Evgueni KHARITONOV, En résidence surveillée (éditions Perspective Cavalière, 2025)

Evgueni Kharitonov (1941-1981), En résidence surveillée (1993-2005), traduit du russe par Raphaëlle Pache hors le texte Tract traduit par Arthur Clech, préface et notes d’Arthur Clech, aux éditions Perspective Cavalière (2025)

SAMIZDATS D’ÉCORCHÉ :

FIEL CRACHÉ À LA FACE DE l’URSS ET MIEL DE LARMES D’AMOUR IMPOSSIBLE

    En lisant En résidence surveillée, on découvre pourquoi un samizdat – mot russe désignant des pages manuscrites ou typographiées qui parviennent, par la copie, les tirages ronéotypés à l’alcool puis la photocopie, à se faire lentement un public national et international – pourquoi un samizdat donc acquiert la trempe de la poésie, selon l’image des romantiques solitaires ou « en résidence surveillée », de la bouteille à la mer, lancée anonymement pour échapper à la censure d’une dictature qui ne peut que la broyer.

     Avec Kharitonov, on a affaire à une colère sourde qui devient satire de l’incurie bête et méchante, paresseuse et humiliante, des strates multiples et gluantes de fonctionnaires soviétiques. On en a un bel exemple avec le texte Un résident écrivit au service du Logement où l’auteur injecte à seringue continue du sel caustique dans les péripéties qu’entraine le changement d’un lino fendillé dans un appartement social.

DU FIEL :

    Mais c’est dans l’ironie acide que Kharitonov puise le fiel qui fait de lui un révolté pas comme les autres. Voyons ce que devient, dès le premier texte du recueil, Un enfant viable, une visite médicale scolaire qu’un médecin affidé au pouvoir fait subir aux garçonnets pubères : 

« Encore un arrivage de petits nouveaux, constata-t-il. Quelle que soit la dizaine, il se trouvait toujours un spécimen parfait, les minces poils sur son torse formant un simple duvet même s’ils annonçaient un épais matelas. Il fallait leur mettre le grappin dessus avant qu’ils prennent leurs marques. En rejeter deux ou trois par dizaine, les autres, à la limite, feraient l’affaire. D’année en année, la patrie en fournit, et d’ailleurs les républiques aussi. Mettez-les nus et chacun sera acceptable, tant pis si le visage est laid, seul compte le modelé du corps. Les coccyx, les protubérances jumelles. Ils déboutonnent leur pantalon et cherchent à voir lequel a la plus grosse. Mais aucun ne fait rien à qui que ce soit, même s’ils chahutent et se tripotent. N., venez ici. Tournez-vous. Il le fait, convaincu de la nécessité de la chose. Penchez-vous en avant. Il se penche en avant. Puisqu’il le faut, il le faut, il croit dans la parole des officiels. Rétractez votre preputium. – Quoi ? – Ça. Et le médecin de le faire à sa place. En toute décontraction, cela va de soi. Sans quoi ces collègues auront des soupçons. En fait, ses collègues sont pareils. Ils ont un accord, ou bien aucun n’est présent dans les locaux. Ils l’ont laissé seul à sa tâche. Pincez votre gland. Il fonctionne bien ? – Ça va. Et il rougit, le futur élève-officier. Mettez-vous accroupi. Un torse bien dessiné. Un umbilicus bien vissé au milieu. Un corpus spongiosum pesant, avec un frein qui se meut aisément. Bon, allons-y. Nous élevons une race supérieure. Nous avons besoin d’individus spécialement robustes en qualité de donneurs. C’est moi qui suis chargé d’effectuer la sélection. Vous ne saurez pas qui sera inséminé. De son côté, la receveuse ne connaîtra pas votre identité. Et nous non plus. Par conséquent, vous n’aurez pas d’obligations envers votre progéniture. Il se peut que nous mélangions votre liqueur avec d’autres, pour garantir la vigueur de l’union. Procédez à son extraction, par des mouvements de piston. Malheureusement, il vous faut procéder manuellement, nous n’avons pas encore mécanisé le processus. Laissez-moi vous aider, je dois vérifier l’amplitude moi-même. Oh, mais oui, vous présentez un cas rare d’hypertumescense. D’ordinaire, les fibres ne font que doubler de volume. Il va falloir qu’on teste aussi votre albumine, au niveau du goût et de la température. Laborantine ! Ah, c’est vrai qu’elle n’est pas là aujourd’hui. Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir des assistants. Il va encore falloir que je procède au test moi-même. »

     Cependant on sourit bien moins qu’on ne frissonne devant cet eugénisme soviétique qui en rappelle un autre et qui s’offre du plaisir hypocritement cautionné par la hiérarchie !  Et qui pouvait mieux peindre cet examen qu’un jeune homosexuel dont les samizdats plus tard se coloreront et s’enrichiront d’une distance rageuse qui peut sonder l’abîme pervers d’une hypocrisie voilant le viol sous le zèle de l’inspection officielle ?

       Car l’école n’est qu’un prélude pervers, comparée aux affres des interrogatoires policiers pouvant aller jusqu’à la torture quand on est identifié comme homosexuel notoire et donc « dissident ». Le bureau de police ou le laboratoire peuvent devenir, sous l’U. R. S. S. de Kharitonov, aussi bien antre du crime que terrain d’investigation d’un ambigu sado-masochisme sexuel – et les deux deviennent poèmes cruels.

     Poème de torture et de mise à mort pour Sacha, ami de Kharitonov, dans Larmes sur un mort étranglé :

« le jeune homme était écrasé entre des murs

inutile de lutter de crier

d’abord une piqûre et puis pire

dans la cellule comme dans son lit

il se déshabillera devant les docteurs il dansera

ils le masseront

tendrement ils mettront ses fesses à nu

une piqûre il dort un mirage

on peut alors l’écraser sans douleur

la dernière des minutes de sa vie

quand il s’est déshabillé jusqu’au slip

le docteur s’est approché s’est penché

tendrement lui a posé un garrot »

       Toujours dans Larmes sur un mort étranglé, ce poème invertébré, poème écartelé, de Kharitonov qui, selon Oleg Dark cité par Arthur Clech dans la préface du recueil, « se rendait à (des) convocations du K. G. B. comme à des rendez-vous galants » :

                                                                            « Mon petit policier !

                                                          Mais on peut toujours

                            tomber amoureux de l’ordre. Un amour de soldat.

                           Compagnie,         debout !            J’ai encore trop dormi.

                           Je me suis levé tard, j’ai somnolé dans la journée et il a

                           beau être encore tôt, je vais me coucher. Tel est l’ordre

                           que nous avons établi. Comment vivons-nous ?  –  Très

                           discrètement, toujours en catimini

                                                                                         il se passe quelque

                           chose autour de moi mais ça fait le tour ou au contraire

                           ça entre très délicatement en moi.

                                                                                                           J’ai à faire

                          Quoi,                espèce de pou ?            Je me réserve pour

                          la nuit je me réserve pour la nuit          non ça n’arrive pas

                         comme ça, tout seul, sans que j’aie l’intention de parler en

                         vers, les vers n’arrivent pas comme ça.  La poésie est tout

                          de même un discours basé sur des impératifs métriques.

                          Les  gens  voudraient  qu’elle  arrive  comme ça,  comme

                         l’amour, mais non, il n’existe pas le poème magique qu’on

                          répètera  et  répètera  encore comme  un rat  actionnant

                          un levier. Tout  ce  que tu peux faire, c’est te donner l’air

                          de te rappeler qu’il s’agit d’un poème.  –  Oh ! Oui, il y a

                          quelque chose là-dedans ! Oh ! Oh ! Oh !     Oh !      il y a

                          quelque chose quelque chose là-dedans –

                                                                                      où ça ?

                                                                                          –  là »

       Ici la volupté obscure d’une quête érotico-poétique semble endormir la hargne. Elle s’endort et se réveille, fébrile, se métamorphose en jouissance dont on ne sait si elle est réelle ou feinte pour que la victime échappe aux bourreaux, devienne même le hochet de ses bourreaux ; le masque en vient à coller à la peau. Face à ce qui pourrait bien être un viol collectif de barbares en manque de viande à baiser, la viande d’un homme se mue en chair de fille experte en tous les secrets du plaisir des mâles. Après que la préface d’Arthur Clech nous a appris que « Kharitonov trouva son impasse définitive rue Pouchkine (à Moscou), foudroyé par une crise cardiaque à l’âge de quarante ans peu après un énième interrogatoire par le K. G. B. », l’extrait du roman perdu, Sans slip, cité dans le texte Larmes sur les fleurs, peut prendre un autre sens : 

« Il m’a battu et il m’a tout appris. Puis il m’a refilé à un géorgien qui a fait de moi tout ce qu’il voulait. Oh, avec les hommes, il est crucial de savoir comment s’y prendre. Dans ce domaine, je n’avais pas d’égal. Après moi, ils ne voulaient plus entendre parler de filles tant je savais y faire pour les dégeler. Je connaissais chaque nerf du corps de l’homme, je savais en jouer jusqu’à ce qu’il gémisse et oublie tout. Et je pouvais alors lui demander tout ce que je voulais. Même l’étoile du Kremlin.

    Il me baisait jusqu’au sang, jusqu’à l’évanouissement, et il m’a tout appris. Aujourd’hui je lui en sais gré car après je n’ai plus eu d’égal dans mon art. Comment s’y prenait-il ? Il me battait si je ne jouissais pas en même temps que lui. Et dans le cas contraire il me battait aussi. Mais comme ça j’ai appris une fois pour toute à jouir quand un homme jouit en moi. Il lui est arrivé de me frapper avec sa queue. Il la tirait (lorsqu’il bandait) et il frappait, il me cognait le nez ou le visage, et moi je plissais les paupières comme un petit chaton. Il m’a appris à ne répondre qu’à un prénom féminin. Et à être une femme corps et âme. Il ne me demandait jamais si j’en avais envie ou pas, il m’attrapait juste la tête d’autorité et me faisait descendre vers sa queue. Après quoi il me frappait de nouveau. Les hommes que j’ai servis ensuite devenaient fous, ils léchaient et mordaient le petit trou dans lequel ils aimaient tant faire entrer leur ignoble saucisse. Mais celui-là c’était un homme, un vrai, il me battait, il me donnait une leçon et c’est tout. Il m’a même obligé à lui apporter la ceinture avant de baisser mon pantalon et de me coucher devant lui les fesses en l’air. Telle a été mon école, après quoi, muni de ce diplôme, je suis entré dans la vie. Vous savez la suite. »

DU MIEL :

     Fiel ou fièvre sado-maso pour « un homme, un vrai », à qui on offre sa souffrance quand on n’offre aux autres que le lent apprentissage de son plaisir synchrone ? On ne sait plus où s’arrête la haine des porcs, la haine de soi, et où commence le plaisir de la proie qu’ils pétrissent et éduquent. Et si souffrir par l’un, distingué par cette souffrance offerte, devenait, au milieu de l’ « ignoble » orgie, le secret inversé de l’amour… Malgré cette « école », quel « petit chaton » est resté Kharitonov, lui qui avait lu le grand Kouzmine (1872-1936), comme le dit une phrase du texte Larmes sur un corps étranglé : « (…) le péché, c’est de ne pas accomplir sa destinée », condensé d’un dogme des Vieux Croyants exposé dans le roman Les Ailes (1906) ! Plus on avance dans ce recueil de samizdats remarquablement traduits sans prendre de pincettes, comme on vient de le voir, plus le miel de la tendresse enfouie s’écoule par les fissures de la bombe volcanique que la vie a pétrifiée en Kharitonov. Il est le poète de l’ordure et des fleurs. Il suffit de glaner au fil de ce recueil chaotique, étouffant souvent, des illuminations de pureté inaltérable comme celles-là :

                   « Bien sûr, j’ai vécu depuis lors de longues années, mon cœur s’est endurci, mais tout au fond, il y a encore ma grand-mère, mon enfance et cette bonté, oui, de la bonté et le souvenir d’un abat-jour (…) » (Larmes sur un corps étranglé)

                    « Dieu ! Fais en sorte qu’un garçon de mes rêves soit attiré par moi et me soit fidèle comme un chien. » (Un Russe qui ne boit pas)

                    « J’aime les textes doux, directs et sincères. Le petit garçon en chemise blanche vit toujours en moi. » (Un Russe qui ne boit pas)

                  « Ainsi sous sa carapace de virilité, chaque homme cache un cœur tendre en beurre fondu. Vous savez qu’il vous faudra l’encourager, le flatter, le complimenter pour qu’il s’ouvre comme une fleur. Tout homme aspire peut-être à s’ouvrir, mais il s’en abstient par précaution, de peur que ça ne tourne à son détriment. Si sa carapace protectrice est aussi épaisse, c’est à des fins défensives. » (Larmes sur les fleurs)

                  « (…) notre légère espèce florale, dont le pollen vole on ne sait où, doit, elle aussi être ridiculisée, transformée en un mot injurieux par le sens commun, direct et grossier, des gens du peuple. Afin que de jeunes garçons bêta ne s’avisent pas de céder à la faiblesse de s’éprendre d’eux-mêmes, tant que leur virilité ne s’est pas encore établie fermement, jusqu’au bout. Car, bien sûr, et cela ne fait (pour nous) aucun doute : cette pensée est extrêmement nocive, et l’on ne doit pas lui laisser ouvertes les portes de la Cité, sans quoi la fin du monde approchera et il basculera de l’autre bord. Et oui, il en est ainsi et pas autrement : vous êtes tous des homosexuels étranglés ; vous faites bien de vous représenter une fois pour toutes cette chose comme étant piteuse, immonde, voire de ne pas vous la représenter du tout.

(…)

En tant qu’élus et prédestinés, nous devons rester parqués derrière des murs d’aversion afin que notre exemple ne devienne pas contagieux ;

Notre élection et notre prédestination consistent à ne vivre que d’amour, insatiablement et infiniment.

Tandis que vous vous trouvez, dès vos jeunes années, un ami pour la vie, c’est-à-dire une amie, même si, étant allés voir ailleurs et vous étant séparés, vous en trouvez ensuite une autre, vous vous réchauffez la plupart du temps au foyer familial, libérés des quêtes amoureuses quotidiennes, libres alors de vous pencher sur une quelconque chose de l’esprit, de vous occuper par le travail manuel, voire de vous adonner à la boisson.

Alors que pour nous, nous les Fleurs, nos unions sont éphémères, sans être liées par le fruit de la progéniture ni par aucune autre obligation. Vivant chaque heure dans l’attente de nouvelles rencontres, nous, les êtres les plus futiles qui soient, jusqu’à la tombe, nous passons des disques de chansons d’amour, nerveux, nos yeux sont à l’affût, toujours dans l’attente, encore et encore, de jeunes gens comme vous.

               Mais la fine fleur de notre peuple futile, à nul autre pareil, est appelée à danser la danse de l’amour impossible et à le chanter voluptueusement. » (Tract)

Tract de la fine fleur des hommes-Fleurs ?

                Imaginons Vladimir Vyssotski chanter Kharitonov, hargneusement, voluptueusement.

                                                        Pierre Lacroix, décembre MMXXV

PLATON, Le Banquet

nouvelle traduction intégrale à paraître en novembre 2025

Préface, traduction et notes d’Arnaud Fabre

Postface de Baptiste Gille

Dans la Grèce de la fin du siècle de Périclès, vers 415 avant notre ère, quelques brillants convives de tous âges, tous masculins, se retrouvent pour passer une nuit à faire l’éloge d’Éros, dieu du désir et non dieu de l’amour, comme on le dit souvent.

Le Banquet de Platon ( 427 ? – 347 ? ), écrit trente ans plus tard, après la mort de Socrate, né en 477 et condamné en 399 par les archontes d’Athènes à boire la ciguë, immortalise ce festin en un dialogue qu’on peut qualifier à la fois de réhabilitation de Socrate et de diamant bleu de l’amour pudiquement nommé « amour grec ». A vouloir le monter sur griffes savantes pour l’éclairer, les plus fins orfèvres l’ont parfois rendu d’accès difficile et flouté sous les commentaires.

Arnaud Fabre et EO ont souhaité donner du Banquet de Platon une nouvelle traduction à l’apparat critique succinct, afin que rayonne ce « talisman » homoérotique, pour reprendre le mot des hellénistes victoriens du XIXème siècle et pour en finir avec la réduction judéo-chrétienne de l’expression « amour platonique ». La sexualité entre hommes y est affirmée comme une norme et même un accomplissement : sous la pulsion du désir, se cachent les enjeux d’une vie réussie.

Dans ce Banquet, le bel Alcibiade, ivre, dans la fleur de ses trente ans, couronné de lierre et de violettes, s’étonne que Socrate, qui a près du double de son âge, ne veuille plus de ses caresses après les avoir savourées dans sa jeunesse. Vient un âge où Éros se métamorphose sans se renier, où le désir des corps se double du désir d’autres idéaux qui nous dépassent, création artistique, quête d’une sagesse, humilité devant des questions sans réponse…

Ici, Socrate est habité par la rencontre qu’il a faite de Diotime, charnelle prêtresse qui l’a bouleversé sur la question d’ « Éros insaisissable », comme le chantait déjà Sappho. Éros est un génie offert aux hommes par les dieux. Sans nulle notion de péché, cet Éros platonicien vertigineux est tissé de lumière, de chair, de mystère et d’âme. Le Désir vécu conduit à l’illumination.

Collection Poche Classiques

12 X 19, avec rabats

Couverture de Karin Andrieu, d’après la fresque dite de la Tombe du plongeur – Musée archéologique national de Paestum (D. R.)

ISBN : 978-2-918444-65-7

164 pages

prix : 9 €

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ANTONIO BOTTO, Chansons (1922)

édition bilingue

Traduction, présentation et notes de Fernando CUROPOS

Dès son premier recueil de Canções (1921, repris et augmenté en 1922), le poète portugais António Botto (1897-1959) fait une entrée fracassante en littérature avec vingt-cinq chansons d’amour dont la plupart sont ouvertement dédiées à des hommes, chansons ardentes et mélancoliques qu’on imagine chantées dans des cabarets et qui ont inspiré de grandes voix du fado comme Misia et Mariza. Botto se vit et se dit en adolescent éperdu, en amant queer qui ne chercherait pas seulement le plaisir dans le refuge de son alcôve, mais à s’affranchir de la hantise du temps perdu et du temps qui passe, de la solitude, du froid, de l’automne, de la nuit et de la mort.


Fernando Pessoa (1888-1935) a publié en 1922 ce recueil dans son éphémère maison d’édition – Editora Olisipo –. Pour aider Botto à se faire reconnaître, à l’étranger mais aussi dans un Portugal qui le condamnait moralement, il a traduit en anglais en 1933 un florilège de ses Chansons sous le titre Songs. On trouvera dans le présent volume les vingt chansons qu’il a retenues de ce premier recueil. EO a tenu à en donner également la traduction française pour souligner le travail d’arrangeur de Pessoa, privilégiant la musique, esthétisant le cri de passion plus brut, plus populaire de l’original.


Où entend-on le mieux la saudade, ce manque qui devient chant, cette « épine amère et douce », selon les mots d’Amalia Rodrigues ?


Fernando Curopos, agrégé de portugais, Professeur des Universités, enseigne la littérature portugaise à l’Université Sorbonne Nouvelle. Spécialiste de littératures fin-de-siècle et moderniste, il travaille sur les questions de genre et sur les représentations des identités queer dans la littérature portugaise et le cinéma portugais contemporain. Il est l’auteur de plusieurs livres consacrés à l’émergence et au cheminement des sexualités en marge depuis 1875 dans la littérature portugaise.

Parution le 5 mai 2025

ISBN : 978-2-918444-64-0

Format 14 x 19

170 pages

17€

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Maria-Mercè MARÇAL, La Passion selon Renée Vivien

paru le 15 novembre 2024

un roman de Maria-Mercè MARÇAL, paru en 1994, traduit du catalan, préfacé et annoté par Nicole G. ALBERT, avec l’aimable vigilance d’Angels SANTA, couverture et illustrations d’Élisa Frantz

Dans son Hommage à Maria-Mercè Marçal (1998), poète et prosatrice catalane qui venait de mourir jeune comme la poète et prosatrice Renée Vivien (1877-1909), Jean-Paul Goujon écrit à propos de La Passion selon Renée Vivien : « […] son roman constitue aussi un jeu de miroirs. Cherchant Renée Vivien, c’est elle-même que, d’une certaine façon, elle cherchait ».

Dans ce roman, Maria-Mercè Marçal fait écrire à son alter ego, Sara T. : « Peut-être Renée Vivien est-elle aussi devenue pour moi une métaphore de l’inaccessible, une de ces amours impossibles, insatisfaisantes (?) pour lesquelles il me semble avoir un vrai penchant ».

Quoi de plus naturel, dès lors, qu’une chercheuse viviénienne française depuis longtemps reconnue, Nicole G. Albert, avec l’aimable vigilance d’une universitaire catalane, spécialiste de littérature française féminine et féministe, Àngels Santa, traduise – dans la langue choisie par Renée Vivien pour se vivre et pour s’écrire – un roman couronné de plusieurs prix à sa parution en 1994 et traduit depuis en castillan, en allemand, en italien, en slovène et en anglais ?

Maria-Mercè Marçal (1952-1998) a déjà rencontré le public français grâce à la traduction d’un florilège de ses poèmes, sous le titre Trois fois rebelle, publié chez Bruno Doucey en 2013. La Passion selon Renée Vivien est son œuvre maîtresse, roman-scénario-poème, palimpseste du mystère de l’amour fou. S’y croisent les faisceaux de personnages multiples qui ont connu Vivien et gravitent autour de son énigme magnétique. S’y mêlent documentation rigoureuse et effusion lyrique.

Jusqu’où une femme, tour à tour plaie vive et « sang caillé », sans cicatrisation possible autre que la mort, peut-elle s’éprendre du « vif-argent » d’une autre femme ? Vertige sans fin de la passion selon Renée Vivien et selon Maria-Mercè Marçal. Un poème extrait du recueil Sorcière en deuil, mûri entre 1977 et 1979, se terminait déjà par :

   L’escalier sombre

   du désir

  n’a pas de rampe.

format : 14 X 19

506 pages

25 €

ISBN : 978-2-918444-63-3

paru le 15 novembre 2024

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SANS MANU de François Mary, lu par Luc-André Sagne de « La Cause littéraire » (mai 2024)

Une voix, ici, s’élève, qui nous parle et qu’on entend avant de la lire. Une voix douce, calme, posée, presque lente, pour décrire avec d’autant plus de force un malheur. Elle dit l’épreuve simplement, sans effet, avec une grande sensibilité. Mais devant la brutalité de son irruption, la violence de l’arrachement, les mots viennent à manquer. Car ce dont il s’agit n’est autre qu’une histoire d’amour brisée, l’histoire d’amour exigeante, sauvage, non conventionnelle entre deux hommes dont l’un n’a pas trente ans et l’autre soixante-dix. Et qui s’est fracassée sur la mort soudaine du plus jeune.

La voix est donc celle du plus âgé, de celui qui survit. Elle va raconter cette douleur, cette perte. A travers tous les détails significatifs de la vie quotidienne, tous les moments importants de ce couple atypique, découpés en de très brefs chapitres, au nombre de soixante-quatre exactement, qui sont comme autant de vignettes sauvegardées de l’oubli, elle va, à travers ces évocations parfois déchirantes, explorer ce manque. Elle va parler de Manu.

Et elle commence par là où tout s’est arrêté, un 27 décembre à 1 heure du matin. La mort de Manu, inopinée, silencieuse, intervenue dans son sommeil, chez son ami d’enfance. C’est le point de départ choisi pour raconter cette histoire, et qui en est aussi le point d’achèvement. Avec tout ce qui s’ensuit, les obsèques, l’enterrement, et aussi le rappel des quelques jours qui ont précédé, le dernier Noël. S’enclenche alors la mécanique des souvenirs, leur défilé inexorable. Et la douleur supplémentaire d’apprendre sur cette mort, après qu’elle a effectivement frappé, qu’elle était quasiment prévisible. Parce que Manu était en très mauvaise santé, que son médecin s’en était alarmé, alors que lui-même n’en avait dit mot à personne et n’avait rien changé à ses habitudes, bien au contraire. Le savoir fait prendre tout à coup à cette mort une autre signification.

Car tout laisse ainsi à penser que cette mort, Manu, consciemment ou non, l’a désirée, qu’il l’a attendue sans rien faire pour l’éviter ou à tout le moins la retarder. Une scène en particulier revient à la mémoire, celle où, en proie à une angoisse soudaine, il s’exclame devant son compagnon qu’il « voudrait mourir ». Quel est cet attrait pour la mort que cela révèle, et que son refus de tenir compte des avertissements du médecin, sa volonté féroce de continuer à vivre comme si de rien n’était accélèrent, si ce n’est un penchant suicidaire ?

Que cette découverte après coup afflige son compagnon ne l’empêche pas de vouloir exposer ce qu’ont représenté pour lui les moments passés en compagnie de Manu et leur redonner toute leur vitalité, toute leur lumière. Sans rien cacher des heurts de la vie, des incompréhensions, des ruptures de ton et de comportement d’un caractère parfois difficile, auxquels succèdent des accalmies et des instants de vrai bonheur. Et même devant les accès de colère et de violence de cet homme jeune, souvent impulsif, il reste d’une grande attention, d’une grande tendresse, d’une générosité qui est celle d’un amour authentique, désintéressé, qui laisse toute la place à l’autre sans rien prendre de force mais à l’inverse accueillant comme une richesse les moindres signes de complicité et d’assentiment.

Au fond cette relation, pour lui, est un allègement. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, d’abord un allègement des corps. La passion amoureuse, l’étreinte charnelle, au lieu d’être le lieu d’une pure ivresse des sens, ou justement parce qu’elle l’est à plein, lui procure une sensation incomparable de légèreté. La seule occasion peut-être d’échapper à la pesanteur des corps. Celui de Manu, « un peu massif », le sien, moins solide mais qui pèse lui aussi en temps ordinaire, et plus encore après la fin brutale de leur amour. C’est le poids retrouvé du corps après la disparition de cette fusion physique seule capable de la lui faire oublier, et dont il ne reste que le souvenir brûlant, à « se perdre dans la nuit de son corps. Dans son aveuglante lumière », qui devient intolérable et le transforme en simple « viande, à l’étal ».

Finalement, de toutes ces images, de toutes ces scènes que la présence de Manu illumine, de toute cette intensité de sensations découle un sentiment douloureux, torturant, qui fait dire au compagnon devenu le témoin de ce passé partagé, avec René Crevel, que « la mémoire n’est pas une alliée, mais bien une ennemie ».

Loin de l’image positive que peut avoir le souvenir, associé à un état agréable ou tout au moins réconfortant, apparaît ici, en effet, un aspect plus négatif, quand il est, comme au sujet de Manu, blessure à vif, remémoration sans fin d’une même souffrance, d’un même chagrin que rien ne peut venir apaiser. Se souvenir alors, ce n’est que répéter la douleur, sans répit.

Ces pans de mémoire, que l’on parcourt délicatement, un à un, comme les pétales d’un bouquet, reviennent à l’esprit et font mal. Ils redoublent la peine éprouvée en ce qu’ils la réactivent à chaque fois par le goût des jours heureux qu’ils distillent en même temps qu’ils en confirment la fin irrémédiable. Avec eux le plaisir et la souffrance vont de pair. Il y a là comme un dédoublement du malheur. Car en les revivant de la sorte, sachant par avance ce qu’il va advenir, que ce bonheur est condamné, on comprend tout, mais trop tard : « Je me dis, aujourd’hui, qu’il était au bord des larmes ». Ou encore, « ce baiser était le dernier. Je l’ignorais, je l’ignorais encore ».

Ainsi pourrait s’achever l’énumération des souvenirs, entre l’émotion retenue et l’abattement. Mais ce n’est pas le cas. Le désespoir, l’anéantissement ressentis par son compagnon devant la mort de Manu n’emporteront pas tout car il y a chez lui plus fort, plus haut que l’obscurcissement total. A la réalité impitoyable d’une vie sans Manu désormais, « nulle autre présence ne comblera ce vide », répondent la force de l’esprit, le pouvoir de l’art qui lui font dire que « tu ne m’as, pourtant, pas totalement quitté ».

S’ouvre alors, sur les quatre dernières pages du livre, en italique comme la page de préambule pour en marquer la particularité, un moment unique, peut-être le plus beau du livre. Manu au-delà de la mort. Une série d’images, qu’on dirait nimbées d’une lumière surnaturelle, où Manu revient partager ce bonheur qui a tant compté ici-bas et qu’il magnifie, qu’il exhausse par sa présence vibrante, solaire, insérée dans la nature qu’il a aimée, le paysage de montagne familier, « au cœur de ce qui nous tient debout ». Des scènes toute simples mais qui montrent que « chaque instant de vie qui nous est donné doit être vécu avec intensité ». Plus rien pour peser ou meurtrir, pour mettre à vif, mais au contraire l’accord revenu, le grand accord revivifiant qui lie à jamais les êtres et le monde jusqu’à les confondre. Et la voix de Manu de s’exclamer à son compagnon inquiet : « Mais tu vois bien que je suis là ! ».

Luc-André Sagne

François Mary est l’auteur de plusieurs récits et, seul ou en collectif, de nombreux livres d’artiste où se mêlent prose et poésie. Il a en outre réalisé quelques dossiers consacrés à des poètes. Il est principalement publié aux éditions Plein Chant et ErosOnyx.

Au clair de…, roman de Pierre-François Lacroix, chroniqué par Luc-André Sagne, dans LA CAUSE LITTÉRAIRE, Revue en ligne (mars 2024)

Au clair de…, qui ne se présente ni comme un roman ni comme un récit, ne semble pas davantage être une autobiographie ou une autofiction, même si par certains côtés il peut s’en rapprocher. D’abord présenté à la troisième personne du singulier, donc avec la distanciation que cela implique, Pierrot, figure centrale du texte, prend progressivement la parole à la première personne, comme si le narrateur s’effaçait et venait à se confondre avec lui. Mais au-delà de la question de son statut et du genre auquel le rattacher, le livre est avant tout, de façon plus profonde, plus intense, un immense chant d’amour. Et un manifeste.

Un chant d’amour, en référence bien sûr au film de Jean Genet, qui porte ici sur deux amours consécutifs dont le premier, primordial, originel, court tout au long des pages, de la première à la dernière : l’amour de la mère, trop tôt disparue. Pour Pierrot c’est une coupure fondamentale, sa vie tranchée en deux par ce manque soudain, cette absence cruelle et définitive d’un amour maternel si fort, et si fortement ressenti par lui, qui vient ainsi s’interrompre brutalement.

Mais ce legs de souffrance, qui ne cessera plus de faire sentir ses effets tout au long de son existence, se double pour lui d’un legs de vie que la mère transmet aussi, dans les derniers mots qu’elle prononce à l’intention de son fils et qui va lui servir de viatique : « Vis comme tu es né, vis comme tu es (…), vis ce que tu as à vivre, vis ta vie ». La confiance qu’exprime ainsi la mère envers son fils, la reconnaissance de sa liberté d’être lui, ouvre alors le chemin vers l’autre amour, le second amour de sa vie, continuité du premier comme s’il s’agissait de prendre le relais, de poursuivre sous une autre forme la même quête de l’origine, du bonheur perdu des premières années. Car cet amour de Pierrot pour un autre homme, amour exclusif, absolu, n’est-ce pas aussi « attendre de lui qu’il ait des gestes de mère » ?

Dans l’itinéraire du garçon que rien ne prédisposait à un tel avenir, une institution va jouer un rôle clef : l’école. Elle va en effet se révéler doublement émancipatrice, à la fois par l’ouverture à la culture qu’elle permet, notamment littéraire, grecque, latine et française, et par la rencontre qu’elle provoque avec un professeur de lettres atypique et fascinant, Erwan.

Aux yeux du jeune paysan, dont la famille, ses us et coutumes, son ancrage sur une terre que l’on peut deviner être celle de Haute-Auvergne, sont tendrement décrits, avec un luxe de détails pris sur le vif, dans les soixante-dix premières pages du livre (c’est l’époque de « Pierrounel »), l’école, c’est la découverte d’un monde inconnu, d’un univers riche d’auteurs et de pensées, c’est une libération, un éblouissement. Et ce n’est sans doute pas un hasard si c’est à l’école que se produit le choc amoureux pour un homme d’abord auréolé du prestige de la connaissance, la vraie, celle qui, par-delà les académismes et les convenances, en fait une question essentielle, un enjeu vital et non pas un instrument de pouvoir et de compétition. L’école, temple du savoir, temple de l’amour.

Au clair de…, c’est au fond l’histoire, partie du nid maternel détruit et à jamais regretté, d’une passion entre deux hommes, librement vécue dans la différence des itinéraires et des âges, et qui va les mener jusqu’au bout d’eux-mêmes. Partis ensemble à Paris que Pierrot découvre à dix-sept ans, leur vie de couple se dégrade au fil du temps, entre affrontements et réconciliations, jusqu’à devenir insupportable et déboucher sur une rupture violente. Vivant alors séparément, Erwan dans la frénésie des rencontres et des voyages, Pierrot revenu sur sa terre et, malgré « le filet des présences, des rites et des paysages » retrouvés, devant surmonter une dépression, la période apparaît, au-delà des souffrances de chacun, comme une longue respiration où reprendre son souffle et trouver ses marques. Avec le retour inespéré d’Erwan s’ouvre la dernière saison de cette union, mûrie de toute l’expérience de la vie et qu’une mort consentie à deux, le plus jeune ne pouvant survivre au plus âgé, vient couronner.

Itinéraire amoureux sans concession, leur histoire intime recoupe celle d’une génération, celle de Pierrot, partie des dangers d’appartenir à une minorité réprouvée (le coup de poing reçu au bal du village), à ses combats, décuplés par l’épidémie de sida (qui épargne les deux hommes), pour une visibilité et une reconnaissance des droits, et débouchant sur le Pacs puis le mariage. Car le chant amoureux se double d’un manifeste. Pour la liberté, une liberté de vie au-delà des revendications légitimes. Dans une langue qui mêle hardiment les images les plus poétiques aux plus crues, nourrie de multiples références non seulement à la culture livresque qui a tant fait pour l’éveil de Pierrot, avec des figures tutélaires comme celle de Colette, mais aussi au cinéma et à la chanson, la profession de foi pour une vie authentiquement libre se fait en effet au fil des pages plus vibrante et entière. Elle se veut avant tout dépassement, dépassement des limites conventionnelles qui viennent brider les corps et les esprits, dépassement des genres. Elle en appelle à « l’acceptation de tous les désirs du corps » mais aussi au décloisonnement des sexes, masculin et féminin, au nom « des deux sexes que nous portons en nous ». Les perpétuelles oppositions entre sexe et amour, corps et esprit, n’ont pas plus lieu d’être parce qu’il s’agit tout simplement de « fouiller la chair de l’âme » et de retrouver à travers l’être aimé l’unité originelle.

C’est l’enseignement ultime que nous livre ainsi la vie de Pierrot, une vie arrachée à la fatalité d’un destin par l’accession à la culture et à la liberté d’aimer, un déracinement qui est un nouvel enracinement à la lumière aveuglante d’un amour fou.

Luc-André Sagne

Pierre-François Lacroix dirige avec Yvan Quintin les éditions ErosOnyx, créées en 2007, et qui ont pour ambition de traiter des « sexualités d’aujourd’hui, d’hier et de demain », à travers des textes où Éros, « désir et plaisir d’aimer », va parfois jusqu’à se lier à Thanatos. Au clair de… reprend en un seul volume l’intégrale remaniée des quatre tomes précédemment parus sous le titre Homo Pierrot.

GLAÇANT CANTAL, Bruno Reidal (alias Jean-Marie Bladier), « Onze cahiers de confession », lu par Jean-Eudes Foumentèze

LIBÉRATION, samedi 16 et dimanche 17 mars 2024

« A l’âge de quatre ans (…) les idées de meurtre commençaient à germer dans mon esprit ». Bruno Reidal (Jean-Marie Bladier, de son nom de naissance) a 17 ans. Il est séminariste. Il aime les garçons et la masturbation, frénétiquement. Il aime Denis mais c’est Jean qu’il décapite au couteau, un camarade « qui avait l’air si heureux, content, fier, arrogant ». Nous sommes en 1905 dans un petit village du Cantal, croqué impétueusement par des vents secs et froids. L’histoire n’est pas celle de Judith décapitant Holopherne, Bruno Reidal n’a rien à sauver : il est un assassin et ses pulsions meurtrières sont son peuple.

Se présentant après son crime à la gendarmerie, Bruno Reidal est incarcéré puis interné. Il est suivi par plusieurs psychiatres dont Alexandre Lacassagne (l’un des fondateurs de l’anthropologie criminelle) qui lui demandent de raconter sa vie et de décrire son crime. Ce sont ses Onze cahiers de confession, publiés pour la première fois dans leur intégralité.

Ces écrits sont la tragédie d’un fou dans un paysage de basalte sur lequel des ombres sauvages vagabondent. Fier et sombre, fou et dévotieux, intelligent et triste, Bruno Reidal décrit sans ambages, d’une manière sèche et sans larme, son meurtre et davantage encore ses pulsions assassines qui naissent dans sa plus rude enfance.

Dans la vie de Bruno Reidal, rien ne parait possible pour échapper au drame : enfant brutalisé, la honte silencieuse de sa misère, un corps chétif inadapté aux travaux des champs, un goût brûlant pour la lecture dans un milieu sans livre, l’adoration effrénée d’un Dieu, le séminaire comme seule planche de salut, le jour où l’on tue et saigne le cochon comme seule festivité de l’année et, surtout, ses pulsions qui le dévorent (« les idées de meurtres et l’envie de me masturber se présentaient plus vivement à mon esprit. J’y résistais, mais je me vis plusieurs fois sur le point de succomber »).

Dans cette vie âpre, le sexe est omniprésent à travers la lutte que lui livre Bruno Reidal et le crime l’unique moyen de s’en affranchir (« j’étais bien moins coupable de commettre une bonne fois un grand crime qui mettrait un terme aux plaisirs sexuels auxquels je me livrais tous les jours, et après lequel je mènerais une meilleure vie que de commettre tous les jours des fautes de masturbation »).

Les Onze cahiers de confession s’organisent comme un voyage dans l’abîme confrontant des révélations d’une noirceur plus épaisse que celle des pierres qui font l’Auvergne. Il y a de la virtuosité dans l’introspection de Bruno Reidal qui nous immerge avec beaucoup d’acuité dans les plis des sédiments de sa monstruosité. Bruno Reidal n’est pas Meursault, il n’a pas tué à cause du soleil mais en raison d’un impérieux désir, d’une insoutenable nécessité de tuer.

Bruno Reidal est prodigue : il ne fait l’économie d’aucun détail choquant au sujet de son crime. Et ses doutes (« Suis-je malade ou non, je n’en sais rien ») et l’incompréhension de la portée de son crime troublent autant qu’elles sidèrent en profondeur (« Je me disais à moi-même que j’étais un grand criminel, que j’avais commis un grand crime, mais je ne concevais pas la signification, la portée, le poids, la valeur de ce mot : grand crime. »)

Ces Onze cahiers de confession dérangent donc cruellement et s’ils ne permettent pas d’obtenir l’absolution à Bruno Reidal, ils constituent à coup sûr un étrange objet littéraire et historique. Signalons pour finir la préface et la postface des deux éditeurs, sensibles et documentées, qui enchâssent ce texte.

Bruno Reidal meurt à 30 ans à l’asile d’Aurillac. On ne peut, comme Sisyphe, l’imaginer heureux.

Par Jean-Eudes Foumentèze, juriste

Renée VIVIEN, Poèmes 1901-1910 (en format poche)

Devant le succès de ce titre publié en grand format en 2009, EO en sort une version poche en mai 2024. Renée Vivien (1877-1909), au fil des ans, intéresse un public de plus en plus large qui souhaite disposer, à un prix abordable, de la quasi-totalité de son oeuvre poétique.

Cette édition reprend la préface de Nicole G. Albert, spécialiste de la littérature fin-de-siècle, dont voici la première phrase : « De toutes les figures iconiques que nous a laissées la littérature dite décadente, Renée Vivien est sans doute la plus atypique, dans la mesure où ses vers mêlent ouvertement, à la première personne, poésie et saphisme ».

Vivien est en effet la première poète à avoir été libérée par sa lecture de l’antique Sappho et à avoir chanté son lesbianisme sur toute la gamme d’Éros et de Thanatos. Colette, à son sujet, écrit en 1932 : « L’œuvre de Renée habite une région de tristesse élevée, où les amies rêvent et pleurent autant qu’elles s’y enlacent » (Ces Plaisirs… devenu en 1943 Le Pur et l’Impur).

Nous irons voir le clair d’étoiles sur les monts…

Que nous importe, à nous, le jugement des hommes ?

Et qu’avons-nous à redouter, puisque nous sommes

Pures devant la vie, et que nous nous aimons ?…

A l’Heure des mains jointes (1906)

Collection Poche Classiques

Format 12 X 19, avec rabats

364 pages

ISBN : 978-2-918444-62-6

15 €

paru le 7 mai 2024

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IN MEMORIAM

Hommage à Mirande Lucien, ce 23 octobre 2023

Mirande Lucien nous a quittés, le vendredi 13 octobre dernier, comme elle en avait fait le choix. De sa propre décision. Nous la regretterons, mais ne pouvons qu’approuver son choix. Son neveu Benoît et un ami de longue date, Ian, l’ont accompagnée, à Bruxelles. Sa crémation y a eu lieu vendredi dernier, le 20, et ses cendres seront dispersées en France, en Seine-Maritime plus précisément, où elle passa souvent ses vacances.


Son amie Ginette Michaux nous a accordé le droit de reproduire le texte qu’elle a écrit pour l’occasion.

Mirande Lucien est décédée par euthanasie ce 13 octobre 2023 à Bruxelles.

Née le 10 décembre 1945 à Mirande (Gers), elle passe ses vingt premières années à Bruxelles et obtient à l’U.C.L. une licence en Philosophie et Lettres.   Professeur dans l’enseignement secondaire à Lille et chargée de cours à l’Université Charles-De-Gaulle (Lille III), elle garde pour la Belgique un intérêt profond. En témoigne entre autres sa thèse de doctorat sur la vie et l’œuvre de Georges Eekhoud, publiée sous le titre « Eekhoud le Rauque » (Presses universitaires du Septentrion, 1999). Elle y brosse avec érudition les cadres linguistico-géographique et socio-économique dans lesquels a vécu l’écrivain, proche des penseurs anarchistes, co-fondateur de La Jeune Belgique et dont l’œuvre fut longtemps délaissée par la critique. Elle met en relief son univers fantasmatique et érotique et, pour la première fois, évoque clairement son homosexualité, non pour l’anecdote, mais parce que celle-ci constitue – comme l’avait indiqué Hubert Juin – le moteur secret de la thématique et de l’écriture de l’œuvre.

Sa subtile connaissance de la Belgique de l’époque et ses talents multiples se déploient aussi dans de nombreux articles, préfaces, rééditions et éditions critiques de Georges Eekhoud, parus pour la plupart aux éditions GKC – Question De Genre, avec la collaboration de l’éditeur Patrick Cardon. Citons notamment Le Quadrille du lancieret autres nouvelles (GKC 1992, réédition. 2015), Escal-Vigor (Séguier 1996), la traduction en français du scénario qu’Hugo Claus écrivit à partir de ce même roman (GKC 2002), Une mauvaise rencontre et autres nouvelles d’anarchie (Les âmes d’Atala 2013), Voyous de velours (GKC 2015). L’étude de Georges Eekhoud l’a conduite à travailler l’histoire de l’anarchie et celle du mouvement homosexuel. Elle a aussi écrit sur la vie et l’œuvre d’écrivaines comme Renée Vivien, Marguerite Coppin et Aline Mayrisch. Les éditions ErosOnyx ont fait paraître en 2008 un recueil de poèmes de Lucie Delarue-Mardrus, Nos secrètes amours, dont elle a écrit la préface et annoté le texte, et que l’on a trouvé à son chevet.

Mirande Lucien nous fut présentée par le directeur et rédacteur en chef de la revue Inverses et devint la collaboratrice d’ErosOnyx, en particulier pour Nos secrètes amours de Lucie Delarue Mardrus dont elle a rétabli le texte d’origine quelque peu malmené par Natalie Clifford Barney, en 1951, dans son édition de 1951. Mais il est vrai qu’en 1951 Dans les retouches apportées par Natalie Barney, il ne fallait y voir aucune malveillance. Simplement, à cette époque, il était impossible de tout dire. Raison de plus pour que Mirande le dise cinquante-sept ans plus tard, en 2008, elle qui, sa vie durant, célébra et vécut « le geste de Sappho », selon son expression. Elle n’a jamais oublié que le combat sapphique et le combat uraniste devront toujours se mener de front pour que la vie soit « plus vivante que la vie ».

Merci Mirande !

Paix à toi où que tu sois. Nous ne pourrons pas t’oublier.

Le 13 octobre rouvrait à Paris la librairie Violette & Co.

Nous procèderons en 2024 au troisième tirage de Nos secrètes amours.

                                   Yvan Quintin & Pierre Lacroix d’ErosOnyx éditions

Philippe VALLOIS, Ma cinéthérapie (avec le DVD du film DISSIDENCE)

A PARAÎTRE EN MARS 2024

Né en 1948, Philippe Vallois est un cinéaste singulier.

 Sa vie est un roman vitaliste et son œuvre un labyrinthe.

Après des films sortis en salle, dont certains sont devenus des icônes de l’underground homo comme Johan (1976) et Nous étions un seul homme (1979), après des créations pour la télévision comme le portrait-nébuleuse de l’artiste Huguette Spengler (1984), Vallois n’a jamais cessé de croire en sa bonne étoile de cinémagicien. L’évolution des techniques du cinéma lui a permis, en solitaire quasiment, de faire avec une caméra ce qu’un écrivain fait avec sa plume. Se sont succédé, en DVD et en festival, pour n’en citer que quelques-uns, des films comme Un parfum nommé Saïd (2003), Sexus Dei (2006), L’Adieu à Moustafa (2018), Les Guerres de Christine S. (2022) et des rétrospectives en France et à l’étranger.

                Un Prix Philippe Vallois a été créé et décerné au Festival queer Écrans Mixtes de Lyon, en mars 2023, récompensant un film de la programmation pour son audace et sa liberté.

                Dans La Passion selon Vallois, consacré aux quarante premières années de la vie de Philippe Vallois, paru chez EO en 2013, Ivan Mitifiot évoquait sa « caméra soleil ». Dans ce tome II consacré aux souvenirs de sa « décennie morbide » du sida (1987-1997), la caméra devient « cinéthérapie ».

                Le livre est ici accompagné du DVD du film Dissidence, créé durant le confinement à partir de scènes tournées dans les années 90 et d’interviews avec le professeur Jean-Marie Andrieu, franc-tireur de la recherche contre le sida.

Livre et film se font ainsi écho : dissidences sexuelle, médicale et artistique et kaléidoscope en mémoire de Jean, compagnon corps à cœur et âme frère.

ISBN : 978-2-918444-61-9

Collection Images

Format 14 X 19, avec rabats, DVD glissé sous le rabat 2

Prix : 25 €

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