DÉDÉ d’Achille Essebac, roman

Les Amitiés particulières n’ont pas été le roman précurseur que l’on croit. Sans aucunement lui enlever son intérêt et son mérite, on se doit, pour être juste, de dire que bien des années avant le roman de Roger Peyrefitte – jugé scandaleux, comme on sait, à sa publication – un écrivain, jeune encore, Achille Essebac, avait raconté l’histoire d’amours adolescentes, avec Dédé paru en 1901.

Pour peu que le lecteur de ce livre ait lui-même, en sa prime jeunesse, connu les troubles amoureux et les sentiments qu’éprouvent l’un pour l’autre les deux adolescents de ce roman, et en ait gardé un souvenir ému, il ne manquera pas d’être, malgré lui peut-être, profondément touché et mélancoliquement charmé par Dédé . Il le sera par la tendresse amoureuse, d’abord muette, que se portent les deux collégiens, il verra la beauté de Dédé par le regard du narrateur avant que ne s’ouvrent leurs yeux sur la réalité du cœur comme de leur jeune et encore inconscient désir.

Le romancier sait en effet accorder au regard, avec délicatesse, toute son importance pour évoquer « la force souriante, l’achèvement presque parfait des formes adolescentes« , et peindre avec sensualité jambes, cuisses, hanches, torse, « reins creusés d’un trait profond à la flexion du dos« , toute la beauté d’un âge où se devine « la puissance future, fière déjà, (des) mâles étreintes. » Ce regard, si sensible à la grâce de Dédé, n’est pas aveugle à la beauté des camarades, celle d’Yves aux  » yeux bleus et clairs« , au dessin des muscles qui se jouent « dans l’or pâle du maillot« , ou bien de Georges à la chair brune, « flexible comme un iris noir … effilé souple, d’une aristocratique minceur dans un maillot ardent ».

Cette beauté physique de l’adolescence est telle, aux yeux du narrateur – faut-il dire de l’auteur ? – qu’il voudrait en exclure la sexualité. L’hommage qui lui est rendu est si total que la mort même de son ami est acceptée afin que  » vive son souvenir vainqueur de l’emprise inévitable – sans elle – de l’Homme.  » On peut ne pas partager la conception d’Achille Essebac d’une adolescence angéliquement fantasmée et, du moins le croit-il, protégée de la sexualité. Malgré qu’il en ait, la sensualité pourtant n’en est pas absente. Mais il faut lire son roman, ne serait-ce que pour rêver avec lui et, avec lui, se souvenir de nos propres émotions d’un autre âge, celui de notre – déjà – lointaine adolescence. Les éditions Quintes-Feuilles en donnent enfin le texte intégral, accompagné d’une Note sur les deux variantes du roman. Cette Note rappelle aussi avec pertinence que celui-ci connut en quelques années plus de six tirages successifs, au point que l’éditeur de 1901, vu le succès, en proposa une version illustrée.