Dans Berlin-poche…

On trouve à Berlin une librairie française, Zadig, où est en vente Une semaine, sept vies de Mario Wirz. On pourra lire ci-dessous la recension élogieuse qui est est faite de ce recueil.

Avatar poétique

Mario Wirz est mort en mai dernier. Séropositif depuis 1985, le poète engagé, Berlinois de cœur, a écrit de nombreux poèmes entre 1981 et 2002, réunis dans une anthologie publiée en 2003. Ce recueil a été traduit dans son intégralité en français par Kai Stefan Fritsch et Bernard Banoun, et le lecteur fancophone ne perd rien à cette lecture bilingue tant l’émotion s’évapore déjà des textes originaux en allemand. La conscience du temps qui passe, qui nous rattrape, l’habitude qui nous dévore chaque jour un peu plus… Wirz expose sa vision animiste du monde, face aux objets qui le touchent, face à la nature qui l’entoure. On en oublierait même l’insignifiance de simples faits quotidiens. Les écrits sont entrecoupés d’illustrations d’Hannes Steinert, artiste connu par son engagement envers le mouvement d’émancipation homosexuelle. Ses œuvres d’hommes nus, s’amusant entre eux, apportent une touche coquine et sensuelle au lyrisme mélancolique de Wirz. Notez le chavirant poème Sommeil rappelant Le Dormeur du val de Rimbaud… Entre parenthèses, dans le titre de l’ouvrage, se lit « Métamorphoses », comme si l’on se métamorphosait à la lecture de ces courts poèmes. On se prend pour le chien du voisin ou pour la corneille qui passe, on entre dans la peau d’un inconnu, dans le métro parisien ou berlinois. Lire Wirz c’est comme se retrouver face à soi-même pour se scruter de l’interieur.

Gaël Boudjema, Berlin-poche Mai 2013

Le 4 avril 2014, à Stuttgart autour de Mario Wirz. In Stuttgart mit Mario Wirz 4. April 2014

Le 4 avril dernier avait lieu à Stuttgart une soirée de lecture en hommage au poète berlinois Mario Wirz, décédé en mai 2013, dont ErosOnyx Éditions vient de publier l’anthologie bilingue Une semaine, sept vies. C’est le peintre et dessinateur Hannes Steinert, illustrateur de ce recueil, qui avait organisé cette soirée dans un original magasin d’antiquités répondant malicieusement au nom français de « Cocotte » et tenu par Steffen Vetter, qui avait généreusement mis les lieux à disposition. Quant à Thomas Ott, le libraire de la librairie gay de Stuttgart « Erlkönig », il présentait – comme on peut le voir sur l’une des photos – des livres de Mario et deux des ouvrages d’ErosOnyx Éditions auxquels a collaboré Hannes.

En cette soirée estivale de ce début d’avril, le public était venu nombreux, plus d’une trentaine de personnes se pressant dans la boutique ou dans l’entrée, voire sur le trottoir. André, le compagnon de Mario Wirz, avait fait le voyage depuis Berlin pour célébrer malgré son deuil la sortie du recueil Une semaine, sept vies et assurer la lecture publique des poèmes en allemand. Lecture pleine d’émotion, on s’en doute, pour lui tout d’abord, puisque c’était là en quelque sorte une première depuis la mort de Mario, mais aussi pour le public.

La soirée, à laquelle assistaient quelques francophones, commença par une présentation de Mario Wirz par Bernard Banoun. Le poète étant un personnage connu en Allemagne, il s’agissait surtout de retracer la manière dont était né ce projet d’anthologie bilingue et de raconter sa réalisation entre Berlin, la Touraine, l’Auvergne et Stuttgart. Ensuite, André J. Walther et Bernard Banoun lurent une quinzaine de poèmes, alternant l’allemand et le français, André ajoutant çà et là quelques mots à propos de poèmes qui lui étaient particulièrement chers ainsi qu’à Mario, évoquant par exemple, avec une émotion communicative, le moment même où tel ou tel de ces poèmes était né. Enfin, les voix et les accents des deux langues se mêlèrent dans la lecture bilingue, d’un vers ou d’un groupe de vers à l’autre, du long poème « Conte de fée ».

Étaient présents également les deux traducteurs de l’anthologie, Bernard Banoun et Kai Stefan Fritsch, ainsi que l’auteur des photos ci-dessous, Martin E. Kautter, que nous remercions chaleureusement de nous avoir autorisés à les reproduire. Habitant près de Stuttgart, Martin E. Kautter a réalisé plusieurs projets avec Mario Wirz, dont un calendrier allant de décembre 2012 à mars 2014, avec des poèmes accompagnés de photos en format CD C’est lui également qui est l’auteur des photographies du livre « culte » d’un autre ami berlinois de Mario Wirz, l’écrivain Michael Sollorz, Benjamins Tagebuch, le journal d’un jeune gay. Le livre vient d’être réédité en Allemagne… malheureusement sans les photos.

Sur les photos on pourra reconnaître les deux traducteurs, l’artiste Hannes Steinert, Andreas J. Walter…

Photos copyright Martin E. Kautter

IN STUTTGART MIT MARIO WIRZ

Am 4. April dieses Jahres fand in Stuttgart in der « Cocotte » eine deutsch-französische Lesung von Gedichten des Ende Mai 2013 verstorbenen Berliner Dichters Mario Wirz statt. ErosOnyx Éditions brachte zum Frühjahr Une semaine, sept vies heraus, eine zweisprachige Sammlung von Gedichten von Mario Wirz, mit Illustrationen von Hannes Steinert.
Hannes Steinert, der in Stuttgart lebende Maler und Zeichner, hatte den Abend zu Ehren von Mario Wirz organisiert und in einem befreundeten Antiquitätenhändler einen besonders großzügigen Gastgeber gefunden : Steffen Vetter hatte seinen wundervollen Laden « Cocotte » der Veranstaltung geöffnet und der Chef des Stuttgarter schwulen Buchladens « Erlkönig », Thomas Ott, hatte sich um den Büchertisch gekümmert. Wie man auf einem der Fotos sieht, waren außer Marios Büchern auch zwei andere bei ErosOnyx erschienene Titel präsent, an denen ebenfalls Hannes Steinert mitgewirkt hat.
Der sommerliche Aprilabend hatte zahlreiche Interessierte in die Stuttgarter Altstadt gelockt. Weit über dreißig Leute drängten sich in dem eher kleinen Laden, einige mussten mit dem Eingangsbereich vorliebnehmen, einige sogar mit dem breiten Gehsteig vor dem Laden.

André, Marios Partner und Lebensgefährte, war zur Feier des Erscheinens von Une semaine, sept vies extra aus Berlin angereist und hatte den deutschen Part der Lesung übernommen. Ein seltenes, seit Marios Tod fast erstes Mal; so las André mit tiefem Gefühl, aufgewühlt und seine Zuhörer aufwühlend.
Die beiden Übersetzer der Gedichte, Bernard Banoun und Kai Stefan Fritsch, waren anwesend und ebenso der Fotograph Martin E. Kautter, der uns freundlicherweise ein paar seiner Fotos zur Verfügung gestellt hat, um hier den Abend veranschaulichen zu können. Ihm sei ganz herzlich Dank. Martin E. Kautter hat mehrfach mit Mario Wirz zusammengearbeitet, unter anderem erschien 2012 ein gemeinsamer Kalender im CD-Format, Fotos und Gedichte vereint in sechzehn Monatsblättern, von Dezember 2012 bis März 2014. Er ist auch der Autor der Fotoserie die das Kultbuch eines anderen Berliner Freundes von Mario begleitet, des Schriftstellers Michael Sollorz : Benjamins Tagebuch , Aufzeichnungen eines jungen Leipziger Schwulen in Berlin. Für die Neuauflage hat der Verlag kurioserweise die Fotos weggelassen. Unverständlich und sehr bedauerlich.

Bernard Banoun eröffnete den Abend mit einigen Worten zu Person und Werk von Mario Wirz, der vielleicht den wenigen französischsprachigen Zuhörern ein noch relativ Unbekannter war. Er ging im Weiteren ein auf die Entstehung und die Verwirklichung der Idee zu dieser deutsch-französischen Gedichtsammlung, im Zusammenspiel von Berlin, Touraine, Auvergne und Stuttgart. Danach lasen André J. Walther und Bernard Banoun etwa fünfzehn Gedichte, deutsch und französisch im Wechsel. André ergänzte, erzählend, erinnernd, immer wieder Details zu einigen Gedichten, die ihm oder Mario besonders nahe waren, zu ihrer Entstehung, zu Situationen, die ihre Entstehung begleitet hatten. Schlussendlich verschmolzen Klang und Melodie beider Sprachen im verwobenen Lesen eines der längeren Gedichte, « Märchen ».

Photos copyright Martin E. Kautter

Sebastiane aux Mots à la Bouche

Le 20 janvier 2014, jour de la saint Sébastien, à la librairie Les Mots à la Bouche (75004 Paris), Didier Roth-Bettoni, avec son éditeur, a présenté son livre Sebastiane ou saint Jarman, cinéaste queer et martyr.

Après un échange avec le public, cette présentation a été suivie d’une signature.

La photo ci-dessous a été prise par Didier Reynaud.

A propos de NETSUKE

« Longtemps la maison châtiée resta en proie aux fantômes de la solitude » – Netsuké , Vent de la Folie dans les Branches (p.91).

Dans la revue Les Temps modernes (N°624, mai-juin-juillet 2003) les curieux pourront lire un article de Philippe Bonnin, dont le titre indique explicitement le sujet :
L’impossible clôture de la maison des contes japonais.

Une bibliographie abondante en fin d’article indique en particulier un livre de René de Ceccaty, Ryôji Nakamura (1999), La princesse qui aimait les chenilles ; Contes et légendes d’Asie, Paris, Philippe Picquier, 157 pages.

Studio Magazine Ciné Live ( avril 2014) : une brève de Xavier Leherpeur sur le SEBASTIANE de Didier Roth-Bettoni chez EO

(Derek Jarman) fut l’un des fers de lance du cinéma gay des années 80, à la fois politique, militant et sophistiqué. Et celui qui découvrit Tilda Swinton (Edward II, The Garden, Caravaggio). Un cinéaste décédé en 1994, souvent minoré, réduit à sa seule homosexualité et qui mérite mieux que cette épitaphe réductrice.

Didier Roth-Bettoni analyse avec acuité et pertinence son œuvre à l’ombre de son premier dont le DVD accompagne le livre.

Xavier Leherpeur, Studio ciné live, avril 2014

BEAUTÉS SICILIENNES à la Galerie Au Bonheur du Jour,

PHOTOGRAPHIES de NUS MASCULINS, PORTRAITS XIXème et LIVRE

Avis aux amateurs de beauté et collectionneurs,

UNE EXPOSITION de photos rares de Gloeden,Plüschow et Galdi,
avec un livre avec 220 nouvelles photos
BEAUTẺS SICILIENNES
et la biographie de chacun des trois auteurs
(248 pages). Relié
Français-Anglais/ French-English

se tiendra du 16 avril au 28 juin 2014
http://www.aubonheurdujour.net/Expositions.html

Parution du catalogue le 15 avril

Vernissage de l’exposition le mardi 15 avriL de 17H A 22H.

lien sur l’exposition et le catalogue :

http://www.aubonheurdujour.net/Expositions.html

Les photographies sont déjà présentées aux murs de la galerie. Suite dans le boudoir de nouveaux dessins et peintures

Galerie Au Bonheur du Jour – du mardi au samedi 14H30-19H30
11 rue Chabanais
75002 Paris

Tél. 01 42 96 58 64

www.aubonheurdujour.net
http://www.aubonheurdujour.net/CP-Beautes.pdf
http://www.aubonheurdujour.net/CP-Beautes-GB.pdf

HOMMAGE d’EROSONYX à Régine DEFORGES

HOMMAGE d’EROSONYX à Régine DEFORGES

À l’annonce de la mort de Régine Deforges le 3 avril 2014, ErosOnyx a une pensée émue pour cette femme de multiples passions. Pour l’éditrice d’œuvres érotiques en particulier quand elle lança sa maison L’Or du Temps en 1968. Et bien sûr pour l’éditrice qui, dans les années 1970 et 1980, donna un nouveau public à Renée Vivien (1887-1909), non seulement en republiant d’abord Études et Préludes et Cendres et Poussières en 1976 dans la maison qui portera désormais son nom, puis l’année suivante son roman Une femme m’apparut et le recueil de nouvelles La Dame à la Louve, et en 1986 son œuvre poétique sous le titre Œuvre poétique complète de Renée Vivien, édition confiée à Jean-Paul Goujon, titres tous introuvables depuis des décennies. La même année, encore au fin lettré Jean-Paul Goujon elle confia la biographie qui fait toujours référence, de la poétesse du Paris Lesbos 1900, intitulée Tes blessures sont plus douces que leurs caresses. C’est sur les pas de Régine Deforges que nous nous sommes lancés dans la réédition progressive de l’œuvre de la « Sapho 1900 ».

Régine Deforges fut de flammes rousses comme ses cheveux, sentant le soufre et sachant qu’elles ne seront jamais mièvres, les pages de prose et de vers de Renée Vivien que ses admirateurs des deux sexes nomment la Muse aux violettes.

INVERSES – HORS SERIE 2014 : YVES NAVARRE, UN CŒUR QUI COGNE

Nombreux, dit-on, sont les grands écrivains des deux sexes qui doivent, après leur mort, traverser un purgatoire plus ou moins long. Yves Navarre (1940-1994) semble bien être de ceux-là.

Patrick Dubuis, président de la Société des Amis d’Axieros, éditrice de la revue annuelle Inverses qui en est à sa treizième édition depuis 2000, partenaire d’ErosOnyx Editions, est à l’initiative d’un Hors Série à rebours de ce purgatoire justement, recueil de 172 pages à saluer comme il le mérite, avec sa couverture où Navarre, dans les bleus, nous regarde dans les yeux, sur son titre d’un blanc pur : Yves Navarre Vingt ans après…

Et si l’une des clefs possibles de ce purgatoire nous était donnée dès le premier article, de Patrick Dubuis, consacrée aux premiers romans de l’auteur : « Peut-être qu’Yves Navarre n’était pas en paix avec lui-même et, en particulier, avec son homosexualité qu’il n’aurait pas si bien assumée qu’il voulait le laisser paraître. » ?

Car c’est une évidence : comment un écrivain pourrait-il se contenter de bien vivre son époque et de bien se vivre ? La force, la profondeur, l’épaisseur d’un artiste ne sont-elles pas précisément dans cette distorsion compliquée entre son temps et sa propre histoire : être tout à la fois reflet, pionnier et étranger à son temps par sa singularité même ? Le pouls de l’écriture homosensuelle d’Yves Navarre, comme il aimait à la qualifier et se qualifier, est d’avoir, sa vie durant, reflété un cœur qui cogne, pour reprendre le titre de l’un de ses romans, un cœur battant et toujours inadapté, dans sa famille comme dans la société, dans les mouvements de pensée de son époque comme dans sa vie sexuelle et sentimentale, jamais calme, dans la drague comme dans la passion pourtant recherchée à corps et cœur perdus.

Qu’on lise, qu’on dise, qu’on écoute ses phrases, qu’on les regarde aussi – son écriture manuscrite est elle-même saltimbanque, entre élégance, ruptures et tourments, comme le montrent, dans ce Hors Série, les pages reproduites de certains de ses manuscrits, dont le dernier extrait d’un roman inédit ‒, partout, c’est la même tachycardie.

Navarre, comme son écriture, comme son style, est tour à tour lyrique et cassé, aigu et tendre, fier et condamné à l’essoufflement de chaque instant. Vivre toujours au bord du précipice. Avec la force et le risque que donne cette indécision. Le souffle, et donc la phrase, court toujours le risque de manquer, doit souvent se poser pour se recomposer, dans l’imminence constante d’une attaque. Chez Navarre, il y a une lèpre qui ronge le cœur depuis toujours, syphilis des Loukoums, sida de Ce sont amis que vent emporte, mort si intime que c’est vivre qui devient une condamnation, mais aussi une gloire, gloire de se conquérir à chaque respiration, à chaque phrase. Si peu d’apaisement pour tant de paradoxes et de revirements. Proie et cannibale, Yvette dans la cour de récré et dandy moustachu fumant nu dans un magazine disparu au bout de quelques numéros, L’Amour, Yves Navarre nu, fragilement nu, gland décalotté pour émouvoir autant qu’attiser, killer et galopin, jamais acclimaté au jardin des bourgeois mais aussi des militants de la revue Masques. Tenir le plus longtemps possible, vivre le temps de s’attacher, le temps voulu mais vite renoncé, fort et faible de son enfance, fort et faible de l’amour inquiet de sa mère entre des mâles de béton armé, aimé aimant et mal aimé mal aimant, tenir le plus longtemps possible avant que tout (…) devienne insupportable !

C’est cette chamade violente et mélodieuse que l’on entend à travers les articles et les témoignages de ce Hors Série où passe Yves Navarre, et toute sa nébuleuse de paradoxes, dans ses fiertés d’homosensuel revendiqué et ses détresses d’un impossible apaisement. Et tant pis si ça dérange à l’époque du mariage pour tous ! C’est la gloire libre du paria de devenir amant et bourreau des idées, des émotions, des corps et des mots. Amant et bourreau des mots pour en extraire son beau tour à tour fracturé et caressant, le beau des phrases de Navarre à faire longtemps rouler en bouche. Sexe, pensées, sentiments, cœur et encre, tout, chez Navarre, cogne de sang vif et torturé… vingt ans après et pour longtemps, parce que c’est triste, parce que c’est beau !

Pierre Lacroix

QUEER CLUB DES CINQ ?

QUEER CLUB DES CINQ ?

Lundi 3 mars 2014, dans Libération, m’attire un titre : « Faut-il brûler le Club des Cinq ? ». L’article est de Philippe Reigné, signataire de la pétition “ les Études de genre, la Recherche et l’Éducation : la bonne rencontre”, pétition ouverte le 5 février 2014 sur le site Petitionpublique.fr. Il revisite malicieusement la série d’Enid Blyton, publiée Outre-Manche de 1942 à 1963 et traduite en France pour la Bibliothèque Rose chez Hachette, de 1955 à 1967, avec un succès qui ne s’est jamais démenti depuis, comme le montrent couvertures et illustrations qui varient au gré des modes de chaque génération.

L’article me fait l’effet radieux de réminiscences, comme le retour encore vague de la saveur des miettes de madeleine imbibées de thé ou de tilleul tiède et savourées par le narrateur dans À la recherche du temps perdu, au chevet de Tante Léonie, le dimanche matin avant la messe… Je revois le cosy-corner autour du divan rouge où je dormais, meuble de fille qu’on avait bien voulu installer dans ma chambre, tout éclairé de rose et de vert : le vert, c’étaient les Alice de Caroline Quine, cette jeune fille libre comme le vent dans la voiture bleue décapotée qui la menait sur les routes de Californie, Sherlock Holmes blond et téméraire, damant le pion à tous les affreux et tous les méchants, avec la bénédiction de son élégant père veuf, le seul prince charmant d’Alice qui ne vit que pour ses enquêtes…

Et puis, le rose, c’était le Club des Cinq… L’article de Philippe Reigné me donne envie d’exhumer d’une armoire du grenier un titre dont me restent de vagues souvenirs de plaisir solitaire, dans la grange qui sentait bon les vaches et le foin… Mes parents fermiers me laissaient lire tout mon saoul et j’ai gardé ou racheté quelques-uns des titres rangés dans le cosy. Celui-là me rend, cinquante ans après, une bonne bouffée de vacances de Pâques, fouettées de pluie et fleuries de coucous, un souterrain sous la mer entre une falaise et une île hantée par les ruines de vielles tours, un chien aussi futé que les quatre adolescents de la bande, deux filles et deux garçons, des queues blanches de lapins qui détalent à chaque page !

Je relis donc non pas Le Club des Cinq et le trésor de l’île dont parle Philippe Reigné, mais Le Club des Cinq joue et gagne (première parution en français chez Hachette, 1956) Et le plaisir est double.

Celui de retrouver la chamade de l’enquête. Le chien Dagobert s’y conduit en héros pour sauver des mains de sales bandits rapaces, en quête de brevets d’invention, un carnet où se trouve, consignée en dessins et en mots, une découverte essentielle pour le progrès de l’humanité. De jeunes adolescents bravent un revolver dans des souterrains d’effroi, pour sauver leur île, leur père ou oncle – savant inapte à la réalité, impérieux, fou et lumineux à la fois, avec la tête dans les nuages de ses recherches – sans oublier Dagobert, aussi intelligent qu’instinctif, aussi gourmand que tendre. Oui, un des charmes de la série du Club des Cinq, c’est de faire d’un bon bâtard de chien un personnage à part entière dans une intrigue bien menée où l’on est dans un réel qui fait rêver et réfléchir, avec des personnages pas si conformistes psychologiquement que l’étiquette “bibliothèque rose” pourrait le laisser penser.

Car le relire, après l’article de Philippe Reigné, fait descendre dans des strates plus nuancées que celles d’un bon roman palpitant de fin d’enfance. Plaisir sans doute inconscient entre huit et douze ans et qui se libère maintenant, servi d’ailleurs par les premières illustrations de Simone Baudoin – dans l’édition que j’ai sous les yeux – qui se plaît à souligner l’androgynie bouclée de Claude. Oui, on avait remarqué que Claudine / Claude avait tout du garçon manqué, qu’Annie était plus réservée et douce, que François était plus maître de lui que Mick, son frère plus impulsif, mais l’on pouvait penser qu’il ne s’agissait que d’esquisses différentes pour la clarté du récit et la variété de dialogues abondants.
Or, le texte fait effectivement la part belle à la cloison japonaise mobile entre masculin et féminin, pour deux personnages du titre Le Club des Cinq joue et gagne, en pleine confusion revendiquée de genre et d’ailleurs acceptée par les personnages positifs du roman. Il s’agit de Claude, bien sûr, et d’un autre personnage, Martin, qui ne fait pas partie du Club mais se révèle important au fil de l’histoire, entraîné dans la spirale de courage de ses camarades.
Commençons par l’intrépide maîtresse du chien Dag, inséparable de lui, ainsi décrite dès le tout début du roman :

En dépit de ses cheveux bouclés coupés court, Claude n’était pas un garçon mais bien la cousine d’Annie, officiellement appelée « Claudine » et plus connue cependant sous le nom de Claude, par la force des choses, car elle refusait de répondre à quiconque l’appelait autrement.

Le portrait se précise un peu plus loin :

Claude était difficile à vivre. Elle se montait aisément contre son père… à qui elle ressemblait étonnamment tant par ses sautes d’humeur que pour son caractère ombrageux. Si seulement Claude avait eu la douceur et la gentillesse de ses cousins […] François lui administra une claque amicale sur l’épaule. « Bonne vieille Claude ! Non seulement elle a appris à céder mais encore avec le sourire. Quand tu te conduis de cette façon, Claude, tu ressembles tout à fait à un garçon. »

Claude se rengorgea, ravie du compliment de François. Elle n’aurait voulu pour rien au monde être mesquine, rancunière et méchante comme tant de filles de sa connaissance, sans compter qu’elle avait toujours regretté de ne pas être un garçon. Mais Annie ne réagit pas de la même façon.

« Il n’y a pas que les garçons qui savent céder de bonne grâce. Des quantités de filles en font autant. En tout cas, j’ai bien l’impression que c’est ce que je fais, moi, s’écria-t-elle avec indignation. »

Pas simple, chez Enid Blyton, la couture qui sépare fille et garçon ! Claude est la seule des quatre du Club à savoir se rendre sur son île (oui, tous les membres de la famille reconnaissent qu’il s’agit de son domaine) de Kernach en évitant les nombreux écueils qui rendent son approche périlleuse. Rien d’étonnant alors qu’elle ait conquis la complicité de tous les marins et pêcheurs du rivage ! À son cousin Michel, dit Mick, qui la qualifie de « garçon rudement efféminé », elle réplique vertement !

« Claude prit feu aussitôt : « Moi, j’ai l’air d’une fille ? Allons donc, j’ai plus de taches de rousseur que toi, et d’une. Et j’ai une voix plus grave que la tienne. Et de deux.
– Tu es idiote, répliqua Mick d’un ton dégoûté. Comme si seuls les garçons avaient des taches de rousseur ! Toutes les filles en ont aussi. Je suis persuadé que ce Martin savait parfaitement ne pas avoir affaire à un garçon. Il voulait te flatter. Il avait dû entendre parler de ton goût pour jouer à ce que tu n’es pas !»

La psychologie se corse : Mick jalouserait-il l’audace de Claude de « jouer » à ce qu’elle n’est pas ? Et jalouserait-il l’intuition qui a rendu Martin sensible au jeu de Claude et donc désireux de reconnaître le droit de Claude à ce jeu ? Ce Martin subtil est le fils présumé d’un vieil homme aux sourcils broussailleux, venu étrangement s’installer sur la falaise, près de la maison du garde-côte, sans motif apparent… Étrange Martin aussi, solitaire, mélancolique, qui va lentement séduire les Cinq, par sa singularité justement :

« Il passa la main derrière la seconde rangée de livres et extirpa un assez grand carton à dessin qu’il posa sur la table. Il en tira plusieurs feuilles de papier.
« Oh ! c’est merveilleux ! » s’écria Annie. Elle était un peu étonnée, car elle ne se serait pas attendue à ce qu’un garçon dessinât des fleurs, des arbres, des oiseaux et des papillons. Et surtout avec une telle perfection dans le détail et les couleurs.»
[…]
« Votre père estime que vous n’avez pas assez de talent pour que ce soit la peine de continuer à vous perfectionner ? demanda (François).
– Il déteste mes dessins, répondit Martin avec amertume. Je m’étais enfui du collège pour m’inscrire aux Beaux-Arts, mais il m’a rattrapé et m’a interdit de peindre. Il trouve que c’est une occupation trop veule pour un homme. Alors je le fais en cachette.»
Les enfants regardaient Martin avec sympathie. Ne plus avoir sa mère et, de surcroît, avoir un père qui déteste ce qu’on aime le plus paraissait atroce. Rien d’étonnant que Martin eût toujours l’air triste, malheureux et renfermé !

Heureusement, pour Martin, il y a la proximité du garde-côte qui aime fabriquer des maquettes et personnages en miniature, et les lui fait peindre en l’invitant dans sa maison, près du télescope qui ouvre tous les horizons.

La mer, dans ce roman d’Enid Blyton, fait se révéler les personnages les plus secrets : Claude est fière (fier ?) que l’île de Kernach lui ait valu sa réputation de hardi marin et que Dag le chien fasse d’elle une amazone des enquêtes… dont le Club des Cinq ne sort victorieux que grâce au vaillant limier ! Quant à Martin, on apprendra que l’homme qui le tyrannise n’est en fait qu’un tuteur qui veut faire de lui son sbire en art de briganderie. Le père de Claude, deus ex machina, aussi sensible que savant, offrira un bel avenir à Martin :

« Les enfants échafaudèrent des plans d’avenir pour Martin : « Vous habiterez avec le garde-côte. Il vous aime beaucoup…, il ne cessait de répéter que vous n’étiez pas méchant ! Et l’oncle Henri verra s’il peut vous inscrire aux Beaux-Arts. Il dit que vous méritez une récompense pour avoir aidé à sauvegarder sa précieuse invention ! »
Martin débordait de joie. On aurait dit qu’un poids lui avait été enlevé des épaules. « Je n’avais pas pu travailler comme il le fallait jusqu’à présent, mais attendez et vous verrez ! J’arriverai à quelque chose, j’en suis sûr. »

Happy end de roman pour l’enfance, oui, mais pas seulement. Garçon manqué devenu héros et vilain petit canard devenu cygne ! On pense, mutatis mutandis, aux films Tomboy (2011) de Céline Sciamma et Billy Elliot (2000) de Stephen Daldry. Merci à Philippe Reignié de m’avoir fait relire Le Club des Cinq joue et gagne ! Rose, la Bibliothèque Rose ? Pas si rose que ça, comme Les malheurs de Sophie, un de ses fleurons, le montre depuis plus d’un siècle à tant de lecteurs en tout genre. Si l’on rajoute qu’Enid Blyton a mis beaucoup d’elle en Claude et que la Comtesse de Ségur se sentait très proche de son petit démon de Sophie, la lecture mérite et méritera longtemps sa gloire de vice impuni.

Pierre Lacroix, printemps 2014

Brigitte Fontaine, dans son dernier album, « J’ai l’honneur d’être » nous offre une coupe de poison à sa façon.

Brigitte Fontaine, dans son dernier album, « J’ai l’honneur d’être » (septembre 2013) nous offre une chanson pas simple, une belle coupe de poison à sa façon.

LES HOMMES PRÉFÈRENT LES HOMMES

C’EST TANT PIS POUR NOS POMMES

(…)

LES HOMMES PRÉFÈRENT LES HOMMES

C’EST TANT PIS POUR LEURS POMMES

On le sait, elle le chante et le vit depuis toujours :

J’aime les avis

Les moins partagés

J’aime les orties

Les ronces les fées

Brigitte Fontaine n’a jamais fait dans le cucul convivial, dans la bien-pensance. Elle est fille de Lilith et de Maldoror. Elle chante ce qu’elle a dans le sang, et c’est toujours si fort, de musique et de mots, que c’est à méditer. Dans la lignée du livre « La maladie de la mort » de Marguerite Duras et du film « Anatomie de l’enfer » de Catherine Breillat, elle verse, dans son album J’ai l’honneur d’être, aux hommes qui préfèrent les hommes, une étrange gorgée de diamants noirs pilés, une déclaration d’Amazone. Les hommes préfèrent les hommes, c’est une chanson étrange, au vitriol, libre, femme, saignante de phantasmes qui sont une caricature inspirée de la noire galaxie de la baise entre mâles ! Hommage ironique à ces super-mecs, sans une once de féminité, cruels, repus de guerre, de sang et de cul ?

Agacée aussi par la « rhinocérite » à la Ionesco du mariage pour tous, Brigitte ? Peut-être… et c’est son droit, elle qui aime l’émotion à vif de l’homosexualité. On entend beaucoup de non-dit, dans la fureur stylée de cette chanson troublante, comme un grief des femmes aux hommes qui se passeraient désormais d’elles. C’est comme si elle nous disait : « Allez ! les homos, vous rangez pas trop dans votre ghetto ! N’oubliez pas La non demande en mariage de Brassens ! Vous coupez jamais du cœur, des tourments, des déchirures et des sanglots d’Éros ! Elle n’a pas oublié les combats des années 70, Brigitte Fontaine, où les homos scintillaient de leur marge à vif, entre les cuirs et dentelles du film Pink Narcissus de James Bidgood et les récits de chasse amoureuse de Tricks de Renaud Camus… Mais qu’est-ce que vous allez foutre de l’hypocrisie du mariage ? Comme si la chanteuse-Pythonisse craignait, avec son humour toujours, que le mariage pour tous n’accroisse la guerre des sexes, « l’ère du verseau… chez les barbeaux. »

Écoutons surtout ses vers de Pythonisse sibylline :

Les hommes préfèrent les hommes

Ils s’entrebaisent comme

Les bijoux de la reine

Dans le coffret d’ébène

Même chez les truands

On les voit dans le sang

Agitant leur sacrum

En hommage à Sodome

(…)

Éros en a assez

Des vamps et des poupées

Il lui faut un grand nombre

De dards et d’œillets sombres

De muscles et de poils drus

De violence et de cul

Puisqu’ils sont tous pédés

Songeons à nous armer

(…)

Moi, Brigitte, quand il a cette gueule, ton cri du cœur, ton cri de guerre, je me sens homo et pas maso en aimant ta chanson car je sais que ce n’est pas des homos Pierrots que tu parles mais d’un cauchemar de nuit des Longs Couteaux, d’une backroom chez Barbe-Bleue, qui deviendraient poème par tes mots !

Pierre Lacroix, automne 2013