CONNAISSEZ-VOUS ULRIKE OTTINGER ?

Connaissez- vous Ulrike Ottinger ?

Née en 1942 en Allemagne, sur les bords du lac de Constance, elle fut peintre et photographe à Paris dans les années 60. Puis elle se lança, au début des années 70, dans une prolifique et ahurissante carrière de cinéaste charnelle autant qu’intellectuelle, dont nous retiendrons ici trois films où apparaît Delphine Seyrig, maîtresse de cérémonie le plus souvent : Freak Orlando (1981), Dorian Gray dans le miroir de la presse à sensation (1983) et Johanna d’Arc of Mongolia (1988), dernier film de la carrière de l’inclassable actrice française disparue trop tôt en 1990.

Chaque film d’Ottinger nous convie à un voyage où il faut nous défaire des conforts du réalisme et de la raison. Qu’elle nous invite à Freak City où défile, devant Orlando/Orlanda (interprété/e par Magdalena Montezuma), une kyrielle de monstres qui traversent les siècles et passent de la malédiction à un gigantesque bal de kermesse, ou bien qu’elle nous invite à entrer dans les secrets d’une presse à sensation qui manipule les foules fascinées par la vie tumultueuse d’un/d’une Dorian Gray androgyne (interprété/e par le top model Veruschka von Lehndorff, au genre si ambigu) ou encore qu’elle nous entraîne dans les wagons somptueux du Transsibérien, puis du Transmongolien où Lady Windermere (interprétée par Delphine Seyrig), ethnologue, tient un salon d’élégances fin-de-siècle, tout en exquises conversations, succulences culinaires et spectacles décadents de music-hall berlinois, avant que les voyageuses ne tombent entre les mains d’amazones de Mongolie, aussi fabuleuses que raffinées, chaque film d’Ulrike Ottinger est un voyage en fantasmagories.

Cirques de monstres truculents, décors urbains industriels ou intérieurs, tous transfigurés par des éclairages dignes des fêtes foraines du Prater, théâtres ouvrant leurs rideaux sur de vivants paysages réels, contes de fantaisie pour adultes où se côtoient humains et animaux, hermaphrodite, sœurs siamoises et gays bardés de cuir, dogues dalmatiens conduits par des nains nus à la peau assortis au pelage de leur chien, princesses en habit de perles rouges perchées sur des chameaux seigneuriaux, bacchanales queer que les autorités religieuses ne parviennent jamais à exorciser, royaumes d’artiste où se construit un nouvel ordre sexuel, où s’abolit la frontière entre féminin et masculin, on n’en finirait pas de recenser le somptueux caravansérail de la démiurge Ottinger. Ses plans sont construits en tableaux vivants où l’artifice le plus délicat rencontre les paysages grandioses et vierges du désert, de la steppe, des rouleaux de vagues… On admire le luxe des détails – étoffes des costumes, coupes de mets rares flottant sur l’eau d’une fontaine, maquillages époustouflants d’élégance ou de bizarrerie. Laideur et beauté sont ici consubstantiels. C’est vraiment à une révolution des règles politiques, morales, sexuelles et esthétiques que l’on assiste, à chaque lente et longue cérémonie que propose un film d’Ulrike Ottinger.

Pourquoi vouloir mettre de l’ordre dans le désordre baroque ? Serait-ce risqué de proposer comme clefs de l’univers ottingerien une enfance passée de l’autre côté du miroir grâce au cinéma, les fantasmes d’un désir en permanente révolution et le triomphe enluminé d’une toujours vivifiante ”nymphocratie” ?

François Nozières, septembre 2015

Les films d’Ulrike Ottinger ne passent malheureusement pas en salles ni ne sont disponibles sur DVD. Mais on trouvera dans le commerce ou en ligne le DVD de La nomade du lac ( 2013) documentaire-portrait de l’artiste, réalisé par Brigitte Kramer, disponible en version allemande avec sous-titres français.
Bientôt peut-être, chez ErosOnyx, un livre accompagné du DVD d’un des trois films avec Delphine Seyrig ?

Voir aussi à la rubrique « Événements » l’hommage rendu à Ulrike Ottinger et Delphine Seyrig par le Centre Simone de Beauvoir le 1er décembre 2016.