RITSOS –

YANNIS RITSOS D’ABORD

Il faut revenir à la Grèce. Il faut la retenir, la ressentir en nous […]

Prenons Yannis Ritsos, sans conteste un des poètes majeurs de notre époque. Une grande partie de son œuvre a été traduite […] et publiée principalement chez Gallimard. On aurait pu croire que de cette œuvre on avait fait pratiquement le tour […] Eh bien pas du tout ! Chez un autre éditeur, ErosOnyx, Anne Personnaz a donné une traduction nouvelle d’Erotika, un ensemble sidérant de Ritsos, qui figurait en 1984 dans l’édition réalisée par Dominique Grandmont (Gallimard).

[…] C’est ainsi que j’ai relu Erotika, dans cette nouvelle version, avec le même saisissement et la même passion. C’st un livre tout à fait à part dans la configuration de Ritsos, une calcination de la sensualité, une icône du couple amoureux dans tous ses états, où la nudité des corps fait éclater leur vérité profonde. À côté des Sonates et des grandes élégies, c’est une scénographie de vers concis, d’une rare intensité, très proches parfois des haïkus par leur exigence laconique. Yannis Ritsos y concentre la braise d’une inspiration dont la liberté refuse toute limite. « Le corps / c’est un ciel / Aucun vol / ne l’épuise. » Il y a dans ce quatrain une étincelle rimbaldienne qui module toute la suite selon son diapason, de la même façon que « L’indicible / s’amplifie / triomphe ». Entre les deux transcriptions, on observera peu de différences : »Après quoi la nuit est tombée » chez Grandmont, devient ici « Puis vint la nuit».

Ce qui est le propre d’Anne Personnaz est un extrême souci de décantation, de condensation. Cependant la traduction nouvelle n’a aucunement pour effet de supplanter la précédente. C’est une façon de préciser le livre dans sa forme et sa fulgurance. Jusqu’à la séquence « Parole de chair » où le souffle et la méditation se font plus amples. Là, l’érotisme de Ritsos, axé sur le mystère quotidien, prend un envol impérieux : « Les poèmes que j’ai vécus sur ton corps en me taisant, / me réclameront un jour, quand tu partiras, leurs voix. » Nikos Graikos énonce dans son avant-propos : « Ritsos puise à la fois dans les profondeurs du temps et dans l’étendue du champ social, dans le visible et l’invisible. » Rien de plus vrai, et l’on est à même de constater que, du filon de l’invisible le poète extrait et met en valeur un formidable combustible de la pensée.
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Chronique de Charles Dobzynski (pp. 335-336)