L’Inconnu du Lac, film d’Alain Guiraudie

L’inconnu du Lac. Alain Guiraudie. Juin 2013.
« En termes de sexualité, j’ai toujours tourné autour du pot… Il était peut-être temps, pour moi, d’en venir aux choses sérieuses. » Alain Guiraudie

Présenté au festival de Cannes dans la catégorie Un certain regard, ce film a obtenu le prix de la mise en scène et la Queer Palm. Ce qui suit n’est pas une critique exhaustive, mais quelques réflexions inspirées par le film.

Alain Guiraudie a toujours affirmé son homosexualité et son goût pour les lieux de drague en plein air, au bord des rivières de son Sud-Ouest, ou, comme ici, des lacs méditerranéens. Personne, mieux que lui, ne pourrait réussir un film sur le sujet. Pourtant, si l’homosexualité n’est pas absente de sa filmographie (on pense à Ce vieux rêve qui bouge ou au Roi de l’évasion), elle n’est jamais centrale. Il déclare lui-même : « En terme de sexualité, j’ai toujours tourné autour du pot… Il était peut-être temps, pour moi, d’en venir aux choses sérieuses. » C’est ce qu’il fait dans L’Inconnu du lac.

Dans l’histoire du cinéma, dès qu’un film aborde la question de l’amour entre hommes, la critique en souligne le côté universel et, souvent, la réalité homosexuelle s’en trouve atténuée. Beaucoup de réalisateurs font la même chose et « tournent autour du pot » comme Guiraudie dit l’avoir fait longtemps. Il y a des raisons évidentes à cette indécision : il ne faut pas décourager un très large public, en majorité hétérosexuel, qui risque de se détourner d’un « film de pédé », et un film ne gagne jamais à être classé au rayon gay d’une grande librairie. L’Inconnu du lac a réussi ce tour de force d’être à la fois un film grand public et un film homo, « très rare chef d’œuvre pédé du cinéma français », comme l’a écrit Olivier Séguret dans Libération. Et le fait d’être interdit aux moins de 16 ans ne l’a pas desservi, au contraire : il a donné aux plus jeunes l’envie de le voir, en trichant un peu !

Dans ce film, il n’y a que des hommes (seul un dragueur étourdi, qui n’a pas bien compris où il était, cherche des femmes !) qui sont là pour des rencontres éphémères et baiser selon les codes de la drague homo en plein air. Comme le dit Guiraudie : « Il y a un côté très joueur, très cour de récréation, la fidélité n’est pas de mise : on se la montre, on se la touche, on se la suce… » On ne peut pas dire mieux. Et il y a dans tout cela un côté « démocratique », libre, léger, gratuit. C’est dans cet univers paisible que vont surgir la passion et la mort.

Là où se passe le film, la nudité est de mise. On y est pour le soleil certes, pour un bronzage intégral. Mais aussi pour se montrer, séduire et se laisser séduire. Tous les hommes nus sur la plage de galets n’ont pas la beauté jeune et apollinienne des modèles que l’on trouve dans les magazines dits « spécialisés », mais ils ont émouvants, à commencer peut-être par le seul qui ne soit pas entièrement nu, Henri, qui n’est pas de la première jeunesse et vient au bord de l’eau apaiser ses peines conjugales. Ce regard est une constante chez Guiraudie, regard fraternel et généreux quel que soit l’âge. En outre, la nudité souligne la fragilité. Un homme nu, le sexe sans protection, est à la fois magnifique et menacé. La belle exposition du Musée d’Orsay en 2013, sur le nu masculin, a ouvert la voie à une réflexion esthétique et philosophique, et le film de Guiraudie qui est le seul à filmer frontalement et longuement, des hommes nus (films pornos mis à part), lui-même compris comme figurant, peut alimenter cette réflexion. Des hommes nus qui se draguent et ne pensent qu’à jouir sans contrainte avec des rencontres sans lendemains, des rapports éphémères sans obligation de fidélité : tout est pour le mieux dans cette Arcadie de province et la nature environnante – la végétation, le lac et le vent dans les grands arbres – est caressante et protectrice.

Comment la tragédie va-t-elle s’insinuer dans ce bel équilibre ? Tout se met en place comme au théâtre. On a pu lire que le film était un « huis-clos à ciel ouvert ». À part le ballet des voitures sur le parking, le monde extérieur n’y a aucune place. L’étude du scénario originel nous apprend que Guiraudie a renforcé l’unité de lieu, en supprimant les hétéros curieux venant « se rincer l’œil ». Un sentier traverse le bois et débouche sur la plage et, de l’autre côté, c’est le lac qui est peut-être le personnage central et le premier élément de la tragédie : il y a dans ses eaux un silure monstrueux… c’est là que Michel assassine son amant jaloux devenu encombrant. Cette masse d’eau est angoissante, lieu de passage entre la vie et la mort. Michel, excellent nageur, est le dieu de ce lac, le dieu de la mort, et Franck, le charmant, l’enfantin Franck, tombe amoureux de lui. Petit prince amoureux d’un bel ogre. Du sexe naît la passion. Franck ne veut plus seulement baiser, mais passer une nuit et peut-être sa vie avec Michel qu’il a pourtant vu, dans la pénombre du crépuscule, noyer son amant.

Curieusement, le danger ne fait qu’aiguiser son désir. On voit ici s’opposer deux faces de l’amour : Michel, dragueur cynique, se débarrasse de ses proies après usage, Franck, lui, rêve du grand amour. Un troisième homme, Henri, prend peu à peu conscience de la menace qui pèse sur le libertinage joyeux de l’endroit. Lui ne vient pas là pour draguer, mais pour oublier sa solitude. Il noue avec Franck une amitié partagée qu’il exprime par ces mots : « Quand je te vois arriver, là bas, j’ai le cœur qui se serre… comme quand je suis amoureux… et pourtant, j’ai pas du tout envie de coucher avec toi. » Pas de sexe entre eux, mais la tendresse de l’amitié masculine est ici superbement incarnée. C’est cette amitié qui conduit Henri à se jeter dans la gueule du loup pour protéger Franck.

Quand est repêché le corps de la victime de Michel, se met en place l’enquête policière menée par un inspecteur soupçonneux et… très vêtu. Tout progressivement vire à l’effroi, la lumière peu à peu cède la place à l’obscurité, avant la nuit totale. Le fondu au noir accentue le suspense et plonge le spectateur dans un abîme de perplexité. Henri est égorgé, l’inspecteur, poignardé. L’étau se resserre autour de Franck. L’Arcadie devient alors une descente aux Enfers. Franck est tombé amoureux d’un serial killer. Mais Guiraudie lui-même n’a-t-il pas déclaré, dans un entretien, que la fameuse phrase de Bataille : « L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort » l’avait sans doute travaillé « souterrainement » quand il préparait le tournage de son film ?

Date de sortie : 12 juin 2013
Durée : 1h 37 min
Réalisé par Alain Guiraudie
Avec Pierre Deladonchamps, Christophe Paou, Patrick d’Assunçao.

Les Éditions Épicentre ont consacré à L’inconnu du lac un coffret comprenant le film, de nombreux bonus dont un entretien d’Alain Guiraudie avec Joao Pedro Rodrigues, et le texte du scénario.

Claire LIPPUS

10 GRANDS MOMENTS DE SOLITUDE

10 grands moments de solitude est une collection de courts métrages, sélectionnés dans le cadre d’un appel à films lancé par l’association Bulle Production dont ErosOnyx Editions est partenaire pour l’occasion.

Le comité de sélection est composé de Pascal Alex Vincent, Agnès-Maritza Boulmer, Bruce, Anne Delabre, Rémi Lange, Frédérique Ros, Emmanuel Vacarisas, Voto Otov, Philippe Vallois, Goa Yaka.

L’action est due à l’initiative de Hugues Demeusy, Louis Dupont et Chriss Lag, auxquels se sont joints Fabien Béhar, et Florian Richaud.

L’ambition de cette collection est de mettre en lumière la solitude d’hommes et de femmes GLBT, en proposant le point de vue de réalisateurs et réalisatrices, professionnels ou non, sur la question sensible de l’isolement.
La collection vise à rappeler au plus grand nombre cette douloureuse réalité qu’est la solitude, Il faut malheureusement constater que, quand on n’en est pas victime soi-même, elle est souvent ignorée et regardée comme un signe d’échec affectif et social. Rousseau n’avait-il pas raison de se brouiller avec Diderot écrivant à son sujet : « Il n’y a que le méchant qui soit seul. » ?

L’action a reçu le soutien des Sœurs de la Perpétuelle Indulgence du Couvent de Paris, de la Mairie de Paris, du centre LGBT de Paris, d’ErosOnyx Éditions et d’Écrans Mixtes.

Ava / Valentin, de Guillaume RICHARD, 11’58
(Encore) Une nuit avec un inconnu, de Joao DASILVA & Gildas FABLET, 6’11
Fille en aiguilles, de Chriss LAG,3’41
Homework, de Nicolas LIBERMAN, 9’39
Joan, de Florian RICHAUD, 8′
L’accouplement des Licornes, de Denis GUEGUIN, 9’25
L‘avenir est belle, de Manuel MENDO, 12’39
L’homme aux 15 000 amis, de Fabien BEHAR, 8′
Luigi e Vicenzo, de Giuseppe BUCCI, 5′
Noyade interdite,de Juliette GRANGE, 11’30

La projection des films retenus se clôt avec sagesse et humour sur le dernier film de Philippe Vallois, Zeus le chat, réalisateur depuis les années 70 et 80, premier réalisateur français ouvertement gay avec Johann en 1976.

Le 14 novembre 2013, sort le livre de Didier Roth-Bettoni sur SEBASTIANE de Derek Jarman, avec le DVD du film.

Beau comme le péché.

Quelques légionnaires, au IVe siècle après J.C., en garnison sous le soleil, sur un promontoire perdu juste avant la mer.
Parmi eux, Sebastianus, un soldat chrétien radieux comme un ange méridional, brun aux cheveux courts, qui ne se donne qu’à Dieu, et un tribun militaire païen, d’une blondeur de viking, qui le boit des yeux sans pouvoir y toucher.

La cruauté déchaînée par cette beauté intouchable, la lutte entre le profane et le sacré, l’appel de la chair et l’appel du divin.

Ouverture baroque, dans le palais de Dioclétien à Rome, avec une débauche de palette digne du Ken Russell des Diables ou du Fellini de Satyricon.

Puis départ pour le désert rocailleux au bord des flots, corps qui se dénudent lentement, sensuellement, au fil du film. Moments d’anthologie et de grâce, dedans et dehors : une grotte devenue thermes pour de fins muscles garçonniers qui se lavent, se rasent, s’enduisent et se contemplent ; un ralenti plus brûlant que le soleil méditerranéen sur deux baigneurs de l’éden antique qui se caressent dans des éclaboussures de vagues, en giclées lentes de sperme bleu, sur des corps fugitivement offerts, ouverts, de vrais chromos de porno tendre. Le rêve impossible passe sous les paupières du tribun. Dans la lignée de celui que nous offrait, en 1974, Christopher Larkin dans son film Une chose très naturelle.

Mais nous sommes en d’autres temps. Au bout du désir inassouvi devenu emprise de passion incandescente, vient la male et mâle joie de mettre Sébastien à la torture, la cambrure du supplicié transpercé de flèches aussi parfaitement dessinée que le profil des archers qui le mettent à mort, je te désire, je te tue, j’aurais voulu te traverser tendrement d’amour, je te traverserai cruellement de flèches, sous le soleil !

Un orgasme en coulures de sang, sous le pinceau charnel de Derek Jarman, entre la mer et les os nus des rocs.

Et oser une V.O. à l’antique… comme si l’on y était ! Poème pictural, porté par les bruits et les sons de la nature, sonnailles, cigales, vent… ,porté par la musique sensuelle et funèbre tour à tour de Brian Eno, porté par l’usage inouï de ces dialogues en latin : tout dans Sebastiane accentue l’effet d’un étrange cérémonial, voluptueux et sauvage.

Messe de la chair divine martyrisée.

La Collection Images d’ErosOnyx va s’enrichir en novembre 2013 de l’étude de ce film par Didier Roth-Bettoni, orfèvre en la matière.

Sous un des rabats du livre, comme pour les autres ouvrages de la collection, on trouvera le DVD du film, avec, pour la première fois depuis sa sortie en salle, un sous-titrage français !!!

Dans la presse allemande, H COMME…

Hannes Steinert H COMME…

Im kleinen französischen Verlag ErosOnyx Éditions ist soeben ein Bildband erschienen, de klassische Gedichte zum Thema schwule Liebe mit vor Erotik knisternden Zeichnungen des Stuttgarter Künstlers Hannes Steinert vereint.
Der Titel (deutsch „Gedichte von gestern – Bilder von heute“) betont die Zeitlosigkeit der erotischen Anziehungskraft (junger) Männer, die in allen Kulturen und zu allen Zeiten poetischen und künstlerischen Ausdruck gefunden haben.

Die Gedichte von so unterschiedlichen Autoren wie Michelangelo, Garcia Lorca, Pasolini, Shakespeare und anderen sin in den Original sprachenabgedruckt.

Jean Chalon : quelques mots à Chelsea Ray

Chère Chelsea,

Votre Amants féminins m’a fait découvrir une Natalie que je ne connaissais pas,une Natalie fragile alors que je n’ai connu qu’une Natalie forte.Je comprends enfin pourquoi elle me répétait: »Jean,je n’ai pas toujours été avec les autres comme je suis avec vous maintenant ».

Tous mes vœux de succès pour ce magnifique texte.

vôtre

Jean

Dans la revue TRAVERSEES

Natalie Clifford Barney, Amants féminins ou la troisième, Collection Eros, Onyx (174 pages, 22,50€)

Chelsea Ray, « barneyphile », après des années passées à écumer des archives a exhumé ce titre inédit de « la volage Natalie Barney », dite l’Amazone datant de 1926.

À travers ce texte, établi conjointement avec Yvan Quintin, Chelsea Ray cherche à réhabiliter celle qui fut trop longtemps étiquetée Don Juan féminin. Qui était donc cette femme de lettres dont les références littéraires témoignent de son érudition ? Mélanie Hawthorne dans la préface en brosse le portrait. Elle souligne sa loyauté en amitié, sa sollicitude, son rôle de « consolatrice »

Jean Chalon apporta aussi son éclairage, confirmant l’influence de Baudelaire sur N., dans la biographie qu’il consacra à sa « Chère Natalie Barney ».

Dans son roman « moderniste », selon son propre terme, Natalie Barney décrypte le trio amoureux formé par M., N. et L. qui ne sont autres que Liane de Pougy et Mimi Franchetti, ses rivales. On croise aussi Romaine Brooks et la « Nouvelle Malheureuse », comme l’appelle Natalie Barney.

En explorant l’amour lesbien, l’auteur faisait figure de pionnière, brisant les tabous. Une succession d’échanges épistolaires, de télégrammes, de pneumatiques met en lumière la complexité de leurs relations tumultueuses, faites d’éloignement, de retrouvailles, de pacte, de bouderies, de rivalité, de jalousie. On y découvre leur langage amoureux, très suggestif, enflammé, jouissif, les prénoms qu’elles s’inventent.

La condition de « troisième » incarné par N. est analysée avec pertinence et ironie quelquefois.

Confrontée à une « épidémie de lâchages », N., pétrie d’orgueil, joue la carte de la résilience, décidée à ne plus souffrir. Avec lucidité, elle en conclut qu’il « est peut-être plus noble de vivre seul » et confie ses regrets et sa douleur à la page blanche.

Sa sensibilité à la poésie transparaît dans les poèmes traduits. De remarquables passages sont à souligner, comme son hymne à l’eau « le fluide amant ».

Dans l’épilogue, Natalie Barney livre sa vision assez pessimiste des relations humaines, constatant dans son entourage trahisons et infidélités dont elle-même fut aussi victime. Comment cette femme de lettres, tenant salon, considérée « un des honneurs » de l’époque, « unique », a-t-elle pu finir aussi seule ?

Roman irrévérencieux de Natalie Barney prônant la liberté d’aimer, avec une audace superbe pour l’époque encore engoncée dans les préjugés, Amants féminins ou la troisième fait écho au film La vie d’Adèle qui s’est vu décerner la Palme d’or du Festival de Cannes 2013. L’amitié « l’amour sans plaisir » et la passion avec un crescendo émotionnel y sont intimement liés.

©Nadine Doyen
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http://traversees.wordpress.com/author/lievenn

In memoriam Mario WIRZ

Nous avons appris le jeudi 30 mai 2013 le décès de Mario Wirz.

Son nouveau recueil paraîtra le 17 juin chez Aufbau sous le titre Jetzt ist ein ganzes Leben (« Maintenant, c’est toute une vie »).

En français paraîtra dans quelques mois chez ErosOnyx Une semaine, sept vies, anthologie bilingue allemand-français, avec un avant-propos d’Edmund White et des dessins de Hannes Steinert.

Ses récits Étreintes au bout de la nuit avaient été publiés en 2002 par Jacqueline Chambon.

Bernard Banoun

Traum

das müde Fleish

liegt rum

schon lang

und träumt

daβ eine Stunde kommt

mit wilden Haaren.

(1985)

Rêve

La chair fatiguée

traînaille

depuis longtemps

et rêve

qu’arrive une heure

les cheveux en bataille

(Traduction Bernard Banoun & Kai Stefan Fritsch)

LE LANGAGE DES FLEURS le 7 juin 2013 à 18h30

Le Langage des Fleurs de Pauline Mary Tarn

Il n’y a rien de plus éphémère et mystérieuse qu’une Fleur…
Les Fleurs ont leur propre langage. On décèle en elles une poésie, qui égaie la vie ou rappelle des souvenirs. L’aura de la fleur rayonne et apporte sa générosité. Elle touche et trouble celui qui s’approche d’elle. Avec sa palette de mille couleurs et parfums, elles transportent le promeneur dans un monde d’éblouissement et de sensations. Un spectacle tous sens en éveil…

A partir du recueil LE LANGAGE DES FLEURS, les poèmes de Pauline Mary Tarn se mêlent au mime pour créer un spectacle de théâtre visuel. Pauline Mary Tarn, poétesse du tournant du siècle dernier écrit ce texte à l’âge de seize ans. D’un talent précoce, certains voient en elle un Rimbaud au féminin. Ces poèmes de jeunesse sont pleins de charme. Cette auteure de langue française, anglaise de naissance, vint s’établir à Paris à sa majorité. Poétesse connue par la suite, elle prit comme nom de plume, Renée Vivien…
Une performance originale et surprenante qui fusionne les arts du mime et des gestes avec la poésie.

Création Mime et mise en scène de Bernadette Plageman

Ce spectacle est réalisé dans l’esprit de Maximilien DECROUX

http://www.univ-paris3.fr/la-langage-des-fleurs-220128.kjsp?RH=1330364369386

À Corps… À Coeur

Un lecteur enthousiaste d’HOMO PIERROT – « Sous les toits de Paris » (tome II)

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3 décembre 2012
De la communion des cœurs
Fidélité
Loquito Art, Culture, Fidélité, Homo Pierrot, Littérature, Pierre Lacroix

«Il savait qu’on ne met pas l’amour en cage, qu’aimer c’est danser sur un fil entre les étoiles, qu’aimer c’est risquer à chaque seconde, et plus encore dans le fourmillement des Babylone où la liberté des comportements et le raffinement des apparences rendent si nombreuses et faciles les sollicitations.

Il faut l’expérience pour faire triompher l’amour sur les tentations. Peut-être une béatitude originelle aussi, un paradis qui fait après trouver de la tristesse à tous les éphémères paradis. Pour avoir été amoureux et si souvent titillé par ailleurs d’appels testiculaires vers d’autres galants de passage qu’il n’avait pas voulu consommer, Erwan savait qu’en amour on vit avec son amant tous les titillements accumulés en soi et que c’est dans le vertige d’une attirance inépuisable qu’on engloutit tous les vertiges d’excitations du changement à l’infini, si phantasmatiques et si vides au fond. Bien sûr, les yeux de votre amant ne vous mithridatisent pas contre le poison de tant d’autres magnifiques iris qui se posent sur les vôtres. Bien sûr, une avalanche florentine de boucles sur les épaules, entre saule pleureur et lévrier afghan, ne rend pas insensible à la ligne d’un crâne rasé pure comme celle d’un marbre ou au hérisson dru d’un beau voyou aux cheveux courts. Bien sûr l’échancrure des chemises, les peaux velues ou glabres, les pommes d’Adam, la pointe des seins sous les chemises, les gonflements sous les braguettes et les maillots de bain, vous déboussolent de l’infini de directions à prendre dans la géographie jouissive des reliefs, des couleurs, des végétations, des grains et des odeurs… Chaque nouveau garçon a son climat, son invitation au voyage, quand on a du désir à se faire tous les garçons de la rue !

Mais alors, l’amour au-delà de ce brasier de titillements, c’était quoi ? La fidélité dans ces conditions, c’était quoi ? Pas une prison, Pas un interdit religieux, pas un contrat de bonne tenue bourgeoise Pour Erwan. Non, une manière de mieux être soi, une volupté conquise, un suave renoncement où la plénitude finissait par l’emporter sur le sacrifice, comme une grâce finalement quand la vie vous les rendait possibles, une grâce qui faisait qu’à un moment, les aiguillons de tous les désirs bifurquaient vers un seul corps, un seul corps devenu vaste incommensurablement, comme si, autour de ce corps et dans ce corps, aimable de ses charmes et jusqu’à ses trivialités, flottait un appel qui embrassait tous les appels. Un jour, des yeux venaient, qui ne vous empêchaient pas d’être sensibles à d’autres yeux, mais en qui tous les yeux venaient se fondre. Et que parfois le désir d’un autre corps vînt à se révéler trop fort, et qu’on passât à l’acte, c’était d’un pied boiteux avant, et avec, après, une impression de salissure, de tristesse et de vide, le besoin d’en parler à l’autre, de se laver à la cascade vive de son pardon et de son amour peut-être encore là quand-même.

Dans la fidélité, pour Erwan, il y avait aussi sans doute l’amour de quelque chose qu’on cherchait sans être capable de le voir ou le nommer en l’autre, un mystère à quoi, par delà toute frustration, tout dépit, toute colère, toute volonté violente de fuir, on était malgré soi ramené. Il en était arrivé avec Pierrot à un attrait irrationnel et incurable, cette douce violence qu’on appelle l’amour fou. Il était jaloux de Pierrot, mais pas de ses désirs si les désirs passagers de Pierrot le ramenaient toujours à leur amour. D’avoir aimé et bourlingué, Erwan avait en lui du Tristan bien caché sous du panache de Don Juan. Comme le poète-phare de ses cours, il cherchait la vérité dans une âme et dans un corps. Il sentait que l’amour est à la fois sortilège et pari, qu’il faut aller le plus loin possible dans le miracle de poésie à deux pour plier tous ses désirs au désir du corps et de l’âme de l’autre, que parfois c’est une exquise et simple harmonie de respirations, et que parfois c’est un calvaire.»

Pierre Lacroix in Homo Pierrot, Tome II «Sous les toits de Paris», Editions ErosOnyx, 2009, ISBN : 9782952949972, pp. 28 à 30