Dans la revue TRAVERSEES

Natalie Clifford Barney, Amants féminins ou la troisième, Collection Eros, Onyx (174 pages, 22,50€)

Chelsea Ray, « barneyphile », après des années passées à écumer des archives a exhumé ce titre inédit de « la volage Natalie Barney », dite l’Amazone datant de 1926.

À travers ce texte, établi conjointement avec Yvan Quintin, Chelsea Ray cherche à réhabiliter celle qui fut trop longtemps étiquetée Don Juan féminin. Qui était donc cette femme de lettres dont les références littéraires témoignent de son érudition ? Mélanie Hawthorne dans la préface en brosse le portrait. Elle souligne sa loyauté en amitié, sa sollicitude, son rôle de « consolatrice »

Jean Chalon apporta aussi son éclairage, confirmant l’influence de Baudelaire sur N., dans la biographie qu’il consacra à sa « Chère Natalie Barney ».

Dans son roman « moderniste », selon son propre terme, Natalie Barney décrypte le trio amoureux formé par M., N. et L. qui ne sont autres que Liane de Pougy et Mimi Franchetti, ses rivales. On croise aussi Romaine Brooks et la « Nouvelle Malheureuse », comme l’appelle Natalie Barney.

En explorant l’amour lesbien, l’auteur faisait figure de pionnière, brisant les tabous. Une succession d’échanges épistolaires, de télégrammes, de pneumatiques met en lumière la complexité de leurs relations tumultueuses, faites d’éloignement, de retrouvailles, de pacte, de bouderies, de rivalité, de jalousie. On y découvre leur langage amoureux, très suggestif, enflammé, jouissif, les prénoms qu’elles s’inventent.

La condition de « troisième » incarné par N. est analysée avec pertinence et ironie quelquefois.

Confrontée à une « épidémie de lâchages », N., pétrie d’orgueil, joue la carte de la résilience, décidée à ne plus souffrir. Avec lucidité, elle en conclut qu’il « est peut-être plus noble de vivre seul » et confie ses regrets et sa douleur à la page blanche.

Sa sensibilité à la poésie transparaît dans les poèmes traduits. De remarquables passages sont à souligner, comme son hymne à l’eau « le fluide amant ».

Dans l’épilogue, Natalie Barney livre sa vision assez pessimiste des relations humaines, constatant dans son entourage trahisons et infidélités dont elle-même fut aussi victime. Comment cette femme de lettres, tenant salon, considérée « un des honneurs » de l’époque, « unique », a-t-elle pu finir aussi seule ?

Roman irrévérencieux de Natalie Barney prônant la liberté d’aimer, avec une audace superbe pour l’époque encore engoncée dans les préjugés, Amants féminins ou la troisième fait écho au film La vie d’Adèle qui s’est vu décerner la Palme d’or du Festival de Cannes 2013. L’amitié « l’amour sans plaisir » et la passion avec un crescendo émotionnel y sont intimement liés.

©Nadine Doyen
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