Michel Serceau a lu Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin

Auteur d’ouvrages et d’études critiques consacrés aux écrivains de l’âge classique, notamment d’une Histoire de la littérature française du XVIIème siècle , Claude Puzin avait déjà en 2007 exercé sa plume à l’écriture d’un roman historique . Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin est donc la seconde de ses productions littéraires. Ce sera malheureusement la dernière. J’apprends en effet, à l’heure où je m’apprête à rédiger cette recension de son livre, sa mort le 1er janvier, à l’âge de 68 ans.

Nous perdons avec lui un spécialiste confirmé du XVIIème siècle. Nous le regretterons d’autant plus qu’il aura été un véritable écrivain. Ce n’est pas par rhétorique que je parle à propos de Louis de Bourbon, ou le soleil maudit et de Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin, de productions littéraires. Il y a dans ces livres, et surtout dans le second, un réel bonheur d’écriture. La richesse de la langue, la vivacité et la pugnacité du style supportent la comparaison avec celles de plusieurs de nos grands auteurs.

Roman historique, et non « (auto)-biographie fictive ou fiction (auto)-biographique », Claude Puzin y insiste dans sa postface : Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin ne narre rien qui ne soit attesté. L’auteur donne in fine, outre ses sources dans les œuvres de ses personnages principaux… et de quelques autres, la liste des ouvrages qu’il a consultés : une véritable anthologie, l’ouvrage le plus ancien sur le libertinage érudit est de 1943, le plus récent, Les libertins baroques, de 2008.

Le roman dirige l’attention du lecteur vers trois écrivains du XVIIème siècle, dont un seul, Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), est encore aujourd’hui connu. Charles d’Assoucy (1605-1677), que Claude Puzin a choisi comme personnage principal, narrateur de surcroît, et Claude-Emmanuel Chapelle (1626-1686) ne sont connus, eux, que des spécialistes. Claude Puzin, qui précise sans ambages que la lecture des œuvres de Claude d’Assoucy (possible seulement en bibliothèque : nulle édition moderne !), « déçoit jusqu’à l’ennui », n’a pas voulu réhabiliter ces écrivains, mais faire revivre un moment de l’Histoire et, au-delà de la reconstitution, donner un éclairage sur ce qu’il est convenu d’appeler le « libertinage ».

Les histoires et manuels de littérature le prennent en compte. Mais, alors que le contexte social et moral de la Courtoisie, de la Préciosité, par exemple, sont soigneusement décrits, le contexte du libertinage demeure occulté. C’est peu de dire que, vu l’homosexualité avérée de nombre des libertins, dont les trois personnages principaux de Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin, qui en sont des emblèmes, l’Université a été ici frileuse. Mais, comme le note Claude Puzin, les choses changent : « la critique universitaire actuelle, moins pudibonde – certains diraient « homophobe » – que naguère, n’hésite plus à parler, à leur propos, de « trio gay » . Roman d’éducation et pas seulement roman historique, Vie, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin narre donc les années de formation d’un jeune homosexuel. De Paris à Rome et retour, en passant par Calais, Loudun, où il est témoin de l’affaire des convulsionnaires. Paris d’abord, où naît Charles d’Assoucy d’un père magistrat qui laisse à son fils libre accès à une bibliothèque « pauvre en ouvrages de théologie ou de morale » mais où « se bousculaient sur les rayons les poésies les plus licencieuses, les satires les plus scabreuses, les épigrammes les plus spermatiques, les contes les plus drolatiques… » .

Le ton est donné. Claude Puzin décrit d’une langue aussi verte qu’acérée , et avec un humour constamment soutenu, le Paris de la rue aussi bien que celui de la cour royale. Son héros fréquente aussi bien l’un que l’autre – il n’est pas le seul – et y fait son éducation. Il décrit les grands aussi bien que le peuple. Des arcades de la place Royale aux berges de la Seine, où l’on prend le soleil et se baigne en été, Claude Puzin donne de Paris des images que nous donne rarement la littérature. Il a habilement utilisé à cet effet les Historiettes de Tallemant des Réaux.

Il nous rappelle que ce livre, publié seulement au XIXème siècle, avait fait « aussitôt scandale : on était loin des ors et des pompes du Grand siècle ! Son réjouissant envers ! » . On est loin aussi des « morales du Grand Siècle » . Non que Claude Puzin récuse ces dernières. Mais il montre les deux faces d’un siècle. Et ses deux temps : « « L’affaire Théophile  » donna à la première un brutal coup d’arrêt… Ce fut alors l’époque des Tartuffe, et les Don Juan se firent faux-dévots » .
Non que la première ait été pain bénit pour les libertins. Claude Puzin ne cède pas non plus à la tentation de l’hagiographie. La force de son livre est, je ne saurais trop y insister, d’articuler description des mœurs et évocation de théories philosophiques qui ont pu conduire leurs auteurs au cachot, voire au bûcher. Ces deux réalités sont également décrites. Le héros du roman connaît lui-même, à Rome, la prison et se trouve entre les mains de l’Inquisition. C’est dire que l’on ne peut pas plus taxer Claude Puzin de légèreté que de complaisance. Effectuant en quelques pages, voire en quelques paragraphes, d’habiles synthèses, mises dans la bouche des personnages, des théories, notamment, de Gassendi, saisies donc in vivo , il en rappelle au lecteur la substance. Je ne puis évidemment dresser ici la liste de toutes les références. Je me contenterai de citer encore Giordano Bruno, dont la philosophie est brillamment exposée à Charles d’Assoucy par son co-détenu italien dans la prison de Rome.
Le séjour du héros à Rome coïncidant avec un conclave, Claude Puzin fait un tableau décapant de l’institution vaticane et d’une Rome qu’il appelle – c’est le titre d’un des chapitres du roman – « La nouvelle Sodome ». Il pense, indéniablement, à ce qu’a représenté depuis la Renaissance le voyage en Italie. Je suis tenté de dire que celui qu’il fait faire à ses héros a quelque chose d’un anti-voyage. Mais le terme, trop formaliste, ne lui plairait certainement pas. Il ne rend pas compte de ses intentions, qui ne sont pas tant de « déconstruire » – foin de la prétendue modernité ! – que de démythifier les discours et pensées convenues d’une vulgate.

Il s’agit en somme de monter la complexité du réel, de ne pas abstraire l’histoire de la littérature et la matière littéraire de leurs contextes, des contradictions et travers d’une société, des êtres. Le livre, qui joint l’utile à l’agréable, est en cela pour les professeurs de Lettres d’un non négligeable apport.

Michel Serceau, mars MMXIII