EROTIKA dans EUROPE, mars 2010, et BLEU D’ENCRE , revue belge (Dinant)

EROTIKA, Yannis Ritsos

EUROPE : LA NUDITÉ DES CORPS FAIT ÉCLATER LEUR VÉRITÉ PROFONDE

Chez un autre éditeur, ErosOnyx, Anne Personnaz a donné une traduction nouvelle d’EROTIKA , un ensemble sidérant de Ritsos, qui figurait en 1984 dans l’édition réalisée par Dominique Grandmont chez Gallimard. On ne regrettera pas que l’œuvre de Ritsos, île aussi vaste qu’un continent, soit ainsi revisitée avec des yeux neufs. Son importance justifie ces allers et retours, qui nous incitent à remettre nos pas dans les mêmes sentiers des mots, même si nous les avons déjà parcourus.

C’est ainsi que j’ai relu EROTIKA, dans cette nouvelle version, avec le même saisissement et la même passion. C’est un livre tout à fait à part dans la configuration de Ritsos, une calcination de sensualité, une icône du couple amoureux dans tous ses états, où la nudité des corps fait éclater leur vérité profonde. Vers concis, d’une rare intensité, très proches parfois des haïkus par leur exigence laconique. «Le corps / c’est un ciel. / Aucun vol / ne l’épuise» … Entre les deux transcriptions, on observera peu de différences :« Après quoi la nuit est tombée » chez Grandmont, devient ici « Puis vint la nuit ». Ce qui est le propre d’Anne Personnaz est un extrême souci de décantation, de condensation. Ce pendant la traduction nouvelle n’a aucunement pour effet de supplanter la précédente. C’est une façon de préciser le livre dans sa forme et sa fulgurance. Jusqu’à la séquence « Parole de chair » où le souffle et la méditation se font plus amples. Là, l’érotisme de Ritsos, axé sur le mystère quotidien, prend un envol mystérieux.

BLEU D’ENCRE : LES CORPS, LES LÈVRES SE PRENNENT, SE MÊLENT, SE QUITTENT

Saluons l’initiative des éditeurs de perpétuer le souvenir de ce poète national grec, Yannis Ritsos ( 1909-1990 ), salué par Aragon et de nous faire découvrir une autre facette : celle du « chantre flamboyant d ’Éros ».

Les textes se répartissent en trois volets, avec pour thème central le verbe aimer, accompagnés de dessins originaux de Dionysis Valassis
La métrique des textes est très différente, s’apparentant tour à tour à celle du verset, du haïku et de l’ode. Dans le poème d’ouverture, l’auteur compare l’union d’un couple à celle des mots sur le papier, et la commotion qui en découle : le poème / un accouplement perpétuel.

Dans le chapitre central, les corps, les lèvres se prennent, se mêlent, se quittent. Les mains dispensent leurs caresses, se nouent, puis se souviennent de leur mouvement (…) quand tu te déshabillais / ineffaçable. Les pensées convergent Comme toutes les choses sont reliées / à toi (…) Ailleurs chacun de nous. / séparés et ensemble. Les souvenirs se réveillent et s’égrainent. Les paroles promises défilent. La solitude taraude l’être aimé. Les traces, les empreintes aident à conjurer l’absence. Immuable le paysage décrit à l’absente. La guerre sévit. La mort rôde. La vision de l’arc-en-ciel laisse croire à une présence toi ? , ce qui incite le poète à communiquer Là où tu es / tu entends notre train ? L’espoir maintient la flamme. Les verbes oscillent du présent au passé. Le temps s’écoule : la barbe, les cheveux ont poussé. Faire face à la réalité Le souvenir du corps / n’est pas le corps. J’étreins / de l’air condensé et les illusions s’évanouissent.

Le troisième temps se déroule en douze mouvements. Depuis les étreintes amoureuses, au son du violon, par une lune de rébétiko, la vie quotidienne ponctuée de courses au marché, le sommeil perturbé, spolié par les sirènes d’ambulance, le fracas des engins motorisés des soldats, la vision des blessés, tout renferme quelque chose de prémonitoire, une bague offerte ( source de bonheur inépuisable ) que l’on dissimule au regard des envieux, la peur d’être séparé de sa belle, l’hymne au corps … infini. ton corps / est un pétale de rose délicat … une cigale dans l’oreille du vendangeur … tous les corps que j’ai touchés, que j’ai vus, que j’ai pris, que j’ai rêvés, tous / condensés dans ton grand corps. Ô, toi charnelle Diotime … jusqu’à l’envol final, la danse aérienne de la bien-aimée, croisant les anges en la tenant par la cheville, avant d’atterrir sur le lit mythique…

Cette réflexion des éditeurs « chanter l’amour, c’est dire tout à la fois l’absence et la fusion, l’éloignement et la proximité… la froide solitude et la chaleur de l’amant… » résume bien cet ouvrage traversé par un flot de sensualité. À la rivière de rouge qui teinte le tapis, le ciel, les pommes, l’haleine, les chevaux et traverse le début du recueil, font suite des couleurs plus douces et plus pures comme celle des lauriers-roses, le blanc des nénuphars ou des pommiers en fleurs.

Pour sauver Ritsos de l’oubli, Nikos Graikos rappelle que son « œuvre… est un véritable archipel » pas totalement exploré.

RENEE VIVIEN HELLENISTE dans la Revue de l’Association des Professeurs de Lettres, par Monique KANTOROW, mars 2010

Sapho , texte grec et traduction par Renée Vivien (réédition), ÉrosOnyx, 2009, 175 p.

Les Kitharèdes , texte grec et traduction par Renée Vivien (réédition), ÉrosOnyx, 2009, 175 p.

Les hellénistes connaissent la poétesse Sapho grâce à la traduction de Théodore Reinach et au commentaire d’Aimé Puech dans l’édition des Belles Lettres. À cette édition austère et savante il faut ajouter celle de Renée Vivien en 1903 dont on doit saluer la réédition. L’ouvrage attire d’abord par sa jolie couverture reproduisant le tableau L’Hymne à la mer d’Alphonse Osbert (1857-1939), mais aussi par sa typographie attrayante qui met bien en valeur les fragments du texte grec.

À la différence de l’édition des Belles Lettres, les fragments ne sont pas numérotés et ne sont accompagnés d’aucun apparat critique. Cependant, la traduction de Renée Vivien n’a rien à envier à celle de Théodore Reinach. Elle est même quelquefois plus moderne, plus précise : par exemple, au vers 2 de l’Ode à Aphrodite, la traduction de doloplokè par « tisseuse de ruses » nous paraît meilleure que « ourdisseuse de trames » de Reinach ; « dont le trône est d’arc en ciel » pour poïkilothron’ (v. 1) est plus poétique et plus exact que « dont le trône étincelle » de Reinach et rend mieux dans le composé le sens de poïkilos « bigarré ». Cette traduction atteste les qualités de philologue et d’érudite de Renée Vivien. Cependant l’originalité de l’édition est ailleurs : les textes traduits sont accompagnés d’extraits d’œuvres poétiques, non seulement de Catulle – déjà cité par Reinach – mais aussi de Swinburne ; ils sont surtout suivis de poésies composées par Renée Vivien elle-même et inspirées des vers antiques.

Lorsque les fragments de Sapho se réduisent à un seul vers, celui-ci est souvent développé par une composition originale, véritable cadence musicale à partir d’un thème. La composition a parfois son origine dans des recherches érudites : ainsi à la suite du vers astérôn pantôn ho kallistos (p. 65), « De tous les astres le plus beau « , Renée Vivien s’appuyant sur une glose d’Himérus selon lequel ce fragment est détaché de l’Ode à l’Étoile du soir, Hespéros, écrit un hymne à Hespéros.

Si l’édition de Théodore Reinach n’apporte pas un éclairage particulier sur la personnalité du traducteur,mais tout au plus sur son érudition et la précision de son travail, il en va tout autrement pour Renée Vivien : l’avant-propos de l’édition ÉrosOnyx D’une Sapho l’autre est d’une facture toute différente de l’introduction des Belles Lettres (biographie, histoire du texte dans l’antiquité, etc.), car la Sapho grecque y est présentée sous le regard de « notre Sapho 1900 », et cette présentation nous permet de mieux apprécier la préface et la brève biographie qu’écrivit Renée Vivien en 1903 ; elle y exprime son enthousiasme pour une poétesse avec laquelle elle entretient un rapport privilégié. Aussi comprend-on mieux l’importance des compositions poétiques de Renée Vivien : en fait, selon Jean Desthieux, Femmes damnées, Ophrys, 1937, pp. 10-11 « elle n’imitait pas seulement Sapho, mais se croyait Sapho réincarnée ». On peut ainsi découvrir ou redécouvrir la poétesse helléniste qui fréquenta les savants Théodore et Salomon Reinach, fut l’amie de Nathalie Clifford Barney , connut aussi Liane de Pougy, Pierre Louys et évolua dans un milieu où on célébrait l’amour antique, « l’Éros féminin »
La traduction de Sapho comme celle des Kitharèdes permet à la moderne Sapho de dépasser sa marginalité en faisant revivre et en prolongeant un Éden grec : il s’agit d’une antiquité idéalisée, d’un monde de beauté et d’amour à l’opposé des préjugés bourgeois.
En 1904, Renée Vivien publie les fragments de poétesses grecques contemporaines de Sapho sous le titre Les Kitharèdes ; ces poèmes, comme ceux de Sapho, sont suivis de la traduction personnelle de l’éditrice et de ses propres compositions poétiques inspirées de ces fragments. Ce recueil est une sorte d’hymne à la gloire des « sœurs » oubliées de Sapho : Korinna, Myrtis, Eranna, Damophyle de Pamphylie, Nossis, qui furent les premières disciples de Sapho. Signalons tout particulièrement le fragment 11 (p. 99) de Nossis Sur Sappho dont la traduction est suivie de dix compositions lyriques se présentant comme des variations librement inspirées par les quatre vers de Nossis, variations qui célèbrent Kupris et l’amour féminin. Ainsi sont prolongés et exaltés les fragments traduits et cette exaltation est également sensible dans les préfaces qui présentent les poétesses méconnues ; elles étaient déjà peu connues en leur temps et, comme Sapho, mentionnées surtout à l’époque hellénistique. L’helléniste anglais K. J. Dover, dans son ouvrage Greek homosexuality (Duckworth , 1979) consacre sur les 203 pages de son livre un seul sous-chapitre aux femmes (pp. 171-184, Women and homosexuality ). Les poèmes de Sapho et de ses sœurs occupent en fait une place réduite dans la littérature grecque antique.

La découverte en 1870 des Tanagra mentionnée à juste titre par Marie-Jo Bonnet dans l’avant-propos de l’ouvrage témoigne certes d’une admiration pour les couples de femmes, mais ces statuettes sont bien moins nombreuses que les peintures sur vases figurant l’homosexualité masculine qui, elle, a droit de cité. Dover d’ailleurs signale un épigramme hellénistique d’Asklépiade contre l’homosexualité féminine, « étonnant, dit Dover, venant d’un poète qui célèbre son propre désir homosexuel ». « Étonnant » ? Pas tellement, pensons-nous. Paul Veyne, dans un ouvrage collectif Les mystères du gynécée (Gallimard, 1998) indique que, si l’art hellénistique n’ignore pas le plaisir féminin, la condition générale de la femme la réduit au gynécée où elle a tout loisir de rêver. Cependant, selon la préface des éditions Budé, il existait des écoles de musique et de poésie dirigées par des femmes, et la présentation de Sapho d’ÉrosOnyx nous apprend que Sapho a peut-être rempli une fonction officielle d’organisatrice de cérémonies cultuelles et culturelles (p. 9).

Les Kitharèdes que Sapho appelle ses « hétaïres » ont eu, étant poétesses, le rare privilège d’échapper à leur condition et de pouvoir exprimer sur le mode lyrique leurs amours. Leurs semblables, sans talent poétique, enfermées dans le gynécée, n’eurent pas cette chance. Elles auraient pu dire comme le lion de La Fontaine (Fables, III, 10) :

« Avec plus de raison, nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre
»

On rendra donc hommage à Renée Vivien pour avoir « ressuscité » les poétesses antiques et aux éditions ErosOnyx de leur avoir assuré une seconde renaissance. On peut dire que Sapho et les Kitharèdes, devenues contemporaines de Renée Vivien et de ses amies qui se rêvèrent en elles, séduiront des lectrices et lecteurs de notre époque en leur permettant de dire comme Monique Wittig (citée en exergue de Sapho) « Gloire à Sappho dans les siècles des siècles ». C’est cette renaissance qui fait, pensons-nous, l’intérêt des traductions de Renée Vivien. Elles nous permettent aussi de découvrir ou redécouvrir les autres œuvres de la nouvelle Sapho et de faire revivre son époque, celle de Nathalie Clifford Barney, Élisabeth de Grammont, Liane de Pougy, mais aussi de Pierre Louys, de Salomon et Théodore Reinach, tous fervents admirateurs à des titres divers de la Grèce antique.

Renée Vivien en se présentant comme l’héritière des poétesses de Lesbos et de Mytilène peut grâce à elles revendiquer hautement son homosexualité. La Grèce est alors pour elle un paradis mythique – imaginaire, diront certains hellénistes – mais surtout un paradis perdu ; cependant Renée Vivien aurait pu dire, comme Marcel Proust : « les seuls vrais paradis sont ceux que l’on a perdus ».

Si l’antiquité recréée par Renée Vivien est bien une antiquité idéalisée, nous n’aborderons pas la question de l’homosexualité réelle ou supposée de Sapho et de ses compagnes. Nous respecterons ainsi la pensée de la traductrice en renvoyant le lecteur à la préface « D’une Sappho l’autre » de l’édition ErosOnyx. Signalons pourtant, s’agissant des Kitharèdes, la note 23 de l’article Sapho dans le Petit glossaire raisonné de l’érotisme saphique par Claudine Brécourt-Villars (J.-J. Pauvert, 1980) : « Il n’est pas inutile de noter que par ses traductions Renée Vivien accentue délibérément l’aspect homosexuel de l’œuvre (…) Renée Vivien, inévitablement imprégnée du manichéisme judéo-chrétien, peut difficilement rendre l’originalité d’une pensée grecque qui lui est étrangère. » Cela n’enlève rien bien sûr à l’émotion poétique que ressent la traductrice et qui inspire ses propres poèmes.

En conclusion, la réédition des traductions de Renée Vivien pourra séduire des Saphos contemporaines esthètes et cultivées, sensibles au charme des poèmes antiques et des compositions qui les prolongent.

Nous en conseillons la lecture, en complément de l’édition des Belles Lettres, aux enseignants et aux étudiants qui auraient Sapho à leur programme. Ces deux ouvrages peuvent également intéresser élèves et enseignants des sections Arts Plastiques des Lycées : ils apporteront un certain éclairage à l’étude des œuvres d’art contemporaines de Renée Vivien et de ses amies. M.-J. Bonnet cite dans l’avant-propos des Kitharèdes les peintres Salomon et Osbert dont L’hymne à la mer est reproduit en couverture de Sapho. On peut également penser à charles Ricketts et aux préraphaélites : Burne-Jones, George Watts, Rossetti et particulièrement à ses tableaux Venus Verdicordia (1864), Ligeia Siren (1873) .

Nous proposons enfin aux lectrices et lecteurs de Sapho et des Kitharèdes de prolonger le rêve antique en visitant la villa grecque Kérylos de Beaulieu sur Mer que fit construire sur les rives de la Méditerranée Théodore Reinach. Les hellénistes puristes la jugent parfois avec sévérité. On peut cependant admirer l’enthousiasme créateur avec lequel le savant mit son immense fortune au service de son idéal grec, comme Renée Vivien mit son talent au service de son paradis perdu.

IDYLLES SOCRATIQUES vu par « Culture et questions qui font débat »

Idylles socratiques (Les Néoplatoniciens), Luigi Settembrini

Luigi Settembrini et les garçons, Luigi Settembrini et les femmes, Luigi Settembrini et la morale… Dans son récit qu’il attribua à un dénommé Aristée de Mégare, l’auteur italien du XIXe siècle cherchait-il à rédiger son portrait secret ? L’érudite postface de Domenico Conoscenti (spécialiste de l’auteur italien) ne peut répondre de manière infaillible à cette question.

Les deux jeunes héros du récit de Luigi Settembrini – Dôros et Calliclès – évoquent les élèves de Socrate. Si le philosophe était plutôt laid, au contraire des deux éphèbes athéniens du récit, il s’est, comme eux, marié et aurait eu des enfants. Ces mariages ne sont pas une vocation tardive, mais une convention de bon aloi accompagnée du respect pour la mère de leurs enfants.

Cette fable – titrée à l’origine « I Neoplatonici » – questionne le plaisir que l’homme ressent avec un homme ou avec une femme :

« Je crois, dit Dôros, que c’est précisément parce qu’il [le plaisir ressenti avec une femme] est enivrant et qu’il trouble la raison. Cette ivresse est à l’origine de toutes sortes de difficultés […] : les jalousies, les dépenses, les enfants, les ennuis domestiques, qui ne se produisent pas après l’autre plaisir. Ce dernier est toujours serein et égal, et sans aucun gaspillage. C’est pour cela qu’il convient plus au sage. » (p. 27)

« Calliclès épousa Psyché et Dôros épousa Ioessa. Chacun vécut dans sa propre maison, eut des enfants, une famille, et fut respecté par ses concitoyens. Les deux amis ne suivirent plus les préceptes de Platon, notamment celui qui prévoit le partage des femmes, mais suivirent les lois de leur propre patrie et de l’amour. C’est pourquoi chacun d’eux aima et honora sa propre femme. » (p. 50)

Ces répliques rappellent l’échange entre Callicratidas l’Athénien et Chariclès de Corinthe, dans le dialogue « Des amours » de Lucien de Samosate :

« Le mariage est infiniment utile à la société ; il rend heureux lorsqu’on a le bonheur de bien rencontrer. Mais la philopédie, considérée comme le gage d’une amitié pure et chaste, n’appartient qu’à la seule philosophie. Je permets donc à tous les hommes de se marier ; mais les philosophes seuls ont droit d’aimer les jeunes garçons, la vertu des femmes n’est pas pour eux assez parfaite. »

Il reste pourtant une divergence importante dans la fable de Luigi Settembrini par rapport aux pratiques pédérastiques de la Grèce antique : la réciprocité. Dôros et Calliclès vivent une égalité parfaite d’âge et de rôle entre l’amant et l’aimé. Il s’agit, là, de l’aspect fondamental de ce récit qui lui donne des couleurs contemporaines. On peut ainsi douter de l’origine antique de cette fable. En effet, la pédérastie devait être liée (à une époque ; pas exclusivement sans doute) à la pédagogie et à l’initiation : présence d’un maître et d’un élève. Le maître était l’éraste, c’est-à-dire l’amant au sens actif du terme, et l’élève était l’éromène, au sens étymologique « celui qui est aimé » : il avait donc un rôle sexuel passif. Tout le contraire de la réciprocité présente dans la fable de Luigi Settembrini.

Le récit décrit la naissance de l’amour entre Dôros et Calliclès et la réflexion sur l’amour platonique qu’ils mettent en pratique avec le philosophe Codros. Il se poursuit sur les rencontres entre les garçons et la danseuse Innide, individuelles puis à deux. Enfin, alors que la jeune femme sort de scène, Calliclès tombe amoureux de Psyché et Dôros tombe amoureux de Ioessa, la cousine de son ami : les deux garçons se marient, assurant leur descendance.

Le narrateur, omniscient et extérieur aux faits, joue un rôle non négligeable, dans la lecture de cette fable ; par son discours, il devient complice du lecteur et positive ce qu’il voit :

« Je crois que, si les Dieux immortels regardent les affaires humaines, ils ont dû prendre plaisir à regarder cette très belle chose, et peut-être même ont-ils éprouvé de l’envie envers ces deux jeunes hommes épanouis, qui s’aimaient tant et jouissaient selon la justice et l’amour. » (p. 13)

« Que voulez-vous ? Ils avaient dix-huit ans ! Et ils s’endormirent ainsi. » (p. 28)

« Ils lui firent ce dont ils avaient envie et ce dont Innide avait aussi envie, et ce dont vous auriez envie, vous, et ce dont j’aurais envie, moi aussi, et je n’en dis pas davantage. » (p. 32)

Si la structure de ce récit de formation n’est pas très innovante (quelques éléments inattendus ralentissent néanmoins délicieusement l’action), son écriture, dont la force vient d’une alliance légère entre la tendresse et le mordant, est riche, élégante et fouillée.

La dernière séquence du récit, après la célébration des conventions sociales et familiales, introduit une touche imprévue…

■ Traduction de Patrick Dubuis, éditions ErosOnyx, avril 2010, ISBN : 978291844015

RITSOS –

YANNIS RITSOS D’ABORD

Il faut revenir à la Grèce. Il faut la retenir, la ressentir en nous […]

Prenons Yannis Ritsos, sans conteste un des poètes majeurs de notre époque. Une grande partie de son œuvre a été traduite […] et publiée principalement chez Gallimard. On aurait pu croire que de cette œuvre on avait fait pratiquement le tour […] Eh bien pas du tout ! Chez un autre éditeur, ErosOnyx, Anne Personnaz a donné une traduction nouvelle d’Erotika, un ensemble sidérant de Ritsos, qui figurait en 1984 dans l’édition réalisée par Dominique Grandmont (Gallimard).

[…] C’est ainsi que j’ai relu Erotika, dans cette nouvelle version, avec le même saisissement et la même passion. C’st un livre tout à fait à part dans la configuration de Ritsos, une calcination de la sensualité, une icône du couple amoureux dans tous ses états, où la nudité des corps fait éclater leur vérité profonde. À côté des Sonates et des grandes élégies, c’est une scénographie de vers concis, d’une rare intensité, très proches parfois des haïkus par leur exigence laconique. Yannis Ritsos y concentre la braise d’une inspiration dont la liberté refuse toute limite. « Le corps / c’est un ciel / Aucun vol / ne l’épuise. » Il y a dans ce quatrain une étincelle rimbaldienne qui module toute la suite selon son diapason, de la même façon que « L’indicible / s’amplifie / triomphe ». Entre les deux transcriptions, on observera peu de différences : »Après quoi la nuit est tombée » chez Grandmont, devient ici « Puis vint la nuit».

Ce qui est le propre d’Anne Personnaz est un extrême souci de décantation, de condensation. Cependant la traduction nouvelle n’a aucunement pour effet de supplanter la précédente. C’est une façon de préciser le livre dans sa forme et sa fulgurance. Jusqu’à la séquence « Parole de chair » où le souffle et la méditation se font plus amples. Là, l’érotisme de Ritsos, axé sur le mystère quotidien, prend un envol impérieux : « Les poèmes que j’ai vécus sur ton corps en me taisant, / me réclameront un jour, quand tu partiras, leurs voix. » Nikos Graikos énonce dans son avant-propos : « Ritsos puise à la fois dans les profondeurs du temps et dans l’étendue du champ social, dans le visible et l’invisible. » Rien de plus vrai, et l’on est à même de constater que, du filon de l’invisible le poète extrait et met en valeur un formidable combustible de la pensée.
…]
Chronique de Charles Dobzynski (pp. 335-336)

Du Québec encore : Des Nouvelles d’Eros

http://www.info-culture.biz/desnouvellesderos.html

Éros est constamment présent dans la vie de tous les jours. Il est présent dans l’esprit et dans la chair. Il n’y a pas d’âge pour que le désir sensuel et sexuel se manifeste. Il n’y a pas non plus de façon unique pour ses accomplissements. La maison d’édition ErosOnyx offre à sa distinguée clientèle de lecteurs un recueil de nouvelles de douze auteurs différents qui donne libre cours aux actions d’Éros.

Éros n’est pas toujours tendre. Il se manifeste parfois de façon violente. Mais la réponse peut être violente aussi. C’est ce que Barbara Flamand nous dit avec sa nouvelle L’hymen enchanté dans laquelle l’amant voit son pénis mutilé par un hymen vindicatif. Dans d’autres circonstances Éros est beaucoup plus tendre et romantique allant jusqu’à suggérer d’utiliser certains poils de l’amant pour la fabrication d’un pinceau. Ou encore Éros n’est pas nécessairement là où on le croirait. La jeune fille qui devient tout chose devant le beau Vincent et qui découvre l’amour de ce dernier avec Thierry. Faut aussi lire l’histoire de ces deux mères de fils gais qui à leur tour découvrent les joies d’être ensemble et de vivre pour elles-mêmes.

Et que dire du dernier texte du recueil. Ce sublime récit Dieu ne mange pas les écureuils qui met en scène la rencontre de Jordi, le mâle parfait, avec l’éphèbe Angel dont les beautés physiques et morales n’ont d’égales que la force et la probité de son amant. La mort les unira pour l’éternité. Quelle douceur et quel destin!

Tous ces textes nous rejoignent d’une façon ou d’une autre.

Les auteurs :
Frédéric Nérinckx, Véro Bounet, Camille A., Jean-Michel Fordini, Barbara Flamand, Marc Vincent, Jean-Paul Gavard-Perret, Barbara Savourin, François Mary, Laura Ley, Lydie Chérel et Olivier Courthiade.

Prix suggéré : 18,05 €
139 pages

Vu du Québec Info-culture : Idylles socratiques

La maison d’édition ErosOnyx est fidèle à sa mission qui est d’explorer les sexualités d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Éros fait partie de la vie au quotidien. Avec Les Néoplatoniciens, attribué comme conte antique à Aristée de Mégare, par Luigi Settembrini qui en est l’auteur, ttraduit par Patrick Dupuis, et publié pour la première fois en français sous le titre Idylles socratiques, le lecteur a accès à un récit d’une grande finesse et d’une exquise poésie.

Nous savons que dans la Grèce antique les mœurs sexuelles étaient différentes de celles d’aujourd’hui. D’avant la dictature de la pensée unique judéo-chrétienne dont les résultats se répercutent aujourd’hui parmi les curés dans l’église catholique. C’est donc à un banquet de sensualité sous toutes ses formes que les deux héros, Calliclès et Dôros, nous convient. Ces deux jeunes adolescents et plus tard jeunes hommes sont d’une beauté exceptionnelle. Non seulement se plaisent-ils l’un l’autre et se livrent-ils à un amour sans limites, mais ils se laissent aussi séduire par Innide, jeune fille aussi ouverte à la sexualité que les deux jeunes amants. Ensemble ils découvrent les joies de la sensualité hétérosexuelle après avoir goûté aux rapports homosexuels.

L’auteur met aussi en scène nos deux amoureux au cœur d’une guerre au cours de laquelle ils mettront en valeur leur courage et leur détermination à défendre leur patrie. Montrant par cela que l’homosexualité n’enlève rien aux valeurs masculines en vigueur à cette époque. Donc homosexualité, hétérosexualité et bisexualité se côtoient allègrement.

« Fable à la fois antique et moderne par laquelle le plaisir de l’auteur et de ses personnages se transmet avec malice et légèreté aux lecteurs modernes, et maintenant aussi aux lecteurs français, ce conte érotico-philosophique, dont on ignore les circonstances et la date de composition, est ici publié pour la première fois en français ».

À lire pour le pur plaisir ou encore pour s’élargir les horizons.

Luigi Settembrini (1813-1876) était un respectable professeur d’université. Son récit n’a été rendu public que dans les années 1970. Grand helléniste, il le présente lui-même comme une traduction du grec ancien. Personne n’en connaît les motivations réelles et la finalité. L’auteur les a emportées avec lui dans la tombe.

Prix suggéré : 15 € 75 pages

TELS QUELS décembre 2009 A LIRE : HOMO PIERROT tome 1

Voici un Pierrot qui nous emmènera à la découverte des souffrances, des frayeurs, des plaisirs aussi de la vie. Pour ce premier tome, nous le suivrons de l’enfance au premier amour. Amour improbable … interdit, entre l’adolescent et son professeur de Lettres. Au moment où Muriel Robin reprend à l’écran le rôle culte d’Annie Girardot dans Mourir d’aimer , Pierre Lacroix nous propose une histoire toute en poésie, qui fleure les Belles Lettres tout autant que la flore sauvage du Massif Central.

Après Bleus , paru en 2007, (…) c’est sur le long chemin de la vie d’un Pierrot d’aujourd’hui, inapte à séparer le cœur du sexe que nous emmène Pierre Lacroix.

Du nid protecteur de sa mère à la découverte, très tôt, trop tôt sans doute, de la mort, le voici, de la naissance à ses dix-sept ans – « à l’âge où, dans la rue, tous les représentants du sexe que l’on aime vous donnent envie de les déshabiller et de leur faire l’amour » – avec, pour conjurer ses frayeurs et ses questionnements, les dernières paroles de sa mère comme talisman. Autour, il y a la ferme où il a grandi, la ville où il étudie et où il se confronte aux autres, les saisons, la montagne immense, omniprésente, les animaux … mais surtout tout un monde secret construit de livres, de films, de chansons apprises par cœur, et puis, un jour, comme on allume la lumière après être resté trop longtemps dans le noir, l’apparition d’un professeur pas comme les autres.

Car « dès son apparition, comme on dit d’un Marlon Brando qu’il crève l’écran, il creva le tableau et l’estrade » … il leur apprendra que « tous les êtres ont une fatalité de bonheur » et leur ordonne dans le même instant : « Vivez tout ce qui piaffe en vous, même si pour le vivre vous passez par de mauvais chemins et de mauvais sentiments. »

Entre-temps, il aura découvert les coups de ceux qui n’aiment pas les garçons qui aiment les garçons, mais aussi, sous les lampions d’un bal de village, au travers d’un chanteur qui larmoie sur Les mots bleus, cette chaleur qui lui permet d’affirmer : « Il avait bandé, il avait saigné pour un vrai garçon. Il n’était plus puceau. »

Dans la classe, Pierrot est fasciné par celui dont il a découvert le prénom, Erwan, un prénom qui ne fait qu’ajouter au mystère qui, petit à petit, les lie, avant que ce ne soient les mots de Montaigne : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

Et puis, « un jour d’automne, la peau souple et moirée d’un pantalon de daim, patiné à la braguette, transgressa bien trop loin l’interdit de vie du corps et surtout du sexe qui pèse sur tout professeur au travail, et mit le feu à la rumeur : le prof était pédé ! ». Dès cet instant, Pierrounel ne put lire ce vers de L’union libre : « Ton sexe d’algue et de bonbon ancien », sans qu’il se mît « en filigrane sur ce vers écrit pour une femme, le gros plan de la bosse un peu luisante et patinée d’un pantalon de daim » …

Mais cet amour naissant et non encore partagé aura-t-il une chance de survivre dans cet univers rude où tout semble immuable ? Pierrounel n’a pas dit son dernier mot.

TELS QUELS magazine 280, Bruxelles, décembre 2009, p. 33.

Dans TELS QUELS (novembre 2009), Les 100 ans de la mort de Renée VIVIEN

Renée Vivien disparaissait il y a tout juste un siècle, le 18 novembre 1909, à l’âge de trente-deux ans. La commémoration du centenaire de sa mort est l’occasion de rendre hommage à une écrivaine dont l’œuvre fut comparée aux plus grandes auteures du début du XXe siècle comme Colette ou la comtesse de Noailles, ses amies, mais surtout dont l’impact sur l’histoire de notre communauté fut décisif.

Helléniste et revendicatrice de son amour des femmes, celle que l’on appellera la « Sappho 1900 », se fit disciple de la dixième muse. Dans un premier temps, elle récoltera les odes et les vers qui ont traversé les siècles et en proposera le recueil et une nouvelle traduction, mais ensuite, celle qui s’était déjà essayée à la poésie (« Études et Préludes », « Cendres et Poussières »), fera revivre, sous sa propre plume, trempée des émotions de la Mytilénienne, la strophe saphique (construite sur 3 vers de 11 pieds et un vers de 5 pieds). Quel plus bel hommage donc que ce « Sapho » publié en 1903 ! Ouvrage qu’elle signe pour la première fois de son prénom entier (jusque là sa signature de R. Vivien rassurait la société machiste de l’époque).

( …)

Autour de ce travail littéraire, elle construit un véritable mythe fondateur de la culture lesbienne, lui donne ses codes, ses symboles, sa couleur aussi, le violet. Et, comme le précise Marie-Jo Bonnet en préface des « Kitharèdes », « On ne dira jamais assez l’importance de la culture quand on se découvre un cœur et un corps aimant à contre-courant ou de manière marginale ». Avec sa compagne Natalie Clifford-Barney, elle tient salon et, à l’image de la poétesse antique, s’entoure de jeunes filles pour leur apprendre l’écriture et la musique, elle voyage en Éolie, à Lesbos, imagine les pèlerinages à Éressos, lieu de naissance de l’idole, part à la découverte des autres poétesses de l’antiquité et les traduit à leur tour. Bien plus, elle agrémente ses ouvrages de notes biographiques et de commentaires aussi précieux pour découvrir qui sont ces femmes, que les traductions elles-mêmes.

C’est avec un profond respect de l’œuvre originale et des notes essentielles sur la vie et le travail de rené Vivien que les éditions ErosOnyx nous proposent une réédition de son œuvres en trois volumes.

TELS QUELS magazine 279, Bruxelles, novembre 2009 (p. 19).

Vu de BELGIQUE dans TELS QUELS

EROSONYX, une nouvelle maison d’éditions gayes et lesbiennes

Une info réunie par MICHEL DUPONCELLE

Les maisons d’édition francophones qui se spécialisent dans la littérature gaye ou lesbienne sont rares et, malheureusement, le plus souvent éphémères …
Il est donc important d’en parler et de les faire connaître. Voici EROSONYX, une petite maison perdue dans le Cantal qui propose à la fois – et c’est une originalité qui lui donne toute sa valeur – des auteurs contemporains, mais aussi des rééditions de livres cultes de notre littérature, devenus introuvables.

[ …]

UN CATALOGUE

Comme évoqué plus haut, EROSONYX a édité, dès à présent, une série d’ouvrages qui rassemblent des modernes et des anciens.

Côté anciens, et cela tombe bien avec la L-week qui approche, ils nous proposent une réédition assez complète des œuvres de Renée Vivien dont je vous parlais en mai. Malgré l’importance originelle de l’œuvre de cette poétesse, dans la constitution, au changement de siècle précédent, de toute la mythologie lesbienne et de ses symboliques, ses ouvrages se trouvaient quasi introuvables aujourd’hui. Voilà une lacune de comblée.

EROSONYX publie, en trois volumes, un ensemble assez complet de ses poèmes et de ses traductions des fragments de l’œuvre de sa muse, la dixième, Sappho, ainsi que d’autres poétesses grecques, le tout agrémenté d’introductions et d’études ( certaines réalisées par Renée Vivien elle-même ), notamment l’intéressant avant-propos de Marie-Jo Bonnet, dans le troisième, où l’historienne des femmes montre bien l’importance du travail de la « Sappho 1900 » dans le développement culturel du mouvement lesbien et dans la constitution de ses mythes et de ses symboles, le mauve, les voyages à Eressos, le paktis ( la harpe inventée par Sappho) …

[ …]

Au rang des modernes se trouvent, notamment, des auteurs gays dont nous avons pu vous parler comme Pierre Lacroix ( l’auteur de « Bleus » paru aux éditions « Les Mauves » de Geneviève Pastre ) ou un nouveau venu sur lequel je reviendrai, Yvan Quintin, qui nous présente, d’une part, un recueil de six nouvelles érotiques, « Fleur de chair », d’autre part, un recueil de récits mythologiques dont le thème central se trouve être l’amour des garçons, « Mythologie gayment racontée ».

TELS QUELS Magazine 278, Bruxelles, novembre 2009 (p. 16 et 17)

Du Luxembourg

LA PIE QUI CHANTE

La voix des gays, des lesbiennes, des bis et des transgenres du LUXEMBOURG

Adresse : Rosa Lëtzebuerg a.s.b.l.

60, rue des Romains

L-2444 Luxembourg

htpp:// www.gay.lu

dans son numéro 1, année 11, janvier-mars

salue, sous la plume de Marc Grond la naissance d’ErosOnyx Éditions dans le Cantal

Merci à LA PIE QUI CHANTE de nous faire entrer dans ses colonnes !