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LES ÉCHOS Week-end 25-08-2017 à 06 : 00

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Avant « 120 battements par minute », les films des années sida
Olivier de Bruyn / Journaliste | Le 25/08 à 06:00image: https://www.lesechos.fr/medias/2017/08/25/2109565_avant-120-battements-par-minute-les-films-des-annees-sida-web-tete-030507592384_1000x300.jp
Avant « 120 battements par minute », les films des années sida ©Celine Nieszawer

Les critiques du Festival de Cannes le voyaient Palme d’or. Le film-événement de la rentrée, « 120 battements par minute » de Robin Campillo, évoque le combat des militants d’Act Up dans les années 90. L’occasion de s’arrêter sur la façon dont le cinéma a abordé le « sujet sida ».
C’est un temps que les moins de 40 ans n’ont pas connu, du moins à l’âge adulte… Au début de la décennie 90, des jeunes militants des deux sexes, réunis au sein de l’association Act Up multiplient les actions provocatrices pour contraindre les institutions et les laboratoires pharmaceutiques à prendre en compte l’épidémie de sida, ses ravages, et à mener, enfin, une politique de santé volontariste. Entre manifs, assemblées générales, interventions intempestives dans les lieux de pouvoir et séjours dans les hôpitaux, ces filles et garçons tentent aussi de vivre leur vie sentimentale et sexuelle, malgré la peur de la mort. Cette mort qui rôde, omniprésente… Le cinéaste de 120 battements par minute, Robin Campillo, 55 ans, sait de quoi il parle. Militant d’Act Up dans la décennie 90, il convoque des souvenirs intimes dans son nouveau film, l’un des plus beaux de l’année 2017, qui a été honoré par le Grand Prix du jury lors du dernier Festival de Cannes.

« C’est un film personnel, mais en aucun cas autobiographique, explique Robin Campillo. J’y évoque un groupe et la puissance d’une parole et d’une action politiques. Ce qui m’a frappé quand « 120 battements par minute » a été projeté à Cannes, c’est de voir à quel point le film venait interpeller chacun dans son intimité. Tout le monde a connu quelqu’un parmi ses proches qui a été frappé par la maladie. Le sida est l’épidémie la plus meurtrière dans l’histoire récente – plus de 40 millions de morts – et le cinéma, aujourd’hui encore, se doit de raconter cette histoire. » Le film de Campillo tient sa force de l’avoir fait sans faux-fuyant, comme une actualité encore brûlante.

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Prix du jury au dernier festival de Cannes, le film de Robin Campillo retrace l’action des militants d’Act Up à la fin des années 1980 ©Celine Nieszawer
Raconter l’horreur de la maladie et la façon dont la société l’a perçue, traitée et parfois ignorée… Dès la fin de la décennie 80, quelques années après l’apparition du sida, des cinéastes évoquent cette épidémie dont on sait si peu de choses et qui alimente tant de fantasmes destructeurs. Pour l’aborder, les films de l’époque empruntent fréquemment la voie de la fable et de la métaphore. Aux États-Unis, Coppola met en scène la peur de la contamination par le sang dans sa relecture personnelle de Dracula, le grand classique de Bram Stocker. Un film où, avec ses vampires ancestraux, le cinéaste multiplie les références à notre époque. En France, Léos Carax, dans « Mauvais sang », décrit un Paris imaginaire en proie à un nouveau virus : le STBO, qui frappe impitoyablement les amants des deux sexes ne jurant que par les aventures érotiques et l’amour libre.

Si le sida n’est jamais nommé au coeur des fictions, la maladie et la menace y sont omniprésentes. « On distingue deux périodes dans la façon dont le cinéma représente le sida, note Didier Roth-Bettoni, auteur de Les années sida à l’écran (1), un livre référence sur le sujet. Ces deux périodes correspondent à l’évolution des traitements médicaux. La première, à compter de 1985, bien avant l’apparition des trithérapies, donne lieu à des films d’une noirceur totale. À cette époque, l’espérance de vie des malades est tellement faible que les films sont fatalement hantés par la mort. À partir de 1996, avec le développement des trithérapies, c’est la question du « comment vivre avec la maladie » qui devient prépondérante. À partir de ce moment, le nombre de films consacrés au sida baisse de façon notable. Curieusement, ces dernières années, quand le cinéma évoque le sujet, il en revient à des représentations liées à la première période. Comme s’il s’agissait de ne pas oublier. »
« NUITS FAUVES » ET POLÉMIQUES
Dans les années 90, celles que met aujourd’hui en scène Robin Campillo dans 120 battements par minute, plusieurs films marquent les esprits et rencontrent un grand succès en retraçant le destin de personnages victimes du sida. Si certains d’entre eux ne traitent pas de l’homosexualité – Trainspotting de Danny Boyle en 1996, avec ses protagonistes junkies, ou Jeanne et le garçon formidable de Olivier Ducastel et Jacques Martineau en 1998, avec son héros hétéro contaminé suite à une injection par intraveineuse – la plupart des œuvres majeures de l’époque mettent en scène des personnages masculins homosexuels. Il faudra attendre 1995 et le film Kids de Larry Clark pour voir représentée une lesbienne atteinte par la maladie…

Deux films s’imposent particulièrement auprès du grand public. En France, Cyril Collard triomphe avec Les Nuits fauves (1992), un récit autobiographique dans lequel le cinéaste incarne lui-même le rôle principal, celui de Jean, un jeune séropositif qui vit des amours multiples et refuse de se protéger et de protéger ses amant(e)s. Le film attire 3 millions de spectateurs dans les salles, remporte plusieurs César en 1993, quelques jours après la mort du cinéaste, et… déclenche de nombreuses polémiques. « En France, explique Robin Campillo, j’ai toujours trouvé qu’il y avait un romantisme noir gênant dans les films qui évoquent du sida. À ce titre, Les Nuits fauves, auquel Collard lui-même atteint par la maladie ne survivra qu’un an à peine, est malheureusement exemplaire. Pour moi qui militais à Act Up à l’époque, cette apologie des pratiques sexuelles sans préservatif était inacceptable, même si le film a incontestablement permis de faire parler de la maladie. »
UNE PRISE DE CONSCIENCE COLLECTIVE
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Philadelphia , de Jonathan Demme ©TriStar Pictures/COLLECTION CHRISTOPHEL
Côté américain, l’industrie hollywoodienne ne s’intéresse au sida qu’à partir de 1993. Le « sujet » est jusqu’alors réservé à des productions indépendantes bien plus modestes. Dans Philadelphia, Jonathan Demme, qui vient de triompher avec Le Silence des agneaux, dirige deux stars, Tom Hanks et Denzel Washington, dans un film décrivant avec précision l’horreur de la maladie et encourage la lutte contre les préjugés homophobes. Une mission essentielle à l’époque où les fantasmes sur ce que l’on nommait fréquemment le « cancer gay » faisaient des ravages.

« Longtemps, le sida a été considéré comme la maladie des seuls homosexuels, explique Didier Roth-Bettoni. Les deux étaient associés : Sida = PD, disait-on alors… Pour la première fois avec Philadelphia l’industrie du cinéma américain s’empare du sujet à bras-le-corps. La chanson générique de Bruce Springsteen, « Streets of Philadelphia« , rencontre un succès plus important dans le reste du monde qu’aux États-Unis. L’approche compassionnelle et pédagogique du film a joué un rôle très important dans la prise de conscience de la maladie par le public international. Néanmoins, après ce tour de force et les Oscars remportés par Philadelphia, tout se passe comme si Hollywood considérait qu’il avait payé sa dette à cette grande cause. Il n’y aura plus jamais un film hollywoodien de cette ampleur consacré au sida. »

Et en France ? En France, c’est encore pire… Si de nombreux films ont évoqué la maladie depuis N’oublie pas que tu vas mourir, de Xavier Beauvois en 1995, au film d’André Téchiné, Les Témoins, en 2007, en passant par Drôle de Félix d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau en 2000, aucune fiction à gros budget et incarnée par un de nos plus grands acteurs n’y a jamais vu le jour ! Le « sujet » n’a été traité que par le cinéma d’auteur et, différence notable avec le cinéma américain, il a systématiquement fait l’objet d’une approche intimiste, jusqu’à 120 battements par minute. Aux États-Unis, de nombreux films historiques ont vu le jour au fil des décennies : du téléfilm Les Soldats de l’espérance, de Roger Spottiswoode, en 1994, une fresque sur la découverte du virus, au film Dallas Buyers Club, de Jean-Marc Vallée en 2013, sur le combat des malades pour obtenir de nouveaux traitements. Rien de comparable en France. « Le cinéma américain invite à la prise de conscience collective, note Didier Roth-Bettoni. Le cinéma français, lui, néglige cet aspect, s’attache à des destins individuels et rechigne à l’engagement. »

« En France, le cinéma est souvent très et trop pudique quand il s’agit d’aborder certains thèmes, ajoute Robin Campillo. Il suffit pour s’en convaincre de voir le peu de films tournés sur la guerre d’Algérie. Sur le sida, c’est finalement la même chose. Le film le plus important reste celui de Hervé Guibert La pudeur ou l’impudeur, un journal intime documentaire. La puissance et l’émotion de ce film, comme celles, aux États-Unis, de « Silverlake life : the view from here« , autre documentaire réalisé par Tom Joslin et Peter Friedman, m’ont dissuadé de m’appesantir sur la description physique de la maladie dans 120 battements par minute. La déchéance n’était de toute façon pas mon sujet. »
« Dallas Buyers Club », de Jean-Marc Vallée
© Voltage Pictures/Truth entertainment/DR/Collection Christophel

BRISER LES DERNIERS TABOUS
La France, toujours pusillanime ? Il y a de cela. Et l’on peut s’étonner, par exemple, qu’aucun long-métrage de cinéma n’ait été consacré à l’affaire du sang contaminé, l’un des plus grands scandales sanitaires de l’histoire récente et potentiellement un sujet « idéal » pour un grand film politique, judiciaire et sociétal. Robin Campillo évoque « l’affaire » dans son film qui, non content de raconter l’histoire de quelques personnages bouleversants, met en scène une époque et ses contradictions.
Arnaud Valois, 33 ans, un des acteurs principaux du film, était enfant dans les années 90 et plonger dans l’aventure de 120 battements par minute lui a permis de mieux comprendre les enjeux de cette période : « Je n’étais qu’un gamin à l’époque et, en préparant le film, j’ai été sidéré de constater à quel point les pouvoirs publics affichaient dédain et mépris à l’égard des malades. Je connaissais les ravages de l’épidémie dans ces années-là, mais je n’étais pas conscient du refus des politiques et des institutions de la prendre en compte. Quand Robin Campillo m’a contacté, j’avais arrêté le cinéma depuis des années. Je n’avais plus le désir d’être comédien. Mais j’ai trouvé l’histoire si forte, j’ai trouvé si important que l’on revienne sur cette période qui n’avait jamais été abordée d’une telle manière, que je n’ai pas hésité à répondre favorablement à sa demande. En France, on redoute toujours d’évoquer l’histoire moderne. « 120 battements par minute  » brise en quelque sorte ce tabou. » Et ouvre une brèche ?

L’AFFAIRE DU SANG CONTAMINÉ, L’OUBLIÉE DU CINÉMA

Un scandale sanitaire majeur (la contamination par le VIH à la suite de transfusions sanguines), la mise en cause des laboratoires et des responsables politiques de l’époque, un interminable combat judiciaire : l’affaire du sang contaminé et la tragédie des hémophiles révélées dans les années 90, avaient tout pour passionner le cinéma français. Il n’en a rien été et le « dossier » n’a fait l’objet que d’un téléfilm : Facteur VIII, réalisé en 1995 par Alain Tasma avec, entre autres, Nicole Garcia et Bruno Todeschini. Hervé Chabalier, le producteur avec Canal +, dut renoncer aux financements de France 3 peu avant le tournage. Une perte de 4 millions de francs qui faillit faire capoter le projet. Si l’affaire du sang contaminé est rapidement évoquée dans le film de Campillo, elle n’a toujours pas donné lieu à un long métrage.

QUATRE FILMS EMBLÉMATIQUES

« 120 battements par minute » de Robin Campillo, 2017 : Au début des années 90, parmi les militants du groupe parisien Act Up, un jeune garçon d’une vingtaine d’années, Sean, séropositif, entame une histoire d’amour avec Nathan, un nouveau venu dans la communauté. Au plus près de ses personnages, Robin Campillo signe un grand film intime et collectif. Il y restitue la réalité d’une époque où les malades du sida durent lutter contre l’indifférence des pouvoirs publics et des laboratoires pharmaceutiques. Récompensé par le Grand Prix du jury au dernier Festival de Cannes, il a raté de peu la Palme d’or.

Les Nuits fauves de Cyril Collard, 1992 : Jean, chef opérateur reconnu, multiplie les aventures sexuelles avec les filles et les garçons, alors qu’il se sait séropositif… Dans l’adaptation pour le grand écran de son livre autobiographique, Cyril Collard évoque son désir éperdu d’amour et de vie. Malgré les polémiques, Les Nuits fauves rencontra un triomphe dans les salles et, trois jours après le décès du cinéaste, fut honoré lors de la cérémonie des César en 1993, où il obtint notamment le prix du meilleur film.

Philadelphia de Jonathan Demme, 1993 : Andrew Beckett (Tom Hanks), avocat célèbre, veut prouver que son licenciement est dû à son homosexualité et à sa maladie, le sida. Joe Miller (Denzel Washington), avocat a priori homophobe, l’épaule dans son combat… Jonathan Demme signe un beau film poignant et pédagogique qui fit un triomphe. Tom Hanks reçut un Oscar en 1994 pour sa prestation, et Bruce Springsteen pour la bande originale du film, « Streets of Philadelphia ».

Dallas Buyers Club de Jean-Marc Vallée, 2013 : Dallas, 1985, Ron Woodroof (Matthew McConaughey, ici avec Jared Leto), incarnation du machisme et de l’homophobie, découvre qu’il est séropositif. Avec d’autres malades, il entame un long combat pour obtenir de nouveaux médicaments et briser le monopole imposé par le système de santé américain… Inspiré d’une histoire vraie, le film du Canadien Jean-Marc Vallée a remporté un important succès dans les salles et a valu l’Oscar du meilleur acteur à Matthew McConaughey en 2014.

QUAND LA PLANÈTE PEOPLE S’ENGAGE

En 1985, la maladie, puis le décès de Rock Hudson, une des premières célébrités à avoir révélé sa séropositivité, crée l’embarras à Hollywood. Pour briser la loi du silence et lutter contre les préjugés envers les malades, Liz Taylor mobilise les bonnes volontés et récolte des fonds pour la recherche et le soutien aux victimes. Cocréatrice de l’AmfAR (American Foundation for Aids Research), fin 1985, l’actrice organise galas, dîners et ventes aux enchères où, depuis trente ans, se pressent les stars du grand écran : Nicole Kidman, Leonardo DiCaprio, Richard Gere, les Français Audrey Tautou, Guillaume Canet, Mélanie Laurent… Depuis vingt ans, Sharon Stone se démène pour aider les malades, notamment au sein de l’AmfAR, dont elle préside la collecte de fonds depuis 1995. En mai dernier, pendant le Festival de Cannes, 800 convives étaient invités par l’association à l’Hôtel du Cap-Eden-Roc pour un dîner et une vente aux enchères à laquelle participaient notamment Jessica Chastain, Dustin Hoffman, Will Smith… Depuis sa création, les dons amassés par l’AmfAR sont estimés à plus de 360 millions de dollars et contribuent à financer 2 000 équipes de recherche dans le monde.

(1) « Les années sida à l’écran, Didier Roth-Bettoni. Éditions ErosOnyx (avec le DVD de « Zero Patience », de John Greyson) 25 euros.

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