Je me souviens du film de Stephen Frears, My…

Je me souviens du film de Stephen Frears, My Beautiful Laundrette , sorti en France le 3 septembre 1986. Je m’en souviens tout spécialement parce que, plus qu’un autre, à ce moment précis de ma vie, il m’a profondément marqué et ce indépendamment de ses qualités intrinsèques.

Il ne s’agit pas en effet ici de donner une critique proprement cinématographique du film que, d’ailleurs, je ne tiens pas à revoir, ma mémoire m’ayant suffisamment conservé, outre un certain nombre de scènes, ce qui en constitue à mes yeux l’essentiel : l’effet qu’il a eu sur moi, cet impact sur ma sensibilité et mon imagination qui m’est encore perceptible aujourd’hui.

Sans doute s’est-il produit alors ce genre de conjonction assez mystérieuse, et peut-être au fond inexplicable, entre une œuvre de fiction et une existence à un stade donné de son évolution. Une sorte de connexion immédiate, évidente, la rencontre soudaine et parfaite d’une œuvre et de celui qui la reçoit, comme une reconnaissance de l’une par l’autre qui ne pouvait survenir qu’à ce moment-là, entre cette œuvre-là et cette personne-là.

En 1986 j’ai vingt-six ans et je vis seul à Paris. Je sais depuis toujours que je suis homosexuel mais mon éducation, mon tempérament, l’absence également d’un modèle positif auquel me référer ne m’ont pas préparé à vivre ce qu’au plus profond de moi je recherche : l’amour des garçons.

Même si cela fait plusieurs années que j’ai échappé au contrôle de mes parents, moi leur seul enfant, même si je vis dans la capitale après avoir quitté un Bordeaux assoupi, encore étudiant, je reste dans un relatif isolement, entouré seulement de quelques camarades d’études, filles autant et peut-être plus que garçons.

En réalité je préfère la solitude -ce face à face singulier avec soi-même- pour la liberté exceptionnelle qu’elle procure. Rentrer seul dans mon studio et, une fois la porte refermée, sans témoins, sans regards extérieurs, sans contraintes hormis celles que je me donne, savoir que je suis totalement libre. De rêver allongé sur mon canapé, de lire, d’écouter de la musique, d’écrire, de nourrir cette voix intérieure qui ne me quitte plus depuis l’âge dit de raison, aux alentours de ma septième année, et que je n’entends pleinement que seul. Mais sur cette ligne de crête où tout est plus intense, où le moindre événement prend une importance cruciale, où d’innombrables sollicitations risquent à tout instant de rompre le cercle magique, il faut être fort et je suis faible. Je veux moi aussi descendre dans l’arène.

J’ai soif de rencontres, les garçons m’attirent, je les désire et en même temps je suis tenaillé par la peur, je n’ose aller vers eux. Me retiennent toutes ces caricatures, ces clichés qui traînent partout, aggravés de mes propres préventions dues à l’ignorance et à la honte. Des histoires sordides me reviennent en tête, des remarques, des jugements, tout un ensemble de paroles prononcées comme autant de mises en garde, de menaces. L’homosexualité, c’est la marge, c’est la relégation, c’est l’opprobre. Et ça peut être le crime, le gigolo ramassé au coin de la rue et qui vous poignarde sous la douche pour vous voler. Si je veux malgré tout vivre ainsi, si tout mon être me crie que je suis entièrement, définitivement gay, je dois d’abord abattre ces murailles mentales. Je dois d’abord me vaincre moi-même.

C’est alors que je vais voir au cinéma My Beautiful Laundrette de Stephen Frears. Et que j’ai une révélation. Non, l’amour entre deux garçons que précisément tout oppose – la couleur de peau, le milieu social, les engagements – ne conduit pas fatalement à l’échec, au chagrin, au drame. Ni suicide ni mort violente. Au contraire cet amour est possible malgré tous les obstacles qui se dressent devant lui, qu’ils soient individuels ou collectifs. Le bonheur est aussi pour Omar et Johnny. Il n’y a plus de « douloureux problème », de handicap particulier à surmonter. Deux garçons s’aiment naturellement, voilà tout. C’est un magnifique pied de nez à tous les déterminismes qui pèsent sur nos vies et trop souvent les orientent, qu’ils soient sociaux, politiques ou religieux.

Après ce film je ne suis plus le même. Je me sens plein d’espoir, enthousiaste, délivré d’un énorme poids. L’interdiction est tout à coup levée, la peur envolée. Ma vie, la vie à laquelle j’aspirais depuis si longtemps, est devenue facile, comme si le film avait changé ma perception des choses et des êtres, comme s’il m’avait transformé. Je sors, je fais des rencontres, je suis heureux. Libre d’une liberté, certes, autre que dans la solitude mais qui me manquait cruellement. J’ai l’impression, quand je me retrouve avec tous ces garçons qui partagent mon désir, et plus que cela, une façon d’être, un état d’esprit, quand je danse au milieu d’eux ou bois un verre en leur compagnie, qu’après des années d’exil je suis de retour chez moi. Dans « my beautiful laundrette ».

André Sagne
14/07/2016

Christian GURY dans le Cantal pour Jean de Bonnefon au même moment que le Tour de France

Mercredi prochain Christian Gury arrive dans le Cantal, par le train, tandis que le Tour de France, le même jour, mercredi 6 juillet fera étape au Lioran. Le Tour repartira le lendemain jeudi pour Limoges, d’Arpajon-sur-Cère, petite ville voisine d’Aurillac, tandis que Christian Gury, de son côté, s’apprêtera à donner une conférence à la Médiathèque du Bassin d’Aurillac (belle réalisation architecturale) sur « Jean de Bonnefon, un Cantalien de Paris ».
Un contemporain fait de cet ami des archiduchesses et des cardinaux un portrait amusé : « Il avait beaucoup vécu à Vienne, dans l’intimité de la Hofburg dont il connaissait les secrets les plus dramatiques et au Vatican dont il savait les intrigues et dont il narrait de sa charmante ironie voltairienne l’habile diplomatie. Le front couronné de boucles blanches frisées au fer, coiffé d’un feutre à larges bords, précédé d’un majestueux embonpoint, il promenait sa faconde mordante et cynique parmi une cohorte de jeunesse admirative, tandis que sa main d’évêque bénissait ses propres récit.»

À l’issue de sa conférence, Christian Gury signera son livre L’étrange Jean de Bonnefon ou le journalisme à l’estomac, en vente depuis juin en ligne et dans toutes les librairies.

Les curieux qui se seront déjà repu les yeux du passage du Tour, auront le plaisir d’écouter la belle élocution de l’auteur, ancien avocat, accompagnée de tous les effets de manche du prétoire.

Le lendemain vendredi, c’est à Calvinet que Christian Gury devant un auditoire que l’on attend nombreux, donnera la même conférence, puisque notre Jean de Bonnefon, fut maire de cette commune (qui en 2014 a déjà reçu la visite du prince Albert de Monaco et de la princesse Charlène, respectivement baron et baronne de Calvinet) de 1908 à sa mort en 1928.

Le Tour de France, Christian Gury, Jean de Bonnefon… belle semaine en perspective.

Christian GURY aux MOTS À LA BOUCHE

À l’occasion de la parution de son dernier titre, Gide et Lyautey, précédé de Gide et certains faits divers, Christian Gury parlera de « Notre Lyautey » , le 22 juin, aux Mots à la Bouche, 6, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004 Paris, à 19 heures.

Au cours de cette présentation, l’auteur évoquera aussi Jean de Bonnefon, journaliste parisien, d’origine cantalienne, qui fait l’objet de son avant-dernier ouvrage L’étrange Jean de Bonnefon ou le journalisme à l’estomac, publié par ErosOnyx Éditions, en librairie le 13 juin 2016.

Le 25 avril, au cinéma Le Brady, à Paris

Le livre de Didier Roth-Bettoni Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois, vient de sortir en librairie. À cette occasion, l’association le 7ème genre projettera le 25 avril à 20 heures, au cinéma le Brady, boulevard de Sébastopol, Paris 10, le film qui fait le sujet du livre, en présence de l’auteur, du réalisateur, de François About chef-opérateur, des deux comédiens principaux Serge Avedikian et Piotr Stanislas.

Dans YAGG du 7 avril 2016, Christophe Martet interroge Didier Roth-Bettoni

Didier Roth-Bettoni, auteur d’un livre encyclopédique, L’Homosexualité au cinéma, analyse dans Différent ! le film de Philippe Vallois sorti en 1979, Nous étions un seul homme, avec Serge Avédikian et Piotr Stanislas. Nous l’avons interviewé sur cet ovni du cinéma gay et du cinéma français tout court.
L’histoire de Nous étions un seul homme se passe en 1943 dans les Landes, dans la France occupée et présente la rencontre entre un soldat allemand déserteur et un jeune paysan français un peu simplet. C’est aussi la naissance d’un amour et le film tranche par sa représentation directe de la sexualité entre hommes. Un choc pour l’époque. Trente six ans plus tard, le film, dont le DVD est joint au livre, n’a rien perdu de sa force et de sa poésie.

Quelle place tient ce film de Philippe Vallois dans le cinéma gay français?
À l’époque, il existe une mini vague de cinéma gay indépendant, avec beaucoup de courts métrages militants. Mais la représentation dominante de l’homosexualité est celle véhiculée par La Cage aux folles, immense succès en 1978, un an avant la sortie de Nous étions un seul homme. C’est le troisième long métrage de Philippe Vallois et ce film arrive avec beaucoup d’innocence, de fraîcheur. Il ne répond ni aux codes des films militants, ni à ceux des films caricaturaux. Ce film représente l’homosexualité de façon naturelle, désinhibée, déproblématisée, dé-victimisée, une sorte d’évidence. Ça ne ressemble pas à ce qu’on a l’habitude de voir. L’homosexualité est là comme une sorte de fait acquis dès le début du film. C’est ce qui le rend extrêmement moderne parce que pendant très longtemps, aucun autre film ne va proposer cela et il va falloir attendre ces dernières années. La démarche de Philippe Vallois est prémonitoire du cinéma de Xavier Dolan ou Céline Sciamma qui placent la question dans leurs films sans en faire une problématique.

Qui est Philippe Vallois à l’époque?
C’est un cinéaste assez isolé, un franc-tireur. Il ne fait pas partie d’une des multiples chapelles du cinéma français, la Nouvelle Vague ou le cinéma réaliste. Dans le milieu gay, il ne fait pas partie des militants politiques qui s’engagent dans le cinéma.

Dans le livre, tu présentes aussi une sélection large des critiques de presse de l’époque où l’on peut voir que les journaux progressistes comme «Libération» ne sont pas forcément les plus positifs sur le film?
Ce qui est très singulier, c’est que ce film a un écho dans la presse, alors que très souvent, les films gays rencontrent un silence assourdissant ou un mépris condescendant. Il y a deux ans, j’ai écrit un livre sur le film Sebastiane de Derek Jarman qui date de 1976. Ce qui m’avait frappé, c’est que la presse française avait totalement ignoré ce film. Pour Nous étions un seul homme, quelques grands journaux et quelques grandes plumes écrivent sur le film. On peut souvent y lire une forme de gêne par rapport à la façon dont le film montre l’homosexualité et les contorsions des journalistes qui soulignent les qualités et les défauts mais sans jamais dire clairement que ce qui les gêne c’est les scènes de sexe entre hommes.

Après ce film, qu’est-ce qu’a fait Philippe Vallois?
Il va tourner une dizaine de films mais un seul, Haltéroflic, va sortir en salles, les autres uniquement en vidéo. Ça n’a jamais été facile pour lui de monter ses films, qui n’ont pas eu de vrai succès en salles. Et le cinéma français fonctionne beaucoup par réseau, par chapelle mais Vallois est étranger à ça et farouchement indépendant.

Tu dirais qu’il ressemble à Rémi Lange?
Oui, dans sa démarche. Ce sont deux réalisateurs très singuliers, qui par leur mode de fonctionnement, leur univers et leur personnalité, ne peuvent pas appartenir à un groupe. Cela limite leur impact et leur reconnaissance. Avant Nous étions un seul homme, Vallois avait tourné Lamento, pour lequel il a essayé de se brider. C’est un film qui raconte une histoire d’amour hétéro, avec un scénario lambda et une production traditionnelle et c’est un ratage. Le film n’est pas sorti. Peut-être ne peut-il créer que dans cette forme de dénuement.

En 1978, il n’y avait pas eu beaucoup de films sur l’homosexualité. Quarante ans après, j’ai l’impression que le cinéma a un peu fait le tour de la question. Qu’est-ce qui pourrait donner envie de voir ce film?

Ce film est assez proche de films très récents. Bien sûr, le film est de son époque mais c’est aussi un témoignage historique et ce qui le rend très moderne, c’est sa façon assez crue de représenter le corps masculin. Ce film permet de découvrir un cinéaste important et totalement inconnu. Et c’est un film qui tranche parce qu’il représente l’homosexualité durant la Seconde Guerre mondiale de façon très différente. Avant cela, les gays ou les lesbiennes sont dans le cinéma, en particulier les films italiens, toujours du côté des bourreaux. Et il va falloir attendre 25 ans après le film de Vallois pour que le thème de la déportation homosexuelle soit traitée à l’écran. Le film sort pas très longtemps après Une journée particulière d’Ettore Scola, qui lui aussi fait passer l’homosexuel du côté des victimes et pas des bourreaux. C’est un film très novateur aussi pour cela.

Différent !, de Didier Roth-Bettoni, collection Images, ErosOnyx Éditions, 108 p. et le DVD du film, 23,50€.

Le 25 avril, Nous étions un seul homme sera projeté au cinéma Le Brady, à Paris, en présence de Philippe Vallois et de Didier Roth-Bettoni, dans le cadre du ciné-club LGBT Le 7e Genre, animé par Anne Delabre.

Dans YAGG du 4 avril

Sushi, Jacques Actruc, Erosonyx, 66 p., 9,50 €.
Excellente entrée dans l’œuvre originale de ce bibliothécaire cantalo-parisien.

Quadra en déshérence sexuelle, le narrateur va connaitre un retour du printemps (et de son fameux rouleau…) quand le jeune et attirant Reiko va, chaque dimanche, quand son étouffante mère est de sortie, vivre avec lui un érotisme poético-sauvage, passionné et porteur d’espoir… Un arrière-goût d’Empire des sens ajoute à cette longue nouvelle aphrodisante, une pointe d’inquiétant piment.
Poursuivre par son ode au sperme avec l’essai-poème éponyme (Sperme toujours chez Erosonyx en 2010); se diriger enfin prudemment vers Chambranle (chez Sens&Tonka en 2006), l’apothéose du gore faussement tranquille. EG

Dans BENZINE, webzine d’essence culturelle

Différent de Didier Roth-Bettoni
7 mars 2016

En 1979, en marge du Festival de Cannes, est présenté un OVNI cinématographique : « Nous étions un seul homme ». Didier Roth-Bettoni, journaliste, écrivain et militant « queer », explore la singularité de ce film presque culte, et de son auteur, Philippe Vallois.

Nous étions un seul homme est un film que le grand-public ne verra sans doute jamais. Il raconte la rencontre presque surnaturelle, mais évidente d’un jeune forestier et d’un soldat allemand, pendant la seconde guerre mondiale, dans les Landes. La spécificité de ce long-métrage de Philippe Vallois, sorti en 1979, est qu’il dépeint une relation homosexuelle débutante, dans un contexte historique hostile, de façon naturelle, en évitant toute analyse psychologique et jugement moral ! Filmé avec peu de moyens, une équipe réduite et deux acteurs téméraires qui vont porter leurs personnages avec une aisance déconcertante, le film est en totale rupture avec la représentation des homosexuels au cinéma.

Didier Roth-Bettoni, spécialiste du cinéma queer, replace le film dans la cinématographie de ce réalisateur atypique, venu au cinéma sans l’ambition de révolutionner le 7eme art, (mais dont chacun des films est un objet singulier), dans son époque… et explique en quoi il est différent, tout comme son « créateur » !
Loin de l’industrie cinématographique, Philippe Vallois est un « artisan » qui refuse les concessions et persiste à aller au bout de ses rêves, sans pour autant avoir la prétention de livrer des messages militants… Quitte à s’éloigner de la reconnaissance publique et se couper des circuits classiques (ses films seront édités en DVD)… Le prix à payer pour ce cinéaste dont on aime le franc-filmer !

Le livre est accompagné du DVD du film et d’un documentaire retraçant le tournage du film, les souvenirs des acteurs, des techniciens…

Hugues DEMEUSY
Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois
Édition ErosOnyx
108 pages – 23,50 euros

Dans HÉTÉROCLITE du mois de mars, entretien avec Philippe Vallois

Dans la seconde moitié des années 70, le réalisateur Philippe Vallois a marqué les esprits avec deux films (Johan en 1976, Nous étions un seul homme en 1978) qui ont suffi à l’imposer comme l’un des précurseurs du cinéma gay français. Aucun de ses films suivants, pourtant, ne recueillera le même succès critique et public ; la plupart ne sortiront d’ailleurs pas en salles mais directement sur le petit écran, en VHS ou en DVD. Vallois, pourtant, n’est pas totalement oublié : plusieurs festivals de cinéma lui ont rendu hommage (Montréal en 1991, Turin en 2007, Lyon en 2011…) et les éditions ÉrosOnyx viennent de lui consacrer un deuxième ouvrage. Après La Passion selon Vallois : le cinéaste qui aimait les hommes (une autobiographie parue en 2013 et réalisée à partir d’entretiens avec Ivan Mitifiot, directeur du festival Écrans Mixtes), elles publient en ce printemps 2016 Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois, signé du critique de cinéma Didier Roth-Bettoni (qui collabore de longue date à Hétéroclite). Rencontre avec un cinéaste qui n’a pratiquement jamais cessé de tourner, souvent avec des moyens dérisoires mais avec un amour sans faille pour les hommes et le septième art.

Beaucoup de vos films (Johan
, Un parfum nommé Saïd, Sexus dei, Zeus le chat…) sont nés d’une rencontre amoureuse ou sont d’inspiration autobiographique. Est-ce également le cas de Nous étions un seul homme ?

Philippe Vallois : Même si je n’ai évidemment pas vécu la même histoire que Guy et Rolf, j’ai mis, comme toujours, beaucoup de choses personnelles et autobiographiques dans ce film. Je me suis inspiré de relations que j’avais eues plus jeune. Par exemple avec un certain Georges, un routier à l’enfance un peu bizarre qui avait été quasiment élevé par une vache et dont j’avais été un peu amoureux. Ou encore d’un Espagnol dont je partageais la chambre quand je faisais les vendanges dans le Sud-Ouest, à l’âge de dix-neuf ou vingt ans. Un midi, on s’est bourré la gueule et c’est une expérience que j’ai reproduite dans le film. Même chose pour la scène du concours de pisse, qui vient elle aussi d’un souvenir : j’étais chez mes grands-parents avec des copains, on avait un peu bu et on a décidé de pisser dans nos verres. Quant au thème de la jalousie, il m’a été inspiré par ma relation, très passionnelle, avec mon ami Johan. Il y a comme cela plein de choses que j’ai vécues et qui se retrouvent dans le film.

Quelle est la genèse du film et pourquoi avez-vous eu l’envie de raconter une histoire qui se déroulerait durant l’Occupation ?

Philippe Vallois : Le film est né d’une rencontre avec un producteur qui voulait ouvrir une salle de cinéma gay porno, comme cela existait à l’époque. Il m’a demandé de tourner un porno pour le projeter dans sa future salle et je n’ai pas dit non, car j’avais réalisé peu de temps avant Johan, qui était déjà un peu «sexe». Au départ, Nous étions un seul homme devait donc être un porno… Finalement, je suis parti sur une histoire qui n’était plus du tout porno, mais ce producteur était content néanmoins et il a accepté de me filer un peu de fric pour produire le film. C’est comme ça que Nous étions un seul homme a pu voir le jour. Je m’intéressais beaucoup à la période de la guerre et j’avais lu une biographie d’Antonin Artaud qui parlait de ses internements et de l’abandon des hôpitaux psychiatriques par les autorités de Vichy, qui considéraient les malades mentaux comme des sous-hommes et les ont laissés littéralement mourir de faim par milliers. De là est venue l’idée de faire de Guy un personnage un peu fou, échappé d’un asile. J’allais souvent dans le Sud-Ouest car l’un de mes meilleurs amis habitait en communauté dans cette région, où je savais que l’Occupation avait été particulièrement dure – donc pourquoi ne pas tourner dans les Landes ? Au départ, le film devait s’appeler Combat et je me suis demandé s’il s’agissait d’un combat physique entre deux hommes ou d’un combat intérieur, d’un combat sur soi-même, plus poétique. D’où cette histoire de deux hommes dans la guerre, qui luttent mais finissent par aller jusqu’au bout de leur passion, jusqu’à la mort.

Vos films parlent beaucoup d’homosexualité mais assez peu d’homophobie – et c’est ce qui fait aussi leur nouveauté radicale et les différencie de beaucoup d’autres films gays d’hier et même d’aujourd’hui. Dans votre cinéma, l’homosexualité est une donnée, pas un problème ; c’est à la société de s’adapter aux homosexuels et non l’inverse.

Philippe Vallois : J’ai eu pas mal de chance, car je n’ai pas vraiment souffert de l’homophobie. J’avais une famille tolérante. C’est peut-être pour ça que dans mes premiers films, je n’étais pas dans la bagarre mais plutôt dans le constat de la réalité.

Dans son livre, Didier Roth-Bettoni évoque « le foisonnement de réalisateurs « gays » faisant des films « gays » au milieu des années 70 » (période où vous réalisez Johan et Nous étions un seul homme) et cite des noms oubliés comme Dominique Delouche, Guy Gilles, Adolfo Arrieta, Jean-Louis Jorge, Olivier Desbordes ou celui, un peu plus connu, de Lionel Soukaz… Ces cinéastes étaient-ils pour vous des sources d’inspiration ?
Philippe Vallois : Pas vraiment. Adolfo Arrieta ou Jean-Louis Jorge tournaient toujours en effet des histoires où il était question d’ambiguïté sexuelle, avec une esthétique gay et parfois une scène homosexuelle mais avec aussi toujours un personnage féminin – des femmes un peu âgées, très intellectuelles, comme Jeanne Moreau, Hélène Surgère ou Danielle Darrieux qui plaisaient énormément aux pédés de l’époque. Tous ces réalisateurs homos tournaient autour du pot, ils n’avaient pas le courage de dire «je fais un film pédé». Même André Téchiné, qui mettait en scène Marie-France Pisier, Isabelle Adjani ou Gérard Depardieu, n’osait pas aborder le sujet. J’étais le premier à parler de ça en 1975 avec Johan et des amis m’avaient même mis en garde, me disant que j’allais flinguer ma carrière, que parler de choses comme ça, c’était trop culotté. J’étais peut-être inconscient, mais j’avais envie de le faire ; c’était ma liberté. Les gens étaient encore un peu coincés, même si le mouvement vers plus d’acceptation s’amorçait. Quand Nous étions un seul homme est sorti en 1978, c’était déjà un peu moins tabou. Et il y a eu, l’année suivante, Race d’ep, de Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem, qui traitait vraiment d’homosexualité sans fioriture. Ensuite il y a eu L’Homme blessé de Patrice Chéreau, mais c’était bien après, en 1983.

Malgré ce qu’on pouvait craindre, Johan a été bien accueilli et même sélectionné au festival de Cannes en 1975.

Philippe Vallois : Oui, j’ai été très agréablement surpris. On sortait de la décennie des années 60, avec tous ces cinéastes de la Nouvelle Vague (Truffaut, Chabrol, Godard…) qui ne traitaient que de relations hétérosexuelles. C’était très difficile de parler d’autre chose.

Et pourtant, après Nous étions un seul homme, un seul de vos films (Haltéroflic, 1984) bénéficiera d’une sortie en salles. Avez-vous le sentiment qu’il était plus facile alors qu’aujourd’hui, pour des films un peu « hors-normes », d’accéder aux réseaux de distribution ?

Philippe Vallois : Oui, car à l’époque, il existait plein de petites salles d’art et essai, qui projetaient des films un peu underground. Aujourd’hui, c’est plus difficile. Je viens de terminer un film mais je ne suis pas du tout sûr qu’il sera distribué alors que je l’ai réalisé dans un esprit de cinéma et que j’y ai mis un peu de fric. Ça s’appelle Les Cercles du vicieux et ça se passe dans les années 70. C’est l’histoire d’un jeune homme de retour du festival de Cannes qui se paume en pleine forêt. Il frappe à la porte d’une maison et un homme – que je joue moi-même – lui ouvre. On ne sait pas trop ce qu’il cherche mais il dit être un homme du futur devant délivrer un message… Le ton est légèrement philosophique, fantastique, humoristique, poétique.

Parmi les cinéastes qui abordent aujourd’hui les thématiques homosexuelles dans leurs œuvres, lesquel-le-s aimez-vous particulièrement ?

Philippe Vallois : Je n’en connais pas énormément mais j’aime bien les films de François Ozon, que je trouve toujours intéressants. C’est surtout à travers les festivals que je découvre les cinéastes, comme le Grec Pános H. Koútras que j’ai rencontré l’an dernier à Lyon lors du festival Écrans Mixtes. J’ai beaucoup aimé L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie et Le Chanteur de Rémi Lange : deux très bons films français qui parlent d’homosexualité et d’autres choses aussi… Il est certain que l’homosexualité est beaucoup plus abordée dans le cinéma aujourd’hui qu’autrefois, même si c’est par le biais d’un personnage secondaire.

Photo Philippe Vallois © Michel Benetton

À lire, aux éditions ErosOnyx

La Passion selon Vallois : le cinéaste qui aimait les hommes de Philippe Vallois (2013)

Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois de Didier Roth-Bettoni (2016)

Rencontres avec Didier Roth-Bettoni pour Différent ! Nous étions un seul homme et le cinéma de Philippe Vallois

– samedi 2 et dimanche 3 avril à la Fête du Livre d’Autun à l’Hexagone, 1 boulevard Frédéric Latouche – Autun / 06.80.30.45.35 / www.lireenpaysautunois.fr

– jeudi 7 avril à 19h (en présence de Philippe Vallois) à la librairie Les Mots à la bouche, 6 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie – Paris 4 / 01.42.78.88.30 / www.motsbouche.com
– du 19 au 24 avril aux Rencontres Cinématographiques In&Out : Festival du film Gay et Lesbien de Nice, avec Didier Roth-Bettoni

– lundi 25 avril au cinéma Le Brady à Paris, dans le cadre du ciné-club Le 7e Genre animé par Anne Delabre, avec projection du film Nous étions un seul homme, en présence de Didier Roth-Bettoni, Philippe Vallois et de Serge Avédikian, l’acteur principal


– mercredi 11 mai à la Cinémathèque de Saint-Étienne, avec la projection du film, en présence de Didier Roth-Bettoni et Philippe Vallois

Sur France Culture comme à Giverny…

– http://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/gustave-caillebotte-1848-1894-un-heros-tres-discret

Fréquences en France de France Culture :
http://www.radiofrance.fr/boite-a-outils/frequences

– À Giverny (27) : l’exposition « Caillebotte, peintre et jardinier » au Musée des impressionnismes. Jusqu’au 3 juillet.

Gustave Caillebotte cultivait lui-même et peignait son jardin près d’Argenteuil, au Petit-Gennevilliers.

« Un jour, il me poussa dans sa serre toute neuve avec l’impatience d’un enfant heureux de son nouveau jouet. J’aimais le voir enthousiaste. Les plantes, méticuleusement alignées, y étaient si drues que leur feuillage donnait l’impression d’un jungle presque étouffante. […] « Regarde ! J’ai réussi ! Celles-là viennent de Singapour! Rien que des orchidées exotiques !« (Xavier Bezard, GUSTAVE, chap. X).

Orchidée. n.f.(1766; du grec orkhidon « petit testicule »)Le Petit Robert 1

L’exposition proposée par le Musée des Impressionnismes est visible jusqu’au 3 juillet.

Ci-dessous autoportrait

Gustave Caillebotte devant le Carrousel du Louvre photographié par son frère Martial

Gustave Caillebotte, Orchidées jaunes ( 1893)