Homo Pierrot t. III sur le site de Handigay

Nous suivons Pierrot depuis le début de son autobiographie (tome 1 et tome 2) : le personnage a fait son nid dans la tête et dans le coeur du lecteur et c’est avec une vraie émotion que l’on ouvre ce qui est déjà l’avant-dernier tome de ce récit. Cette émotion est trop forte pour pouvoir imaginer une impasse sur l’enfance, l’adolescence (auvergnates) et la vie parisienne de Pierre LACROIX : impossible donc d’imaginer ce que ressentirait celui qui embarquerait ici, à Selves où le narrateur fixe sa vie pour se reconstruire après sa rupture avec Erwan.

Est-il raisonnable de raconter un chagrin d’amour qui se transforme en dépression nerveuse sur plus de cent cinquante pages ? Les familiers de l’auteur savent qu’il est plus souvent sujet au spleen et à la mélancolie qu’à un optimisme béat : son esprit analyse avec rigueur et lucidité tous les remous de son âme d’idéaliste amoureux.

À son service, on retrouve cette plume unique qui ralentit toujours aussi voluptueusement le lecteur le plus rapide : comment pratiquer une lecture silencieuse de ce texte alors que chacun des mots a été choisi et écrit pour vibrer de toutes ses sonorités sous la langue et dans les oreilles du lecteur ? C’est le poète en prose auteur de Bleus que l’on retrouve ici plus que le romancier des débuts d’Homo Pierrot : il a même hellénisé (p. 84) en Anaphranyl, l’orthographe du célèbre antidépresseur Anafranil (1) dans une page où l’on trouve la plus belle et la plus poétique description de la dépression nerveuse.

Pierre LACROIX n’est jamais larmoyant. De Proust à Navarre en passant par Cocteau sans oublier Augiéras, il offre aux amoureux de la littérature, à ceux qui ont construit leur différence dans les fragments de leurs semblables dissimulés ou exposés par les plus grands auteurs, un panorama personnel des oeuvres où l’amour des garçons est l’un des éléments essentiels. Il édicte ainsi p. 48 et 49 un principe d’amour de la vie, où le Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain de Ronsard est développé dans un amour de la beauté où le goût des mots et des livres occupe la première place. Sans oublier le cinéma ni la chanson, l’auteur fait ainsi le tour des arts qui, entre mélancolie et énergie de découvrir encore, ont marqué son existence.

Mais nous ne sommes pas en compagnie d’un pur esprit : Pierre a un corps dont il sait si bien décrire le vieillissement – avec de pertinentes réflexions sur les modes relatives au poil masculin ! – ainsi que les pulsions, ici libérées lors de masturbations avec supports divers.

C’est avec un artisanat très particulier que Pierrot commence une nouvelle vie. Seul à Selves, il nous faudra encore attendre quelques mois pour retrouver des plumes et la plume qui vient régulièrement nous offrir des émotions si chamarrées, même lorsque le noir en est la couleur dominante.

(1) qui sauva Philippe Labro, cf son livre Tomber sept fois, se relever huit, Gallimard