Cahiers d’Histoire n° 119 Nicole G. Albert a lu « Bougres de vies » (Queer lives)

Cahiers d’Histoire N°199 avril-juin 2012

[…] Les remords, la honte et la culpabilité n’entachent pas l’amour du mâle qui éclate à chaque page du volume. Le rapprochement des corps, la fièvre des enlacements, l’âpreté des rapports, l’usure des sentiments et la satiété des sens se répondent et dessinent la cartographie d’attachements contrarié ; la crudité de l’expression et la précision des actes décrits anticipent Le Livre blanc de Jean Cocteau, annoncent, sous une forme embryonnaire, la littérature homosexuelle d’après 1968, de Pierre Guyotat à Hervé Guibert. Car ce « livre des vies coupables », titre que le docteur Lacassagne songeait à adopter pour un recueil regroupant les confessions de criminels déviants, est aussi un livre de vies libres, une liberté qui emprunte plusieurs voies : celle du travestissement et du music-hall pour Belorget, celle du meurtre pour Charles Double, celle du fantasme pour les fétichistes, celle des amours d’une nuit.

Ces peintures d’une incroyable vitalité mettent également au jour le caractère foncièrement homoérotique d’une société corsetée, mais où les identités sont pour le moins fluctuantes. Les personnages secondaires méritent en cela une attention particulière : autour des ces huit invertis-nés gravitent les vieux marcheurs, les domestiques débauchés […], les amis intimes complices des plaisirs solitaires, les amants de passage — souteneurs, hommes mariés et hommes à femmes que la recherche de la volupté entraîne tout naturellement sur les chemins de Sodome ou auxquels une hétérosexualité de façade sert à garantir la respectabilité.[…]

Nicole G. Albert
Voir article entier à http://journals.openedition.org/chrhc/2857

Info.biz Québec et H comme…

Hannes Steinert dans H comme… , unit le dessin de corps d’éphèbes et la poésie « comme le membre à l’anus ». C’est un recueil qui montre la beauté sous ces deux aspects. Le lecteur y fait des découvertes assez surprenantes dont ce texte de William Shakespeare en parlant de la Nature et du membre viril de l’homme : « Elle t’a équipé pour le plaisir de la femme, Donne-moi ton amour, et ne leur laisse que le fruit. » Des écrits qui ressemblent à la pensée de la Grèce antique face aux amours masculines.

Un livre dont les illustrations peuvent faire rêver et dont les écrits érotisent l’âme.

FUGUES (Montréal) à propos de BOUGRES DE VIES

Nous vivons dans une société où la sexualité est omniprésente dans les médias, mais il n’en fut pas de même jusqu’à un passé très récent. De fait, plus on recule dans le temps et plus l’information se fait rare. Il faut dire que le papier était précieux et ne se prêtait guère à des consi-dérations inutiles : pourquoi y coucher ce qui, à l’époque, était évident? C’est donc très souvent par l’intermédiaire des codes criminels, des procès ou, même, des graffitis, que l’on peut extrapoler ce qu’était, à un moment donné de l’histoire, la conception de la sexualité. Il en est de même au 19e siècle, qui nous semble pourtant si près de nous : On sait que l’homosexualité était criminalisée, mais que savons-nous de la perception qu’avaient les hommes de l’époque quant à leur orientation? Presque rien, si ce n’était de certains écrits où certains d’entre eux se décrivent et se racontent. La plupart de ces récits furent rédigés à la demande des tribunaux et sont même utilisés à charge contre ces derniers. Cependant, on retrouve également quelques textes écrits spontanément et sans contrainte. Évidemment, nul ne peut faire abstraction du contexte profondément homophobe de l’époque ce qui ne peut que biaiser les explications de ces hommes quant aux causes de leur penchant. On y retrouve néanmoins, une quantité impressionnante d’informations relatives à leur enfance, adolescence, passage à l’âge adulte, découverte de la sexualité et désir pour d’autres hommes. Les classes sociales et métiers sont divers et les fantasmatiques également, mais le propos toujours intéressant bien que dramatique (contexte oblige).

Le tout s’étale de 1845 à 1905 et offre un portrait unique et fascinant de l’époque.

Bougres de vies (Queer lives) : Huit homosexuels du XIXe siècle se racontent / William A. Peniston & Nancy Erber, Courbesserre Village, Cassaniouze, France: ErosOnyx Éditions, 2012. 215p.

BLEU D’ENCRE – Le Langage des Fleurs de Pauline Tarn (Renée Vivien), n° 27, été 2012

Ouvre cet inédit la photo de Pauline Tarn,  » une poétesse en fleurs », future Renée Vivien dont dix recueils de poèmes (1901-1910) ont déjà été regroupés et publiés en 2009 par ErosOnyx. Pour clore l’opus poétique, Nicole G. Albert, spécialiste de la littérature fin-de-siècle et de Renée Vivien, et PIerre Lacroix, ont reproduit le manuscrit original, émaillé de ratures, que leur a confié Imogen Bright, petite-nièce de l’auteure. Ce qui permet de découvrir la graphie « étonnamment mûre d’une jeune fille d’à peine dix-huit ans ».

Cette « lyricine débutante », passionnée de botanique, trouve son inspiration dans les jardins, les décors champêtres et sylvestres. Dans ce recueil, elle revendique le divin langage des fleurs si riche et complexe et le sauve de la désuétude. Elle décline leur rôle sélamique (c’est-à-dire porteur de message), soulignant leur pouvoir de transmettre des choses indicibles, de convoquer images et souvenirs, tressant un lien avec le passé. Elle nous offre un bouquet composé de trente-trois fleurs, au fil des saisons, exhalant leurs parfums capiteux, enivrants, troublants, leurs senteurs vertigineuses.
Véritable féerie de couleurs : fleurs vermeilles, rose délicat, carmin, émeraude…

Les poèmes de Pauline Tarn symbolisent des sentiments tels que le chagrin, la douleur, la résignation, l’amour, le souvenir de jours heureux, l’espérance…

Sa prédilection pour les violettes les rend omniprésentes. Pauline Tarn sait nous émouvoir quand elle évoque les violettes blanches dont la destinée est de rejoindre un défunt. Le lis évoque toujours l’innocence et la pureté, mais c’est aussi une fleur funéraire. La rose reste l’ambassadrice de l’amour et de la tendresse. Le muguet réconcilie l’homme avec les valeurs de bonté et de fidélité. La fleur d’amandier, elle, est gage de bonheur et de constance. La tubéreuse rappelle à une jeune fille son premier bal. Quant à la flore salutaire – mimosa, souci… -, elle est recommandée pour ses vertus lénifiantes.
On assiste à la métamorphose des pois de senteur : mille ailes posées, frémissantes dans un jardin au printemps ou à l’éclosion de ces constellations de blanches pâquerettes, la voie lactée des champs. Les crocus donnent le signal de l’explosion printanière. Le peintre fige l’or vivant des jonquilles sur sa toile; la blancheur des flocons d’une frêle anémone égare le musicien dans un bois rêveur et lui rappelle l’inspiration perdue. Les camélias sont associés à un soir à l’Opéra, des images d’Italie jaillissent des violettes de Parme : beaux lacs bleus dormants, merveilles de Rome …Parfois le sens est fondé sur leur appellation anglaise, comme clef du ciel pour la valériane rouge. L’enfance se reflète dans les boutons d’or et le lilas.

Ce projet fleuri nous fait découvrir toute une symbolique
personnelle des fleurs. Pauline Tarn, par son engouement, rejoint les chantres de la beauté éphémère des fleurs. Qu’elles soient aussi les messagères de nos pensées et de nos émotions ! Cet inédit de Pauline Tarn, traversé de sons de mandolines, de musique, de chants, séduit par sa fraîcheur, sa grâce, son charme et procure aux sens, par une jeu de correspondances, un festival de plaisirs tout à la fois olfactifs, auditifs et visuels.

La Muse aux violettes était née.

Nadine DOYEN

Le Langage des Fleurs dans Lesbia Mag

C’est grâce à Imogen Bright, petite-nièce de Renée Vivien, que les éditions ErosOnyx ont pu publier ce recueil de poèmes révélateur du talent précoce de Vivien. Le Langage des Fleurs, présenté par Nicole G. Albert, fut rédigé entre 1893 et 1895, alors que Pauline n’a 17 ans. Véritable œuvre de jeunesse donc, la poétesse en herbe se révèle déjà une grande amoureuse de la nature dans laquelle elle aime gambader et surtout une grande connaisseuse de la botanique et des fleurs en particulier. Ces poèmes sont pour la plupart composés d’alexandrins ou d’octosyllabes, et énumèrent environ trente-trois fleurs que Pauline habille de tristesse, de mélancolie, de légèreté, de gaîté… C’est selon… Par exemple le lilas ne pourra être traité sur le même ton que la rose ou la violette. Un ensemble de poèmes à lire absolument car ils sont annonciateurs de grand talent de « La Muse aux violettes ». Le recueil est complété par une reproduction des douze pages du manuscrit du Langage des Fleurs communiqué par Imogen Bright. On y constate une écriture « étonnament mûre » pour une jeune fille de 17 ans qui n’hésitait pas à raturer…

En librairie en mars 2012

Jacqueline Pasquier

L’Association des Professeurs de Lettres a aimé GHASELS

Les éditions ErosOnyx, auxquelles collabore notre collègue Pierre-François Lacroix et dont nous avons recensé ici plusieurs ouvrages, consacrent leur dernière livraison au poète allemand August von Platen (1796-1835), dont une copieuse introduction raconte la vie brève et tourmentée.

Écartelé entre son attirance pour la beauté masculine et une exigence esthétique, intellectuelle et morale qui lui représente l’amour charnel comme trop vil et pour ainsi dire cadavérique, von Platen trouva dans la poésie le lieu où dépasser cette contradiction, sublimer son désir et réaliser l’amour éthéré auquel aspirait tout son être. La découverte, dans le texte, du poète persan Hafiz (1320-1389), maître reconnu du ghasel, lui en offrit le moyen. Ce genre poétique très codifié, qui connut une première vogue au VIème siècle, et l’œuvre d’Hafiz avaient déjà inspiré Goethe, mais sans qu’il eût transposé la forme elle-même ni d’ailleurs la substance amoureuse. Chez Hafiz en effet, le ghasel, poème à la fois galant et mystique, célèbre une figure idéalisée composée de tous les garçons aimés. C’est ce qu’il redevient avec Platen, qui, grâce à la rencontre littéraire du poète persan, a su, par delà une vie sentimentale forcément décevante parce que forcément terrestre, se réaliser indissociablement comme homme et comme artiste. Il était donc naturel qu’aux trois éditions de ses Ghasels fût associé Le Miroir d’Hafiz : Michèle Rey y joint en outre Les Dernières Poésies dans l’esprit d’Anacréon, qui, sans rompre l’harmonie de cette édition, manifestent l’érudition de von Platen et la variété de ses influences, comme une fraternité poétique et amoureuse à travers les siècles et les civilisations.

C’est au reste la première fois que les Ghasels sont éditées dans l’ordre chronologique, la première fois aussi qu’ils sont traduits en français et il en rendre grâce à Michèle Rey, qui a accompli là un travail remarquable et nécessaire. Son introduction, qui on l’a dit, analyse l’éducation sentimentale de von Platen toute tendue vers son accomplissement littéraire, s’achève, en toute logique, sur une étude du genre et des influences ; trois pages de notes éclaircissent les références contenues dans les poèmes ; une chronologie et une bibliographie closent enfin ce précieux volume.

Romain Vignest

www.aplettres.org

sur Strip Hotel

Encres Vagabondes
David Nahmias
(14/12/11)
Jacques ASTRUC

STRIP HOTEL

À Ashville, aux abords d’une voie ferrée, se dresse un vieil immeuble en briques rouges. Sur son enseigne, on peut lire : Strip Hotel. Dans son hall un imposant canapé trône, un large vase chinois monté en lampe éclaire les lieux, derrière le comptoir de la réception un vieux noir penché sur son ennui patiente. Cela ressemble à un décor qu’aurait oublié de peindre Edward Hopper ; Jacques Astruc s’en chargera avec la qualité de ses mots.

Ruppert Adamson, le narrateur de Strip Hôtel, a débarqué par hasard dans cet endroit et dès la première nuit ne désire plus vivre ailleurs, lui qui partait pourtant pour la Nouvelle-Orléans. Un décor de rêve, vraiment. « Je fus séduit, définitivement. Je choisis de vivre là, au Strip, plus qu’ailleurs au monde. Je posais mes bagages, et je m’endormis tout habillé… »

Une rencontre le retiendra bien plus encore à cet hôtel : une femme. De celles qu’il faut craindre, n’a-t-elle pas indiqué sur sa fiche pour profession ce simple mot : Femme… Elle aussi a débarqué dans ce lieu avec un simple bagage, elle aussi n’envisage pas de le quitter. Cette créature ne vous laissait pas indemne. La croiser était une aventure majeure, une péripétie existentielle fatale. On n’oubliait pas ce décolleté profond ouvert sur cette gorge palpitante, sur la naissance de ses seins, qui, à peine esquissés, déjà vous obsédaient.

Rapidement notre narrateur devine que cette Femme, Lolita M. comme elle se fait appeler est une prostituée de luxe ou plus exactement une sorte de mangeuse d’hommes. Elle revient soir après soir avec au bras un amant différent. Le hasard aura voulu que la chambre de notre Lolita M. se situe exactement en dessous de celle de notre narrateur. Obsédé par l’amour qu’il lui porte, par le profond désir de la posséder, il guettera chaque soir son retour au bras de l’amant élu pour la nuit, il écoutera les moindres bruits de vêtements défaits, de peau frôlée ; les moindres soupirs d’amour jusqu’aux cris de jouissance du couple et l’orgasme à gorge déployée de Belle. Allongé nu, l’oreille collée au plancher, il ne perd rien des rencontres répétées de Lolita M.

L’amour fou n’est-il pas l’état le plus difficile à conserver intact ? Et l’érotisme n’est-il pas la forme littéraire la plus difficile à transcrire ? Jacques Astruc par son talent nous prouve qu’il maîtrise merveilleusement cette matière-là.

Cette présence au septième étage du Strip Hotel, devient, pour notre narrateur, obsessionnelle. Le rythme de ses journées ne se déroule plus qu’en fonction des moments de présence ou d’absence de la Femme… de Lolita M., de Belle. De page en page nous perdons la notion du temps, depuis quand Ruppert Adamson se trouve-t-il au Strip ? Quelques mois ? Quelques années ? Et Lolita M., depuis toujours ?…
« Lolita et moi appartenions à cette catégorie d’êtres en rupture, en perdition. Électrons libres affranchis de tous les codes sociaux, échappés de la tribu aliénante des ancêtres, rejoignant l’insouciance féroce de la horde originelle. (…) Le vieux noir était à la tête d’un cortège d’errants égaré sur une route désaffectée. Ici on n’avait plus que cela, cette liberté, cruelle et belle, qui donnait le vertige. Nous étions tous, au Strip, libres d’en finir, ou de recommencer. Nous partagions la certitude des lentes agonies en chambres closes. Nous contemplions nos lits vides, où gisait une valise râpée. Personnages en fuite dans la blancheur blafarde des aubes et des néons. »

Strip Hotel de Jacques Astruc se lit comme si nous étions nous même dans l’un de ces trains qui filent vers Ashville et la Nouvelle-Orléans, et l’image obsédante, répétitive, du corps de Belle semble mouvoir les roues de ce train qui nous entraîne jusqu’au bout du voyage… jusqu’à la dernière page… jusqu’à la dernière ligne de ce roman !

MY BOOX

Journal d’Omelette. Avec 1 DVD
Rémi Lange

Date de parution : 01/05/2011
Editeur : ErosOnyx
EAN : 9782918444077
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Résumé de Journal d’Omelette. Avec 1 DVD

Omelette ou un film sur un « coming out ». Comment dire à sa famille que l’on préfère les garçons et que l’on vit en couple avec son petit ami, Antoine ? Rémi Lange, jeune encore, il avait 24 ans, a eu l’idée de faire cette « confession » à sa mère, sa soeur, sa grand-mère en filmant leurs réactions, donc caché derrière sa caméra. Mais aussi à son père, divorcé de sa mère. Là, ce fut la surprise. Le Journal d’Omelette est contemporain du journal filmé, journal vérité, journal cruauté contemporain. Il est aujourd’hui publié pour la première fois. Il prolonge et perpétue la surprise que fut le film lors de sa sortie en 1998. Il est précédé d’un avant-propos chaleureux et en même temps très lucide sur cette « confession ».

Les auteurs en sont Olivier Ducastel et Jacques Martineau, eux-mêmes cinéastes (Jeanne et le garçon formidable, leur premier film, sélectionné au Festival International de Berlin et deux nominé aux Césars, ou dernièrement L’arbre et la forêt, Prix Jean Vigo 2009). Leur avant-propos centre leur regard sur la figure du père. Puisque le DVD du film Omelette accompagne le livre, le lecteur pourra, à son gré, lire d’abord le Journal commencé en 1993 et visionner ensuite le film ou vice versa, revenir ensuite au livre pour lire tout un dossier comportant les réactions de la famille après le « coming out » de Rémi, l’accueil de journalistes entre 1994 et 1998 et divers jugements de critiques. Sa curiosité pourra enfin être satisfaite par l’entretien abondant entre l’éditeur et l’auteur qui, réalisé en 2011, clôt l’ouvrage en décrivant le parcours du cinéaste depuis 1993.