GLAÇANT CANTAL, Bruno Reidal (alias Jean-Marie Bladier), « Onze cahiers de confession », lu par Jean-Eudes Foumentèze

LIBÉRATION, samedi 16 et dimanche 17 mars 2024

« A l’âge de quatre ans (…) les idées de meurtre commençaient à germer dans mon esprit ». Bruno Reidal (Jean-Marie Bladier, de son nom de naissance) a 17 ans. Il est séminariste. Il aime les garçons et la masturbation, frénétiquement. Il aime Denis mais c’est Jean qu’il décapite au couteau, un camarade « qui avait l’air si heureux, content, fier, arrogant ». Nous sommes en 1905 dans un petit village du Cantal, croqué impétueusement par des vents secs et froids. L’histoire n’est pas celle de Judith décapitant Holopherne, Bruno Reidal n’a rien à sauver : il est un assassin et ses pulsions meurtrières sont son peuple.

Se présentant après son crime à la gendarmerie, Bruno Reidal est incarcéré puis interné. Il est suivi par plusieurs psychiatres dont Alexandre Lacassagne (l’un des fondateurs de l’anthropologie criminelle) qui lui demandent de raconter sa vie et de décrire son crime. Ce sont ses Onze cahiers de confession, publiés pour la première fois dans leur intégralité.

Ces écrits sont la tragédie d’un fou dans un paysage de basalte sur lequel des ombres sauvages vagabondent. Fier et sombre, fou et dévotieux, intelligent et triste, Bruno Reidal décrit sans ambages, d’une manière sèche et sans larme, son meurtre et davantage encore ses pulsions assassines qui naissent dans sa plus rude enfance.

Dans la vie de Bruno Reidal, rien ne parait possible pour échapper au drame : enfant brutalisé, la honte silencieuse de sa misère, un corps chétif inadapté aux travaux des champs, un goût brûlant pour la lecture dans un milieu sans livre, l’adoration effrénée d’un Dieu, le séminaire comme seule planche de salut, le jour où l’on tue et saigne le cochon comme seule festivité de l’année et, surtout, ses pulsions qui le dévorent (« les idées de meurtres et l’envie de me masturber se présentaient plus vivement à mon esprit. J’y résistais, mais je me vis plusieurs fois sur le point de succomber »).

Dans cette vie âpre, le sexe est omniprésent à travers la lutte que lui livre Bruno Reidal et le crime l’unique moyen de s’en affranchir (« j’étais bien moins coupable de commettre une bonne fois un grand crime qui mettrait un terme aux plaisirs sexuels auxquels je me livrais tous les jours, et après lequel je mènerais une meilleure vie que de commettre tous les jours des fautes de masturbation »).

Les Onze cahiers de confession s’organisent comme un voyage dans l’abîme confrontant des révélations d’une noirceur plus épaisse que celle des pierres qui font l’Auvergne. Il y a de la virtuosité dans l’introspection de Bruno Reidal qui nous immerge avec beaucoup d’acuité dans les plis des sédiments de sa monstruosité. Bruno Reidal n’est pas Meursault, il n’a pas tué à cause du soleil mais en raison d’un impérieux désir, d’une insoutenable nécessité de tuer.

Bruno Reidal est prodigue : il ne fait l’économie d’aucun détail choquant au sujet de son crime. Et ses doutes (« Suis-je malade ou non, je n’en sais rien ») et l’incompréhension de la portée de son crime troublent autant qu’elles sidèrent en profondeur (« Je me disais à moi-même que j’étais un grand criminel, que j’avais commis un grand crime, mais je ne concevais pas la signification, la portée, le poids, la valeur de ce mot : grand crime. »)

Ces Onze cahiers de confession dérangent donc cruellement et s’ils ne permettent pas d’obtenir l’absolution à Bruno Reidal, ils constituent à coup sûr un étrange objet littéraire et historique. Signalons pour finir la préface et la postface des deux éditeurs, sensibles et documentées, qui enchâssent ce texte.

Bruno Reidal meurt à 30 ans à l’asile d’Aurillac. On ne peut, comme Sisyphe, l’imaginer heureux.

Par Jean-Eudes Foumentèze, juriste