny achève sa reprise du standard de jazz « My man » – connu sous son adaptation française pour Mistinguett, « Mon homme » – par la reprise du Oui mais j’ai rencontré Titine, Titine oh ma Titine et j’ai le cœur content , immortalisé par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. À Michel Denisot lui demandant en 1986 : « Qu’est-ce que vous regardez en premier chez un homme ? », Catherine Lara répond : « Sa femme ». Avec le même aplomb, à la question d’une journaliste en 1993, « Il est où Roméo ? », Juliette Nourredine répond : « Mon Roméo s’appelle Juliette ! ».

Mais rien n’est jamais acquis dans la militance pour le droit d’aimer et c’est un autre mérite, souligné dans la préface, du livre de Pauline Paris et Léa Lootgieter de refuser l’idée de progrès irréversible. En 1985, Sœur Sourire – de son vrai nom Jeannine Deckers – se suicide à 52 ans, elle qui avait conquis son nom de scène dès 1961 grâce à l’allégresse de son timbre et de ses textes. L’amour à partir de 1964 pour Annie Pécher, « une adolescente rencontrée au scoutisme », « loin de l’éloigner de la religion » la rapprochait « chaque jour un peu plus de Dieu ». Interdite de pseudonyme par son couvent à compter de 1966 et s’appelant désormais Luc Dominique, elle quitte sa communauté religieuse. Frappée par la misère pour une question de droits d’auteur, « elle choisira, avec celle qui aura été sa joie, de se suicider ». Belle idée que celle de Julie Feydel, l’illustratrice, de lui mettre entre les mains un crucifix féminin !

Les votes du PACS (1999) et du mariage pour tous (2013) ont-t-ils radicalement changé les esprits ? Voici le commentaire que font les deux auteures sur une page YouTube où les avis défilent à la suite du clip J’ai tout aimé de toi, sur une chanson homonyme de Carmen Maria Vega :
Sorti en janvier 2018, [le clip] a dépassé 440 000 vues et c’est une avalanche d’emojis, cœurs, flammes, smileys et pouces levées, assortis de commentaires virevoltants : « C’est tellement beau de voir que les musiques LGBT+ existent de plus en plus », « Le clip fait le combo homosexualité/femmes/diversité/banlieue, c’est le jackpot », ou encore « New gay anthem « (« Nouvel hymne gay »). Mais sous cette pluie d’éloges, la mauvaise graine lesbophobe s’ingénie à gâcher la fête : »Saloppppppp de lesbienne », « La chanson, je l’ai vue par hasard. Ça reste un grand péché. Dieu est très miséricordieux et très dur en châtiment ». (p. 143)
Les auteures détaillent les motifs d’une telle « effervescence de la part des internautes » : Le clip montre une bande de quatre filles, toutes origines confondues, se retrouvant sur la place de leur cité. Elles traînent, elles dansent ensemble. À son regard fixe, on comprend que l’une d’elles (…) désire une de ses potes. Quand un garçon vient faire des avances insistantes à son crush, elle s’interpose et le repousse. Puis, se tournant vers son amie, elle l’embrasse. C’est trop d’audace : l’autre la rejette violemment.
Le clip et la chanson racontent deux histoires différentes, mais intimement liées aux questions d’orientation sexuelle et de genre. Alors que la vidéo met en images un désir lesbien naissant, la chanson fait le portrait d’une personne transgenre : « Tu te rêvais femme tu te disais maudit / Je te disais « je t’aime » / Tu étais beau et tu étais belle aussi / Te l’ai-je dit ?
» (ibid.)

Si nous venons de rétablir une chronologie, ce n’est que sur le thème de la visibilité lesbienne et de la double militance qu’elle peut se proposer pour exister : est-ce militance du coming out ou militance du secret éloquent servi le plus souvent par la métaphore et la poésie ? À ne pas opposer les deux, à les entremêler sans cesse dans une approche délibérée par titre de chanson, il est flagrant que Léa Lootgieter et Pauline Paris ne souhaitent pas s’en imposer une seule. De 1920 à 2019, en effet, Les dessous lesbiens de la chanson révèlent que les avancées et succès, face à une lesbophobie récurrente et parfois intériorisée, ne se sont faits qu’en se servant des deux atouts, l’audace et le trouble.

Audace du politiquement incorrect brandi tendrement par la chanson lesbienne. On trouve dans le livre trois pages consacrées à une chanson de Pauline Julien,  » Deux vieilles », paroles de Clémence Desrochers, chanteuse elle aussi, musique de Marc Larochelle. Cette chanson de 1980 deviendra, au fil des années, déclaration d’amour de Pauline Julien aux femmes jusqu’à sa mort en 1998, et déclaration d’amour de Clémence aux femmes aussi jusqu’à sa dernière tournée en 2008 :

L’été quand il fait beau soleil
Je vois souvent passer deux vieilles
Qui sont ensemble depuis toujours. (…)
Les gens diront voyez les vieilles
Qui sont ensemble depuis toujours
Qui partiront le même jour.

Comment ne pas songer, avec les auteures, aux Ladies of Llangollen évoquées par Colette dans Le Pur et l’Impur : « En mai 1778, deux jeunes filles anglaises, appartenant à l’aristocratie galloise, s’enfuirent, ayant choisi leur sort, et cloîtrèrent leur solitude, leur réciproque tendresse pendant cinquante-trois années, dans un village du Pays de Galles. Quand l’aînée mourut, elle était âgée de quatre-vingt-dix ans. » ?

Quel Jivaro a bien pu dire que l’éternel féminin n’était que douceur et maternité ? La chanson lesbienne l’entend d’une autre oreille. Dany Dauberson, aux larges épaules nues dans un étroit bustier et à la voix presque mâle, chante le contraire sur la scène du Caroll’s, rue de Ponthieu, cabaret le plus chic de Paris dans les années 50, le seul où les femmes pouvaient danser ensemble en ce temps-là. La chanson s’appelle « Des fleurs pour Mademoiselle » et date précisément de 1950, « le serpent se cache sous les fleurs de cette valse aux faux airs de légèreté » et « comme la jolie est trop volage pour lui appartenir, [son amante] préfère la voir se flétrir » :
Tu es finie ta jeunesse a passé
Fini ton règne, et finie, ta beauté
À nous de vivre, et à toi de payer
Tu es finie.

On notera que la chanson et les phrases qui la présentent ont la même élégance. Le sadisme va encore se corser dans un autre titre de 2012, écrit, mis en musique et porté par la voix de Barbara Carlotti née en 1974 : « Ouais ouais ouais ouais ». La chanson a toute une histoire qui nous invite encore à laisser longuement la plume à la chanteuse puis aux deux auteures pour que le venin opère :
« Cette chanson est un télescopage de plusieurs époques, lieux et personnalités. C’est à la fois une façon de parler du côté trouble de mon adolescence, où dès l’âge de quatorze ans je fréquentais assidûment les boîtes de nuit par goût de la transgression et du danger, et à la fois une réminiscence d’un de mes livres cultes, Rose poussière, de Jean-Jacques Schuhl », raconte son autrice-compositrice et interprète. Dans cet ouvrage paru en 1972, l’écrivain s’appuie sur des extraits de films, de chansons et de coupures de presse pour traduire l’ambiance de la fin des années 1960 à Paris et à Londres. On y trouve, pêle-mêle, la garde mobile venue réprimer les manifestant.es de Mai 68, la jeunesse anglaise fan des Rolling Stones, qui semble se dissoudre dans un look uniforme, ou encore la chanteuse transgenre Marie-France, arrêtée par la police pour avoir osé défier la binarité des genres. Dans cet étonnant patchwork, surgit la clubbeuse Miss Zouzou [on découvrira une longue note consacrée à cette égérie de cinéastes, twisteuse et chanteuse], qui a plus spécifiquement inspiré Barbara Carlotti (…) pour lui déclarer, de sa voix grave et langoureuse, une attirance sadomasochiste :

T’es si jolie quand t’as mal
Ça me rend folle
De voir ce noir sous tes beaux yeux
Qui coule
Je veux encore te mettre une claque
Mais sans te laisser de marque.

Cette esthétique de forêt vierge constante des chansons et de leur écrin de présentation, des références de tous horizons, picturaux, littéraires, cinématographiques…, n’est pas sans rappeler le capharnaüm gay kitsch camp du fonds documentaire, littéraire et artistique de Patrick Cardon, éditeur et militant, et des photos de Pierre et Gilles. Ce à quoi Les dessous lesbiens de la chanson parviennent au fil des pages et des dessins, dans la mosaïque éclatée des 40 chansons traitées, c’est à une luxuriance étrange, bizarre qui aime jouer avec les contraires, les contrastes, tout particulièrement avec l’indécision du genre, échapper au conformisme straight pour réinventer l’amour et la société, faire se télescoper plastiquement les époques et les imaginaires, se rencontrer fierté conquise et survivance d’une émotivité sombre, d’une torsion douloureuse. Est-ce cela qu’on peut appeler l’esprit queer, né du « Queer Nation », comme nous l’apprend la préface, « mouvement activiste créé en 1990 à New York par des militant.es d’Act Up pour combattre les LGBTphobies et accroître la visibilité des gays et des lesbiennes » ? Traitant de la chanson « Jimy »(2019) d’Aloïse Sauvage, les auteures qualifient de « queer » le public qui « s’est rendu en nombre à la Gaîté Lyrique à Paris, ce 9 avril 2019 » pour entendre la chanteuse. Et celle-ci, qui a écrit dans le texte de la chanson Mais arrêtez de dire que – / Jimy aime qui elle veut , fière de ce succès, « de conclure en souriant » un entretien de mai 2019 :

« En tout cas je ne vais pas m’arrêter là ! Je vais continuer à explorer le sujet de l’homosexualité. « Jimy » était une première porte d’entrée, assez pudique, d’ailleurs, car intime. Maintenant que j’ai mis un pied dedans, que j’ai reçu de nombreux messages de personnes queer touchées de se voir représentées, je me sens une responsabilité émotionnelle de continuer, de donner une voix à cette communauté. » (p. 33)

Quoi de plus queer déjà qu’Yvonne George, en 1924, dans un « haut lieu de la nuit lesbienne », Chez Fisher, chantant une chanson traditionnelle de marins, « Valparaiso », d’une voix « profonde et lointaine, en un mot plus ventrale », en pantalon sur scène, mains et oreilles bijoutées, cheveux courts et plaqués en arrière, imposant son répertoire jusqu’à ce que le public applaudisse ? L’artiste, bouleversante, se donnant à son public jusqu’à une mise à mort consentie, soumise à tous les abus, alcools, cocaïne et opium, « meurt à trente-quatre ans à Gênes, aux côtés de sa dernière compagne, Nelly Van Wilder ».

Quatre-vingts ans plus tard, Adrienne Pauly sème toujours le trouble, en termes plus crus mais sans pulsion suicidaire, avec sa chanson « Vas-y viens » (2006). Le titre s’adresse à une fille dans une boîte de nuit :

Trente-six chiennes que je te mâte
Vite avant que je craque ! (…)
Toi la salope, la Salomé !

Ici, « le genre s’emmêle » vertigineusement, les cloisons sautent, le queer devient abyssal et le commentaire, tant de la chanteuse que des auteures, est particulièrement éclairant !
Ce titre, Adrienne l’a écrit pour soigner une peine de cœur : « Je me suis mise dans la peau d’un type que j’ai aimé et qui draguait une fille devant moi. J’ai essayé de comprendre ce qui s’était passé dans sa tête et me suis projetée dans son esprit pour oublier ma peine. Le fait de parler en tant que mec m’a donné une force. Pour casser la gueule à mes conneries de femme, mon truc de jeune fille, pour tuer la petite chérie en moi » (…)
Bien qu’elle ne considère pas que son répertoire soit militant, Adrienne Pauly inverse le scénario de la drague patriarcale. Elle assume pleinement une sexualité libérée, sans peur du slut-shaming [une note nous en apprend le sens et l’origine : « intimidation des salopes », expression créée par des féministes anglo-saxonnes pour désigner les attaques sexistes dirigées contre les femmes dont le comportement transgresserait les normes sexuelles et sexuées].

Même constat intergenré avec une autre chanson récente : « Ta marinière » (2017), paroles et musique de Hoshi : le trouble queer est revendiqué et la militance du coming out s’estompe. Hoshi veut « dédier une chanson à ce vêtement unisexe qui relierait entre eux les gens et les genres » et commente : « J’ai pris le prétexte de cet habit pour écrire une chanson universelle dans laquelle toutes les orientations sexuelles pourraient se reconnaître (…) Dans « Ta marinière », on ne sait pas si je suis une femme queer ou si je me mets dans la peau d’un homme hétérosexuel ». Le combat queer a relayé le combat homo, le trouble rejoint l’universel et refuse la marge. Pourquoi pas si la chanson est bonne ?
Marinière cherche son marin
Prêt à rester sur terre rien que pour sa main.

Si l’on veut aller dans le sens de la transgression que la chanson queer offre à l’imaginaire dans ce livre, pourquoi ne pas imaginer qu’un chanteur gay autant que queer puisse à son tour s’approprier la chanson « Ouvre » ? Léa Lootgieter et Pauline Paris nous apprennent qu’il s’agit à l’origine d’un poème d’Edmond Haraucourt, publié en 1882 sous le pseudonyme Sire de Chambley : Suzy Solidor « le fait mettre en musique en 1933 par le compositeur Laurent Rualten et en transforme le contenu « hét-érotique » en ode lesbienne ». L’horizon queer, tel que la préface du livre le définit sous la plume de David Halperin, dans L’Art d’être gai, « ce qui ne se laisse pas assimiler par la vie normale, ce qui brise les normes acceptées ou s’en tient à l’écart », ne laisserait-il pas glisser l’« ode lesbienne » vers une ode gay kinky ?

Ouvre tout ce qu’on peut ouvrir,
Dans les chauds trésors de ton ventre,
J’inonderai sans me tarir
L’abîme où j’entre
.

On a la tête qui tourne parfois dans cette forêt vierge queer où nous convient les auteures. Passe un frisson de plaisir interdit ou envolé quand on découvre à la fin de l’ouvrage la « liste des bars, boîtes de nuit, cabarets, clubs, music-halls et tutti quanti » qui y sont cités. Les dessous de la chanson lesbienne s’avèrent poétiques, politiques, poignants et toniques, impossibles à fixer. Quand on va vers l’écoute des chansons, puisque le livre contient un QR code qui nous emmène vers la playlist de toutes les chansons citées, on ne sait plus vers laquelle aller tant le livre aiguise le désir d’écouter et de danser. Quand, comme moi, on cherche un CD ou un vinyle par besoin de toucher le support physique et de calmer l’ivresse de la boule à facettes, on le fait parce que les quatre mains ont sacrément bien écrit, pour tous les goûts, tant pis si je me répète, en grisantes et militantes connaisseuses qu’elles sont. Et on se dit que la chanson lesbienne couvre souvent des territoires où les gays ont du mal à s’aventurer : l’amour qui n’a peur de rien, ni de l’âge, ni du désir qui doit se métamorphoser pour être toujours là, ni de la mort qui approche, ni du funambulisme des couples fiers qui se perdent parfois et se trouvent assez pour se chercher encore. Et on se passe une chanson longuement caressée par Léa Lootgieter et Pauline Paris et par Hélène Hazera dans sa postface, « chanson qui va jusqu’à aborder le vieillissement amoureux », « Sphinx de nuit » (1989) de Colette Magny – dont j’ajoute, pour le plaisir, quelques strophes :

Sphinx de nuit, sauvage,
Unique, royal et mauve
Pour séduire tu te déguises
Au carnaval des orchidées
Tu ne te laisses pas intimider

Qui j’aime me crée
Qui m’aime me crée
Ah ! j’ai tout à te dire
Et c’est à toi que je le dis
Ma « grisante », mon orge de printemps
Ne me laisse pas en suspens
Tu es de ces gens de mer
Dont l’eau peut être meurtrière (…)

Ne te farde pas, je peux supporter
D’entrevoir la mort sur ton visage
Ton amour est le poumon de ma liberté
Plus tard nous boirons le vin
Nous en craignons encore trop l’ivresse

Sphinx de nuit, sauvage
Unique, royal et mauve
Pour séduire tu te déguises
Au carnaval des orchidées
Tu ne te laisses pas intimider

Les Dessous lesbiens de la chanson, un livre composé à quatre mains par LÉA LOOTGIETER & PAULINE PARIS, avec des illustrations de JULIE FEYDEL, préfacé par Élisabeth Lebovici et Catherine Gonnard, postfacé par Hélène Hazera, éditions iXe, collection xx-y-z, 216 pages, 20,00 €

Pierre Lacroix, janvier 2020

Raconter la mort du père… « Il faut tout nous dire »

Raconter la mort du père, la mort de la mère par les ressources de la littérature, de ce qu’elle procure à la fois comme distance et comme concentration, beaucoup ont tenté de le faire, peu y sont parvenus. François Mary, dans son dernier ouvrage, Père, y réussit parfaitement. Il y a chez lui, à le lire, non seulement un goût profond pour l’écriture mais aussi une extrême attention aux êtres et aux choses qui l’entourent, une vraie sensibilité, une authentique humanité qui le rapproche par exemple d’un Gustave Roud, avec un sens du tragique, de l’irrémédiable, comme dans l’évocation -admirable à tout point de vue- de la mort du jeune chat.

Le livre réunit deux textes de nature différente. Le premier, en italique, a été écrit dans une sorte d’urgence, juste après la mort du père. Le second, intitulé « Notations », est plus tardif et regroupe des « souvenirs morcelés » qui n’avaient pas trouvé leur place dans le premier. Ce n’est donc pas une redite mais plutôt un changement de focale, ce second texte s’élargissant aux figures des grands-parents et donnant ainsi aux parents, ainsi qu’au fils, une dimension familiale, une assise dans le temps.

Les deux textes diffèrent également par leur forme. Le premier se compose d’une succession de très courts chapitres, d’une page le plus souvent, dont le titre indique la teneur : « Leurs mains, Choses aimées, En réanimation, Ta mort en face, Mauvais fils, Le chemin ensemble, La douleur ». Ce sont autant de jalons sur la route de celui qui fait l’expérience de la perte, en l’occurrence de ses parents à trois ans d’intervalle. Le second texte, moins scandé, plus fluide, est constitué de brefs paragraphes se succédant les uns aux autres en continu, et que viennent émailler vers la fin plusieurs citations d’auteurs : Georges Haldas, Patrice Delbourg, Pierre Guyotat, Léon-Paul Fargue, Philippe Besson, Marina Tsvetaeva.

Si c’est bien ici la mort du père qui est l’objet principal du livre, c’est pourtant celle de la mère qui en fait l’ouverture. Passer par la mère morte pour renouer avec le père, c’est vouloir dire que les deux sont liés, que l’homme dans le père ne se révèle au fils qu’à la mort de la mère. Les trois ans durant lesquels il lui survivra seront l’occasion pour le père et le fils d’apprendre à se connaître. C’est là le vrai sujet du livre, que François Mary aborde avec délicatesse, par petites touches, subtilement. Tout réside ici dans les détails de l’observation, la finesse des sensations et des sentiments. Sans aucune lourdeur ni tricherie. Car la révélation joue dans les deux sens. Révélation de l’homme dans le père pour le fils, on l’a dit, et révélation du fils homosexuel pour le père. Il n’y a plus temps pour les faux-semblants. À la moindre occasion, le père répète au fils qu’« il faut tout nous dire ».

Élargie à d’autres souvenirs et aux ascendants paternel et maternel, la partie « Notations » englobe en quelque sorte le noyau premier de la relation père / fils pour mieux y retourner, d’une autre manière, tout aussi bouleversante. Ainsi ne se découvre qu’à la toute dernière ligne du livre ce qui symbolise peut-être l’intimité d’un père, ce qui en signe l’accès, en tout cas entre lui et son fils : son prénom.

André SAGNE

François Mary est notamment l’auteur de deux récits et de plusieurs livres d’artiste, seul ou en collectif. Il a également rassemblé des dossiers sur plusieurs autres poètes pour la revue des éditions Plein Chant.

Père, François Mary, éditions Plein Chant, 2018, 74 p. 10 euros

UN ANGE À SODOME de Claude Achille Clarac, alias Saint Ours

Michel Rachline (1933-2012), ami proche de Jacques Prévert, écrivain et critique littéraire (il a participé à des émissions littéraires comme « Radioscopie » de Jacques Chancel ou « Apostrophes » de Bernard Pivot) écrivait à propos du recueil de nouvelles de
à propos du recueil de nouvelles de Saint Ours, « Un Ange à Sodome »: « Dans ce livre, Sodome représente l’homosexualité sublimée. Ici, l’ange, c’est l’homme […] Au matin, la Beauté danse ; à la fin, c’est elle qui rend à l’ange son visage d’homme, le seul visage qui ressemble à celui d’un dieu. Ce livre est inoubliable. »

Pourtant, et malheureusement, on a oublié « Un ange à Sodome », publié en 1973 chez Guy Gauthier éditeur. Sera-t-il à nouveau publié avec l’autorisation de l’ayant-droit de Saint Ours, nom de plume de Claude Achille CLARAC (1903-1999) ? Le recueil comporte sept nouvelles, toutes passionnantes et superbement écrites. Ambassadeur de France au Moyen-Orient, au Maroc, en Asie, Claude Clarac a écrit et publié sous le pseudonyme Saint Ours ces nouvelles dont l’inspiration est entièrement homosexuelle. S’il dissimulait ainsi sa propre homosexualité, en raison de sa carrière de diplomate, le silence qui a suivi sa mort en 1999 n’a pas permis que lui soit attribué ce seul ouvrage littéraire dont il fut l’auteur. Roger Peyrefitte n’ignorait pas l’identité de Saint Ours, mais ne l’a jamais ouvertement révélée. Sans doute le mariage (blanc) de Clarac, en 1935 à Téhéran, avec Anne-Marie Schwarzenbach [voir photo ci-dessous], riche héritière, voyageuse, lesbienne à la belle allure de garçon, a-t-il contribué à épaissir ce silence autour de l’auteur d’ »Un ange à Sodome ». Ainsi à l’occasion d’une quinzaine récemment consacrée à Anne-Marie Schwarzenbach, organisée par le Centre culturel franco-allemand de Nantes, Claude Clarac fut-il associé à cette aventurière illustre dans une exposition sous l’intitulé « Achille Clarac et Anne-Marie Schwarzenbach, deux rebelles ». Une autre exposition lui fut consacrée à lui seul, mais exclusivement des « dessins et photographies de l’ambassadeur ». De son livre il n’était pas question.
Les sept nouvelles, « Journal d’un Ange », « L’enlèvement de Ganymède », « Le château des sables (Oukhaidour)
, « L’écurie des Centaures », « Le juge et l’assassin » (sans rapport aucun avec le film du même titre de Bertrand Tavernier, en 1976), « Chronique d’une  » saison des pluies », « Le Bout du Monde », ont chacune un cadre différent : la Sodome biblique où un ange à la beauté renversante est envoyé par Jéhovah, la Troade où vit le bel adolescent Ganymède, un désert oriental, le Siam, l’Anjou, Marrakech…

Si l’auteur fait des emprunts aux mythes bibliques ou grecs dans les deux premières nouvelles, il en réinvente totalement la trame romanesque. Ainsi l’ange qui, sous des traits humains, mais sans expérience des amours terrestres, fait étape à Sodome, succombe-t-il au charme du jeune page Youssef : « (…) nos doigts se touchèrent. Je fus soudain bouleversé. Le cœur que Dieu m’avait prêté se mit à battre follement, ma gorge s’étrangla d’une angoisse dont je ne comprenais pas la cause et une sournoise impatience se nicha en même temps au fond de mes entrailles. » (p. 32). À la cour d’amour qui, semblable aux banquets de la Grèce antique, se tient chez le prince, on devise de l’amour. La plume de l’auteur s’abandonne à des élans lyriques : « Trouverai-je des mots pour célébrer ce dont tu me combles, ô mon bien-aimé ? Je ne sais que me taire quand j’approche ma lèvre de la tienne, car seul importe alors le miel de ta salive et mes yeux s’éblouissent lorsque, plongeant dans les tiens, ils y voient monter la crue de ton désir. » (p. 44). L’ange saura « se désenchanter des cieux » pour accepter l’amour humain des garçons, quitte à se perdre dans le « péché ». On ne peut tout citer de ce texte admirable qui nous fait rencontrer des Sodomites heureux, hospitaliers envers les étrangers comme Tristan, un grand barbare blanc à la chevelure fauve, qui a fui son pays à cause de son amour des garçons, ou comme Alexandre qui préfère « le menton qui râpe et les cuisses velues » aux jeunes gens, aux adolescents, aux gamins dont « la raie du cul sent (encore) le lait ». Dans ces cours d’amour on parle même du prépuce qui « protège le bouton de rose, exquisément sensible, qui ne se découvre qu’à bon escient et symbolise ce qu’il y a de plus délicat dans l’émotion de l’amour. » (p. 42). Le juge et l’assassin rapporte une rencontre amoureuse plus sombre : une nuit, un juge aborde, sur le Champ-de-Mars, André qui sera son assassin. « En répondant à cet appel d’un monde trouble, écrit-il dans son journal, le « Cahier rouge » trouvé après sa mort, je m’avance vers un destin qui m’attire autant qu’il me trouble. » (p.127). Il y relate la première nuit passée avec lui : « Cette nuit-là fut en vérité mémorable. Le fut-elle aussi pour André ? Peut-être après tout. Il mettait à s’ouvrir une frénésie de violence qui n’était qu’un paroxysme de virilité. … Nu, traversant ma chambre avec la précise légèreté qui ne l’abandonnait jamais, il se serait fait hacher plutôt que d’avouer que le plaisir lui remuait déjà les entrailles […] » (p. 128). Quand, dans Chronique d’une saison des pluies, le narrateur délaisse Somnuk, l’adolescent qui s’occupe de ses plantes, il s’intéresse à Wangchaï. « Je pratiquais depuis longtemps Wangchai (…) Le besoin de volupté que j’étais sans doute le seul à lui donner le ramenait toujours chez moi. Cet homme si masculin, si admirablement musclé, si baiseur de filles éprouvait un plaisir délirant à me faire jouir en lui. » (p.147).

Dans une langue riche et toujours maîtrisée, Achille Clarac, alias Saint Ours, sait susciter l’attente et l’intérêt de son lecteur. Il raconte, par exemple, encore une rencontre dans Le Bout du monde, c’est-à-dire la drague d’Antoine, jeune étudiant, à Angers. « Je rêvais aux hasards qui nous avait échoués l’un contre l’autre […] Une aventure ? Il avait pourtant fallu un singulier concours de circonstances pour que je croise Antoine, et le conduise aux Ponts-de-Cé. J’effleurai ses cheveux et sa bouche si légèrement qu’il ne s’éveilla pas, mais puisqu’il fallait que cette minute s’écoulât, je posai ma main sur son sexe comme si j’avais voulu capturer un oiseau. La volupté qui le gonfla lentement dans ma paume dissipa peu à peu l’engourdissement de son sommeil […] je sus qu’il ne dormait plus. » (p.189). « Six années passèrent… », mais nous ne rapporterons pas ici la fin de cette nouvelle qui ressemble tant à la vie.

Comme on le voit, Saint Ours ne s’effraie pas de dire la vérité des rapports charnels, avec à la fois une crudité voulue et une délicatesse poétique, avec en fait beaucoup de vérité. La littérature lui aura donné l’occasion de donner libre cours à l’homosexualité que sa carrière diplomatique (comme son époque) l’a obligé à dissimuler toute sa vie. Ses mots disent avec la plus grande justesse ce qu’il en est de l’amour véritable, de la communion des corps : « Qu’il est difficile, lit-on dans la dernière nouvelle du recueil, d’attribuer à ce fils de famille de dix-huit ans l’érotisme dont je témoigne ici ! Les actes de l’amour, leurs finesses, leurs délires sont de la plus haute poésie, mais ils ont été souillés avec tant de persévérance, que les mots qu’il faut pour les décrie en restent avilis. Est-il possible de les réhabiliter ? Et, si je n’y parviens pas, serai-je taxé de pornographie ? » (p. 205).

A-t-on mieux formulé la question de la « littérature homosexuelle » trop facilement et souvent qualifiée de pornographie en effet ?

Livre inoubliable, en effet. À lire si on le trouve, d’occasion évidemment. Un livre à ne pas oublier !

Voir aussi sur le Bulletin Trimestriel Quintes Feuilles :

https://www.quintes-feuilles.com/wp-content/uploads/BTQ-F3.pdf

Triste information : les ÉDITIONS DE LA DIFFÉRENCE cessent toute activité.

Dans un message adressé aux partenaires, Colette Lambrichs, directrice littéraire des Éditions de la Différence depuis 1976, annonce que la maison est placée en liquidation.

Les Éditions de la Différence ont été mises en liquidation le 20 juin 2017.

Tout le travail accumulé depuis plus de 40 ans va être vendu à l’encan et les collaborateurs de la maison, licenciés […] Le président de la société, n’a pourtant pas ménagé ses efforts pour assurer la pérennité de la maison. Les retours trop nombreux des livres que nous avons publiés ont eu raison de notre résistance.

Peut-être faisons-nous partie du monde d’avant.

Le programme de publications de la rentrée ne pourra être honoré. Il est inutile de vous préciser que nous sommes tous meurtris par cette décision qui va, notamment, empêcher la sortie de la nouvelle traduction du Livro do Desassossego de Fernando Pessoa dans la magnifique traduction de Marie-Hélène Piwnik.

Retrouvez le texte « Sombres jours », signé Colette Lambrichs
https://www.actualitte.com/article/tribunes/sombres-jours/58142

Je salue ici les collaborateurs de la Différence qui ont fait vivre la maison depuis si longtemps et qui sont tous d’une remarquable compétence professionnelle. Ils vont se retrouver au chômage dans un marché de l’emploi toujours plus restreint. […]

À tous les auteurs, traducteurs, peintres, sculpteurs, poètes, amis de la maison, j’adresse un salut fraternel et leur souhaite bon vent dans le monde en marche, qui en dépit des empathies qu’il suscite est sans merci, n’en doutez pas.

Pour clore, ces quelques vers de Joaquim Vital, extraits de Un qui aboie :

« Les années de bonheur, les journées
sans remords, on vous les a offertes,
ô Grands Démolisseurs.
Lourde a été la dîme,
parfaite votre œuvre :
irréparable.

La relance de la mythique collection de poésie, Orphée, initiée en juin 2012 après 14 années d’arrêt, n’aura pas suffi à redresser la barre. En 2011, Claude Mineraud avait repris la maison d’édition, tentant une restructuration complète, et bascule vers une distribution assurée par Interforum, quittant Volumen.

Aucun rachat du catalogue ne serait prévu.