« Le Banquet d’Auteuil », de Jean-Marie BESSET, où l’on retrouve les gaillards libertins du roman de Claude PUZIN « Vies, Errance et Vaillances… « 

Nous sommes en 1670, Molière a 48 ans. Comédien, auteur, metteur en scène, directeur de troupe, il est installé à Paris depuis 1658 et connaît le succès à la Cour et à la ville. Mais la faveur royale ne le protège pas des rumeurs hostiles, surtout après le scandale du Tartuffe quelques années auparavant. N’a-t-il pas été accusé d’inceste en épousant Armande Béjart, en 1662, puisque Madeleine qui a été sa maîtresse, passe pour la mère d’Armande et que lui-même serait son père, aux dires de certains ? Armande, née en 1642 probablement, n’a que 28 ans au moment de la pièce. Jeune, coquette, volage elle excède Molière dont en outre la santé se dégrade. Les deux époux se disputent souvent et Molière préfère se retirer dans une maison à Auteuil.

Jean-Marie Besset choisit de nous montrer un Molière qui, recherchant alors le calme, voudrait aussi se consoler dans les bras de Michel Baron, jeune comédien de 17 ans, qui revenu de sa longue fugue, lui est revenu, espère-t-il. Molière est tout heureux de l’héberger, comme il héberge un ami de longue date, Chapelle – Louis-Emmanuel Luillier de son vrai nom – âgé de 44 ans au moment de la pièce, un ami de longue date, fêtard, libertin. Jean-Marie Besset n’évoque que de loin dans sa pièce le trio que Chapelle forma avec Savinien Cyrano de Bergerac et Charles Coypeau d’Assoucy, trio infernal connu pour ses mœurs et ses débauches. C’est là le sujet du roman de Claude Puzin, Vies, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin. Ces deux personnages, Cyrano et Dassoucy, sont présents dans le groupe que Chapelle a invité à un banquet chez Molière. Cyrano est mort, depuis 1655, à 36 ans, mais voici qu’il revient de l’au-delà, d’entre les morts, et son fantôme facétieux se joint à la joyeuse troupe. Les conversations, les discussions, abordent des sujets divers, frôlent parfois les vives querelles de jalousie artistique et littéraire, provoquées par la vanité de l’un, l’amour-propre de l’autre, l’ambition d’un troisième tandis que le libertinage de tous ces invités ne peut s’empêcher de moquer la passion jalouse de Molière pour le jeune Baron. Dassoucy (qui a 65 ans au moment de la pièce) est accompagné de son ancien page Pierrotin qu’autrefois en Italie le duc de Mantoue lui enleva pour faire de lui un castrat : effectivement nous entendons Pierrotin chanter sur scène, non sans talent. Allusion est faite aux désagréments tels que les rapporte Claude Puzin, et que connut le trio Chapelle-Dassoucy-Cyrano, pour cause de débauche, de blasphème et de sodomie. Dassoucy fit même de la prison à Montpellier : «... en quelques jours, de poète et musicien, je devins non seulement faquin, pitre de quintaine, mais encore sorcier, magicien, satyre, garou, incube...» ( Claude Puzin, p. 44) et plus tard à Rome, pour les mêmes raisons. Tous les personnages, à l’exception de Molière, sont dans la pièce de fervents pratiquants de l’amour des garçons. Molière, lui, par amitié se tait, tout à son inquiétude amoureuse pour Baron.

Conversations animées, en particulier sur les mérites physiques des plus jeunes convives, amants des uns ou anciens amants, ou en passe de le devenir pour d’autres jusqu’au moment où apparaît dans un rayon de lune le fantôme de Cyrano de Bergerac. C’est à son initiative que nos convives décident d’organiser une « disputation » pour décider qui, du danseur (le « Turc » qui accompagne Lully, 20 ans), du bretteur (le chevalier de Nantouillet, 29 ans) et du comédien (Baron, 17 ans) a le plus de charmes… fessus. Molière préfère se retirer pour aller se coucher, mais ne peut empêcher que son protégé, réclamé à grand cris par ses amis, participe à ce Jugement de Pâris masculin. L’enjeu oblige les trois concurrents désignés à se dévêtir pour ne montrer d’abord que leurs fesses. Puis ce sera le nu intégral. Régal pour les yeux de nos convives mais, avouons-le, aussi pour les nôtres. C’est Baron, le comédien, qui l’emporte après avoir récité la mort d’Oreste et de Pylade, d’après un passage de Cyrano lui-même, pendant que les deux autres, sur la suggestion de Dassoucy, ont mimé « ces deux valeureux guerriers ». Cyrano dans son rayon de lune de lui dire : « Monsieur, merci. Vous nous avez charmé au point que votre art a somptueusement paré votre nudité. J’abandonne mon favori pour donner mon suffrage à votre partie charnue. »

Le libertinage, l’inquiétude amoureuse de Molière, la liberté des conversations, l’ébauche et même la naissance sur scène à partir d’une pièce de Cyrano, Le Pédant joué, de la comédie qui, sous le titre Les Fourberies de Scapin, verra le jour en 1671, la langue dans le style de l’époque mais sans affectation aucune ni pastiche, le spectacle de la nudité, avec une grande aisance, de trois des acteurs, le jeu des uns et des autres, jeunes et moins jeunes, la qualité littéraire des dialogues… tout cela contribue à faire du Banquet d’Auteuil une pièce qu’il faut voir.

« L’homosexualité est au cœur du sujet », déclarait dans une interview lors de la création de la pièce à Montpellier en 2014, Jean-Marie Besset, auteur de plus de vingt pièces déjà. Pièce sur l’amitié, sur l’amour, sur la création dramatique, sur la liberté des mœurs de chacun (liberté des mœurs comme on dit « liberté d’expression », n’est-ce pas ?), sur la vie, sur la mort tout aussi bien (Cyrano est mort assassiné, Molière allait mourir trois ans plus tard)… Molière gay ? Et pourquoi pas, malgré les grimaces des grincheux et des critiques effarouchés. « Il ne suffit plus aujourd’hui de mettre trois hommes « la quéquette à l’air » sur une scène pour faire d’un spectacle une pièce d’avant-garde. » écrit Jacques Paugam. Sans doute, mais primo Besset n’a pas cherché à écrire une pièce d’avant-garde, secundo « trois jolies quéquettes » et les corps qui vont avec, sont agréables à regarder, et puis aujourd’hui, en période de régression des mœurs malgré les apparences, il faut peut-être savoir aussi oser et provoquer, voire choquer les cagots et les bigots, tout comme dans les années 70.

N’oublions pas notre propos ! Cette pièce vient à point nommé relayer sans l’écarter le moins du monde, le roman de Claude Puzin, Vies Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin. Une pièce à voir, oui, un livre à lire. Le texte est aussi disponible aux Éditions H&O Théâtre (2015, 12 €).

Le Banquet d’Auteuil se joue jusqu’à 25 avril au Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, dans la distribution suivante : Antoine Baillet-Devallez (Pierrotin), Félix Beaupérin (Baron), Grégory Cartelier (le chevalier de Natouillet), Romain Girelli (le marquis de Jonsac), Hervé Lassïnce (Chapelle), Alain Marcel (Cyrano de Bergerac), Jean-Baptiste Marcenac (Molière), Quentin Moriot (Osamne-« Alessandro »), Frédéric Quiring (Lully), Dominique Ratonnat (Dassoucy). Musique originale de Jean-Pierre Stora.

Avec le soutien de Yagg.com et France-Culture.