Dans LE MONDE, dans LES INROCKUPTIBLES…

Les années sida à l’écran de Didier Roth-Bettoni. Préface de Christophe Martet, ErosOnyx, « Images », 136 p. + 1 DVD, 25 €.

En décernant son Grand Prix du Jury au film de Robin Campillo, 120 battements par minute, le festival de Cannes fait entrer l’histoire de la lutte contre le sida dans celle du cinéma.
Également couronné par la Queer Palm 2017 et le prix François-Chalais, ce film consacré à Act Up, l’association la plus emblématique de ce combat contre la maladie, devient ainsi d’emblée un des jalons essentiels de trente-cinq ans de films ayant abordé le sida, sa réalité et sa perception sensible. Documentaires, téléfilms ou fictions pour le grand écran racontent depuis plus de trois décennies une maladie parfois privée de visage, disputée entre l’allégorie, le drame et le réquisitoire.
Kyrielle de deuils, de vagues de haine et de rejet, de solidarités et de colères aussi, de violence homophobe et de riposte provocante, ces années sombres ont laissé des images quand la parole se faisait pâle, voire inaudible. Revisitant ce corpus cinématographique aussi riche que contrasté, Didier Roth-Bettoni, à qui l’on doit une somme sur L’Homosexualité au cinéma (La Musardine, 2007) livre une lecture érudite et engagée de ces « années sida à l’écran » en prélude à la vision de la fable « electropop » survitaminée et irrévérencieuse du canadien John Greyson, Zero Patience (1993), offert en DVD comme le veut la collection « Images » d’ErosOnyx, où Roth-Bettoni a déjà célébré Derek Jarman (Sebastiane ou saint Jarman, 2013) et Philippe Vallois (Différents ! 2016). Inclassable « musical » militant, ce film, sorti entre Les Nuits fauves de Cyril Collard et Philadelphia de Jonathan Demme, ne concourut ni aux César ni aux Oscar mais marqua un tournant dans la vision de la maladie comme dans la position d’où l’observer.

C’est la force de cet essai qui dégage les inflexions ou les retournements qui modifient au fil des ans la lecture du tableau.

Depuis 1985, prise de conscience collective, premières images, premières violences, un lent travail didactique transforme le regard du grand public, naguère terrifié, devenu compassionnel ; il n’a qu’un défaut : placer le malade à la périphérie, le cheminement des « autres », vers plus d’humanité, passant par sa marginalisation narrative. Une bienveillance qui estompe le vécu des séropositifs, leur quotidien et leur combat – face au mal et contre la sphère publique qui les abandonne. C’est du sein de la communauté gay que viennent des films plus âpres, refusant la bien-pensance, qui célèbrent l’activisme radical, le secours des associations LGBT, la recomposition de ces familles « queer », irénique phalanstère utopique où la lutte est affaire de solidarité sans faille.

Composant une sorte de mausolée – les musiciens parleraient de tombeau – à tous ceux qui sont partis, à ceux qui ont lutté et dont la trace a peu à peu déjoué les poncifs et pulvérisé les fantasmes, Roth-Bettoni mène le même combat que Campillo. Vibrant et militant.

Philippe-Jean Catinchi LE MONDE vendr. 2 juin 2017