STAND (2014) de Jonathan Taïeb

Ce serait déjà tout à l’honneur de Jonathan Taïeb de nous rappeler, à l’époque du « mariage pour tous » en France et dans vingt autres pays du monde – selon Wikipedia au jour où sont écrites ces lignes -, qu’on tabasse à mort les gays russes, surtout depuis qu’a été promulguée en Russie, sous l’impulsion de Vladimir Poutine, en juin 2013, une loi punissant tout acte de « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles devant mineur », loi qui est vite devenue un véritable appel au meurtre et un véritable outil de déculpabilisation pour une homophobie radicale à l’œuvre en Russie bien avant 2013.

Le film évoque de loin au début et reconstitue plus en détails à la fin une scène de passage à tabac qui pourrait bien se terminer par un crime. Cette scène, Jonathan Taïeb, comme des milliers d’internautes, l’a vue se dérouler pour de vrai dans une vidéo diffusée sur un site russe, vidéo approuvée par des foules de “likers”. Ce choc fut l’idée de départ de son film pour alerter l’opinion internationale sur la banalisation de cette barbarie insoutenable et pourtant encouragée par la loi russe de juin 2013.

Dans le film, dans un paysage de taïga enneigée, quatre hommes d’âge mûr et sans masque barbouillent de bleu le visage d’un jeune homme et lui défoncent de coups de poings et de pieds le visage, le crâne et le corps. Il faut savoir que le bleu, au début du XXe siècle, était la couleur liée aux homosexuels, en fait un bleu très raffiné, puisque le mot “golouboï” qui les désignait avec une élégante ironie teintée de mépris semble venir de “goloub”, le pigeon, par référence à la couleur gorge-de-pigeon, faite d’un mélange de bleu ciel, de rose mauve, de violet et de gris… Mais on est loin de ce raffinement proustien avec les homophobes assassins de la Russie contemporaine montrés dans le film Stand, puisque la tête de la victime y est passée à la peinture bleu cru. Un bleu troué de sang. Un corps et un visage bourrés de coups.

Déjà pour son militantisme, il faut voir ce film tourné clandestinement en Ukraine, à Kharkov et dans ses environs, à quelques kilomètres de la Russie, avec une équipe des plus réduites. Les lieux ni les dates n’étant jamais précisés, cette Russie devient en fait une terre universelle et intemporelle qui justifie la phrase de Jonathan Taïeb prononcée lors d’une interview donnée au magazine Qweek, en décembre 2015 : « Malheureusement, des homophobes violents, il y en a partout. » Projeté au Festival Chéries-Chéris en novembre 2014 à Paris et dans les festivals LGBTQ les plus renommés, partout où il était projetable, le film a reçu le soutien d’Amnesty International, est sorti en salle à Paris au printemps 2015 un peu fugacement et confidentiellement mais le voilà, depuis novembre dernier, disponible en DVD chez Épicentre films, distributeur cinéphile et hardi, à citer et encourager, au même titre que Carlotta, Outplay, Wild Side, KMCO, Blaqout, Shellac… sans oublier Potemkine et peut- être quelques autres. Comme le dit le visuel du DVD de Stand, ce film est d’abord un film coup de poing contre la haine et il fallait oser le tourner là où cette barbarie est commise régulièrement et impunément à visage ouvert !

Mais Stand ne vaut pas seulement par sa militance percutante. Il a aussi le troublant pouvoir de ne pas nous laisser tranquilles avec cette seule révélation – déjà atroce en elle-même – que, sous certains homophobes, se cachent des assassins en puissance et en attente de lois qui puissent donner à leurs crimes impunité et même vanité de les commettre. Stand invite le spectateur consentant à une réflexion sur les enjeux de l’engagement moral et politique, les voies diverses de la prise de conscience d’un crime légalisé, la répercussion de cette prise de conscience sur notre rapport avec les autres, et tout particulièrement avec l’autre dans le cadre du couple. L’engagement est-il compatible avec la solidarité et l’amour partagé ? Ne nous voue-t-il pas à la solitude ? Pour reprendre le jeu de mots d’Albert Camus – jeu de mots qui n’est pas une pirouette pour éluder la question – dans une des nouvelles de L’exil et le royaume, l’engagement véritable ne nous oblige-t-il pas à être constamment en péril, tour à tour solidaire et solitaire ?

Stand commence dans le feu de l’action : Vlad et Anton sont en voiture quand ce dernier, derrière la vitre, aperçoit une scène de violence que la caméra, de l’intérieur du véhicule, laisse off, mais que l’on devine aussi terrible que celle, in, à laquelle la caméra nous fera assister à la fin du film. Un choc contre la carrosserie, au début du film, sonne comme un appel au secours. Anton hurle à Vlad qui est au volant de s’arrêter mais Vlad a ses raisons de préférer s’éloigner. Et pourtant Vlad n’est pas un lâche : quand le couple des deux garçons apprendra qu’une agression commise dans leur ville s’est achevée par la mort à l’hôpital d’un jeune homme, sans qu’on puisse connaître ni les coupables ni le motif du meurtre, le couple fera immédiatement le lien avec le souvenir tout frais de la bagarre qui ouvre le film. Vlad se lancera avec la même ardeur qu’Anton dans l’enquête qui pourrait seule délier les langues et faire éclater l’unique motif homophobe d’une mort aussitôt frappée d’omerta. Même la mère de Nikolay, la victime, se mure dans un chagrin qui a sa part de honte, comme si son fils avait mérité son sort dans une Russie redevenue aussi crapuleuse que l’URSS des purges et des camps au temps de Staline, avec aujourd’hui l’approbation de l’église orthodoxe.

La prise de conscience de cette crapulerie ne se fait pas de la même manière chez les deux hommes : on pourrait la dire plus intellectuelle chez Vlad, plus instinctive chez Anton, plus cérébrale chez le premier, née en plein cœur chez le second, comme montée de ses tripes. Ainsi va s’insinuer au fil du film et de l’enquête dans le froid d’une ville triste – déjà oppressante en elle-même – un autre poison, intime celui-là, le poison d’un mépris qui va croissant, le mépris d’Anton à l’égard de Vlad. Le clin d’œil à l’ouverture du film de 1963, Le Mépris, de Godard, avec son fameux blason érotique de Bardot demandant à Piccoli s’il aime telle ou telle de son corps qu’elle détaille de la voix pendant que la caméra les caresse, ce morceau d’anthologie, Jonathan Taïeb nous en donne une brève version garçonnière, en nous laissant contempler, dans une lumière tamisée également mais en plan fixe, la nudité d’Anton couché comme Bardot sur le ventre et posant une ou deux questions semblables à Vlad. Or, ce clin d’œil n’est pas que cinéphilique. Anton, progressivement, pris dans l’étau d’une obsession et d’une culpabilités diffuses, rejeté par son père, incapable de la distance pourtant lucide de Vlad, en vient à vouloir passer à l’action directe, au besoin d’infiltrer le milieu homophobe avec un micro fixé à même la peau. Son isolement progressif le coupe de plus en plus de Vlad, sans pouvoir le lui dire, pour ce qu’il ressent comme la lâcheté de la scène d’ouverture. La quête d’Anton devient de plus en plus solitaire même si l’on voit Vlad, assailli d’angoisses devant la détermination suicidaire d’Anton, le seconder comme il peut. Un mépris longtemps refoulé se glisse entre eux.

Lors d’une fête où il s’est saoulé pour enterrer ou libérer ses démons, Anton lance au visage de Vlad qui vient de le rejoindre : « Je ne peux plus continuer comme ça. Tu comprends, tu as tué un homme ». Vlad lui répond par un coup de poing en pleine figure mais rien n’est exorcisé. Au contraire, Anton avance dans son labyrinthe intérieur où l’entraîne un étrange besoin de mise au clair et de sacrifice mêlés. Le choix des deux acteurs est d’ailleurs éloquent : le visage d’aventurier tatar d’Anton tranche avec la beauté slave de Vlad, plus sage, même s’ils ont en commun le feu clair de leur yeux. Jamais Taïeb ne souligne, ne clarifie, dans ce film souvent nocturne où la caméra titube et s’agite, portée par le metteur en scène comme Anton porte son micro, dans l’anonymat d’une mission secrète à accomplir. Taïeb nous laisse libres d’aller jusqu’où nous voulons dans un mystère psychologique aussi dense, dans la tête d’Anton, que la noirceur sociologique d’une ville où le luxe de quelques hôtels côtoie la misère qu’Anton vit et assiste dans son travail d’aide ménager pour personnes âgées, une ville dont la jeunesse est fascinée par l’Occident, menacée aussi par de noires filières du crime comme celle qui se met petit à petit en place dans Stand. On est loin de la tolérance qui a prévalu en Russie dans les années 1990 et 2000, quand le public français voyait des films de Pavel Lounguine qui pouvait encore dénoncer la montée de groupes fascistes à Moscou dans son Luna Park (1992) ou encore la dictature d’Ivan le Terrible dans le somptueux tableau de l’horreur qu’est Tsar (2009). On frémit d’ailleurs de se demander ce que l’ordre policier qui se met en place peut réserver à cet Eisenstein de la Russie d’aujourd’hui.

Anton, avalé par son propre gouffre, veut se jeter dans la gueule du loup et accepte la proposition d’Andrey, garçon mystérieux dont nous découvrons dès le début du film qu’il en est la voix off (visiblement gay comme Anton qui lui avoue pendant un dîner en tête à tête : « Le désespoir, c’est d’être gay en Russie », mais le vivant tout autrement : « … et moi, j’avais du recul sur ce qu’il me disait ». Cet ange noir a été vaguement informé de la « quête » d’Anton par une amie commune, Katya. Il sent son « âme égarée » et accepte d’ « apporter une pierre à son édifice », d’être « le messager qui le relie à son destin ». On nous montre sans l’once d’une réprobation la vertigineuse dualité de ce gay qui va se révéler pourvoyeur d’appâts pour les tabasseurs de pédés. Et Anton consent à être un de ces appâts pour savoir comment fonctionne le piège et ressentir aussi le calvaire des victimes, non seulement il y consent mais il désire l’ordalie. Il n’a peur de rien, Jonathan Taïeb, ni de semer les énigmes dans son film qui est un puzzle de plus en plus organisé et passionnant au fil des visions, ni de déplaire aux militants manichéens de la cause gay. Comme Alain Guiraudie avec L’Inconnu du lac, il explore des gouffres devant lesquels on reste béants et un homo avec sa caméra peut devenir Virgile dévoilant à Dante les arcanes des Enfers de la réalité.

Et l’on reste avec ses questions, avec la peur de leurs réponses. Quel motif profondément enfoui a pu pousser Anton à devenir la proie volontaire des quatre monstres à visage découvert de la fin du film, à affronter le calvaire en une sorte de Christ profane qui a dit un jour à Andrey : « … ils ne m’auront pas, même s’ils me tuent » ? Comment Andrey, visage franc et écharpe rouge, qui conduit Anton sur les lieux du supplice et lui crie « Cours ! » quand les écorcheurs se montrent, a-t-il pu se faire doublement complice, d’Anton bien sûr comme la voix off nous y prépare, mais des criminels aussi qui le laissent filmer la scène pour qu’elle devienne sur le Net une ce ces “safari parties” qui font leur gloriole ? On rejoint là le point de départ de l’idée du film : qui a pu filmer la vidéo de la Toile sans crainte d’être inquiété ? Un simple complice des homophobes qui n’aurait peut-être pas pris le risque de les filmer à visage découvert, par crainte d’une enquête même de moins en moins risquée après la loi poutinienne de juin 2013 ? Ou un hallucinant stratège du milieu gay qui a vu – dans la double complicité périlleuse avec les bourreaux et une victime consentante pour des raisons à jamais complexes – un moyen de mettre des images à la portée des internautes du monde entier, de ceux qui se régalent de l’horreur filmée pour de vrai mais aussi de ceux qui pourront prendre conscience et donc réagir ?

Réagir comme Taïeb qui tient à la fois d’Anton et de Vlad, de la blessure à vif du spectacle du crime, comme s’il l’avait vécue dans sa chair et voulait la faire vivre à son public dans la longue scène de chasse et d’acharnement de l’avant-dernière scène du film, mais aussi de la réflexion plus distanciée qui permet d’organiser l’existence périlleuse d’un film incroyablement culotté, tourné à la barbe des bourreaux et montré dans des pays où les droits de l’homme ont encore un sens. On est face à un film de militant et d’artiste à la caméra constamment inventive : par exemple dans la toute dernière scène, la caméra est dans les yeux d’Anton, elle passe du knock-out sur des croûtes sanglantes de neige à un très lent redressement qui tient de l’exploit, et se fait dans la solennité vigoureuse de l’ouverture du Tannhäuser de Wagner, musique qui nous saisit après un film sans musique, résurrection d’adolescence vive pour échapper au silence de la mort frôlée et permettre à Anton ce qu’il n’arrivait pas à faire avec Vlad : « stand », « se mettre, se tenir debout » !

Pierre LACROIX février 2016

CONNAISSEZ-VOUS ULRIKE OTTINGER ?

Connaissez- vous Ulrike Ottinger ?

Née en 1942 en Allemagne, sur les bords du lac de Constance, elle fut peintre et photographe à Paris dans les années 60. Puis elle se lança, au début des années 70, dans une prolifique et ahurissante carrière de cinéaste charnelle autant qu’intellectuelle, dont nous retiendrons ici trois films où apparaît Delphine Seyrig, maîtresse de cérémonie le plus souvent : Freak Orlando (1981), Dorian Gray dans le miroir de la presse à sensation (1983) et Johanna d’Arc of Mongolia (1988), dernier film de la carrière de l’inclassable actrice française disparue trop tôt en 1990.

Chaque film d’Ottinger nous convie à un voyage où il faut nous défaire des conforts du réalisme et de la raison. Qu’elle nous invite à Freak City où défile, devant Orlando/Orlanda (interprété/e par Magdalena Montezuma), une kyrielle de monstres qui traversent les siècles et passent de la malédiction à un gigantesque bal de kermesse, ou bien qu’elle nous invite à entrer dans les secrets d’une presse à sensation qui manipule les foules fascinées par la vie tumultueuse d’un/d’une Dorian Gray androgyne (interprété/e par le top model Veruschka von Lehndorff, au genre si ambigu) ou encore qu’elle nous entraîne dans les wagons somptueux du Transsibérien, puis du Transmongolien où Lady Windermere (interprétée par Delphine Seyrig), ethnologue, tient un salon d’élégances fin-de-siècle, tout en exquises conversations, succulences culinaires et spectacles décadents de music-hall berlinois, avant que les voyageuses ne tombent entre les mains d’amazones de Mongolie, aussi fabuleuses que raffinées, chaque film d’Ulrike Ottinger est un voyage en fantasmagories.

Cirques de monstres truculents, décors urbains industriels ou intérieurs, tous transfigurés par des éclairages dignes des fêtes foraines du Prater, théâtres ouvrant leurs rideaux sur de vivants paysages réels, contes de fantaisie pour adultes où se côtoient humains et animaux, hermaphrodite, sœurs siamoises et gays bardés de cuir, dogues dalmatiens conduits par des nains nus à la peau assortis au pelage de leur chien, princesses en habit de perles rouges perchées sur des chameaux seigneuriaux, bacchanales queer que les autorités religieuses ne parviennent jamais à exorciser, royaumes d’artiste où se construit un nouvel ordre sexuel, où s’abolit la frontière entre féminin et masculin, on n’en finirait pas de recenser le somptueux caravansérail de la démiurge Ottinger. Ses plans sont construits en tableaux vivants où l’artifice le plus délicat rencontre les paysages grandioses et vierges du désert, de la steppe, des rouleaux de vagues… On admire le luxe des détails – étoffes des costumes, coupes de mets rares flottant sur l’eau d’une fontaine, maquillages époustouflants d’élégance ou de bizarrerie. Laideur et beauté sont ici consubstantiels. C’est vraiment à une révolution des règles politiques, morales, sexuelles et esthétiques que l’on assiste, à chaque lente et longue cérémonie que propose un film d’Ulrike Ottinger.

Pourquoi vouloir mettre de l’ordre dans le désordre baroque ? Serait-ce risqué de proposer comme clefs de l’univers ottingerien une enfance passée de l’autre côté du miroir grâce au cinéma, les fantasmes d’un désir en permanente révolution et le triomphe enluminé d’une toujours vivifiante ”nymphocratie” ?

François Nozières, septembre 2015

Les films d’Ulrike Ottinger ne passent malheureusement pas en salles ni ne sont disponibles sur DVD. Mais on trouvera dans le commerce ou en ligne le DVD de La nomade du lac ( 2013) documentaire-portrait de l’artiste, réalisé par Brigitte Kramer, disponible en version allemande avec sous-titres français.
Bientôt peut-être, chez ErosOnyx, un livre accompagné du DVD d’un des trois films avec Delphine Seyrig ?

Voir aussi à la rubrique « Événements » l’hommage rendu à Ulrike Ottinger et Delphine Seyrig par le Centre Simone de Beauvoir le 1er décembre 2016.

Coup de coeur des bibliothèques de la Ville de Paris

Nombre de toiles du célèbre peintre Gustave Caillebotte (1848-1894) représentent des corps masculins nus, hommes à leur toilette, rameurs canotant sur la Seine ou ouvriers en plein effort. Ce roman explore les mystères d’une personnalité d’artiste complexe, qui inventa le « modernisme » en peinture. Sa fusion avec son frère Martial sera troublée par une passion homosexuelle avec l’inventeur du… négatif photographique.

Gustave découvrira l’envers inconscient de son art et finira par assumer une bisexualité épanouie, vivant conjointement avec sa maîtresse et son amant, dans une haute société parisienne Fin de siècle fascinée par toutes les expériences nouvelles, autant que terrorisée par tout scandale de mœurs.

Un roman passionnant, qui reconstitue l’effervescence artistique du temps, entre vastes appartements haussmanniens, régates à Argenteuil et débats passionnés entre Monet, Degas, Renoir et les frères Caillebotte au Salon des Indépendants.

Jacques Astruc

IMITATION GAME, à voir

CONTE CRUEL

Au début du XVIIème siècle, Galilée fut persécuté par le Saint-Office (nom élégant du Tribunal de la Très Sainte Inquisition, hystérique émanation de l’Église catholique romaine) pour avoir démontré ce dont Copernic avait eu l’intuition : le principe de l’héliocentrisme (c’est la Terre qui gravite autour du Soleil, non l’inverse, comme le soutenait l’Église). Galilée, tendez l’oreille, fut contraint de se rétracter.
Mais c’était il y a quatre cents ans, piafferont les obstinés, qu’ils soient savants ou innocents ! Tout cela est révolu !
Que ces obstinés fassent l’effort de se documenter. Ils découvriront qu’au XXème siècle, dans un royaume situé en Europe, un esprit brillantissime, un génie aux dires de tous, fut poussé au suicide par le système politique et moral en place. Le pape n’y était pour rien, cette fois, mais peut-être que l’Église anglicane ne valait pas mieux. Avait-il mis en doute que les dynasties royales fussent de droit divin ? Même pas. Son seul crime était d’être homosexuel.
Le film émouvant et captivant, Imitation Game, de Morteh Tyldum, d’après le roman d’Andrew Hodges, sorti en France en janvier 2015, retrace un épisode de la vie de ce fameux mathématicien, Alan TURING (1912-1954), qui mérite le double titre de héros et de martyr.
Née de sa seule intelligence, une machine a permis de décrypter Enigma, le code secret utilisé dans leurs transmissions par les Allemands, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est admis que cette invention d’Alan Turing a permis d’écourter la guerre de deux ans au moins. Imaginez combien de victimes furent épargnées grâce à son génie mis au service de l’Humanité.
Il faut voir dans l’aboutissement de ses travaux les prémices de l’informatique moderne.
Bien sûr, penserez-vous, un tel homme fut couvert d’hommages, de décorations, on lui décerna même un prix Nobel et le monde entier lui fit honneur. Eh ! bien, non, la réalité fut tout autre : en 1952, il fut condamné pour homosexualité et le verdict lui laissa le choix entre la prison… et la castration chimique.
On comprend mieux, sans doute, pourquoi la Grande-Bretagne conserva pendant cinquante ans la contribution de Turing au décryptage d’Enigma comme secret d’État.
De quoi avait-elle le plus honte ? Que l’un de ses grands hommes, un savant, ait été homosexuel, ou qu’elle l’ait condamné avec barbarie ?
Alan Turing se prêta à la castration chimique qui lui était imposée, mais il n’a pas tenu le coup. Il opta pour la voie du suicide en mordant, semble-t-il, une pomme imprégnée de cyanure. L’histoire de Blanche-Neige, en somme, version drame, où la sorcière s’appelle, s’appelle… l’opinion publique, ou quelque chose dans ce (mauvais) goût-là. La reine lui accorda en 2013 la grâce officielle, son « pardon « , à titre posthume. Soixante et un ans après la condamnation, c’est un délai bien long pour prendre conscience d’une telle monstruosité. Perfide Albion !

N’en déplaise aux esprits chagrins qui ne supportent pas l’idée qu’il revienne à un homosexuel d’être pionnier en matière d’intelligence artificielle – l’ordinateur, pour faire simple – le logo de la firme Apple (une pomme dans laquelle on a mordu) trouverait ici son explication. Que ceux qui n’y croient pas en proposent une autre… La pomme de Newton peut-être ?
Si telle en est bien l’explication, il est capital que ce symbole perpétue la mémoire de l’une des nombreuses victimes de l’obscurantisme.

Un dernier trait, pour caractériser Turing et montrer qu’être un génie des mathématiques n’empêche pas d’être sentimental : un camarade d’école lui a inspiré une amitié très vive alors qu’il n’avait que quinze ans. Le garçon mourut trois ans plus tard de tuberculose, il s’appelait Christopher. Turing baptisera de ce nom la machine qu’il inventera par la suite.

Pour conclure, même si, en apparence, les attendus ne sont pas les mêmes, je ne crois pas inutile de citer ici des noms comme ceux de Julian Assange, Edward Snowden et Chelsea Manning (qui portait le prénom masculin de Bradley, au moment des faits qui lui sont reprochés). Ils sont ce que l’on appelle des lanceurs d’alerte, autrement dit des bienfaiteurs de l’Humanité. Pourtant celle-ci ne se soucie aucunement de leur sort, et laisse un système fondé sur une autorité arbitraire les écraser et les condamner à vivre en reclus, exilés.
Faudra-t-il aussi attendre soixante et un ans pour que leurs mérites soient reconnus ?

Un film à voir, parce qu’il donne à réfléchir !
Le film est sorti au Québec sous le titre Le jeu de l’imitation.

Alain Stœffler, qui croit toujours aux contes de Fées.

« Le Banquet d’Auteuil », de Jean-Marie BESSET, où l’on retrouve les gaillards libertins du roman de Claude PUZIN « Vies, Errance et Vaillances… « 

Nous sommes en 1670, Molière a 48 ans. Comédien, auteur, metteur en scène, directeur de troupe, il est installé à Paris depuis 1658 et connaît le succès à la Cour et à la ville. Mais la faveur royale ne le protège pas des rumeurs hostiles, surtout après le scandale du Tartuffe quelques années auparavant. N’a-t-il pas été accusé d’inceste en épousant Armande Béjart, en 1662, puisque Madeleine qui a été sa maîtresse, passe pour la mère d’Armande et que lui-même serait son père, aux dires de certains ? Armande, née en 1642 probablement, n’a que 28 ans au moment de la pièce. Jeune, coquette, volage elle excède Molière dont en outre la santé se dégrade. Les deux époux se disputent souvent et Molière préfère se retirer dans une maison à Auteuil.

Jean-Marie Besset choisit de nous montrer un Molière qui, recherchant alors le calme, voudrait aussi se consoler dans les bras de Michel Baron, jeune comédien de 17 ans, qui revenu de sa longue fugue, lui est revenu, espère-t-il. Molière est tout heureux de l’héberger, comme il héberge un ami de longue date, Chapelle – Louis-Emmanuel Luillier de son vrai nom – âgé de 44 ans au moment de la pièce, un ami de longue date, fêtard, libertin. Jean-Marie Besset n’évoque que de loin dans sa pièce le trio que Chapelle forma avec Savinien Cyrano de Bergerac et Charles Coypeau d’Assoucy, trio infernal connu pour ses mœurs et ses débauches. C’est là le sujet du roman de Claude Puzin, Vies, Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin. Ces deux personnages, Cyrano et Dassoucy, sont présents dans le groupe que Chapelle a invité à un banquet chez Molière. Cyrano est mort, depuis 1655, à 36 ans, mais voici qu’il revient de l’au-delà, d’entre les morts, et son fantôme facétieux se joint à la joyeuse troupe. Les conversations, les discussions, abordent des sujets divers, frôlent parfois les vives querelles de jalousie artistique et littéraire, provoquées par la vanité de l’un, l’amour-propre de l’autre, l’ambition d’un troisième tandis que le libertinage de tous ces invités ne peut s’empêcher de moquer la passion jalouse de Molière pour le jeune Baron. Dassoucy (qui a 65 ans au moment de la pièce) est accompagné de son ancien page Pierrotin qu’autrefois en Italie le duc de Mantoue lui enleva pour faire de lui un castrat : effectivement nous entendons Pierrotin chanter sur scène, non sans talent. Allusion est faite aux désagréments tels que les rapporte Claude Puzin, et que connut le trio Chapelle-Dassoucy-Cyrano, pour cause de débauche, de blasphème et de sodomie. Dassoucy fit même de la prison à Montpellier : «... en quelques jours, de poète et musicien, je devins non seulement faquin, pitre de quintaine, mais encore sorcier, magicien, satyre, garou, incube...» ( Claude Puzin, p. 44) et plus tard à Rome, pour les mêmes raisons. Tous les personnages, à l’exception de Molière, sont dans la pièce de fervents pratiquants de l’amour des garçons. Molière, lui, par amitié se tait, tout à son inquiétude amoureuse pour Baron.

Conversations animées, en particulier sur les mérites physiques des plus jeunes convives, amants des uns ou anciens amants, ou en passe de le devenir pour d’autres jusqu’au moment où apparaît dans un rayon de lune le fantôme de Cyrano de Bergerac. C’est à son initiative que nos convives décident d’organiser une « disputation » pour décider qui, du danseur (le « Turc » qui accompagne Lully, 20 ans), du bretteur (le chevalier de Nantouillet, 29 ans) et du comédien (Baron, 17 ans) a le plus de charmes… fessus. Molière préfère se retirer pour aller se coucher, mais ne peut empêcher que son protégé, réclamé à grand cris par ses amis, participe à ce Jugement de Pâris masculin. L’enjeu oblige les trois concurrents désignés à se dévêtir pour ne montrer d’abord que leurs fesses. Puis ce sera le nu intégral. Régal pour les yeux de nos convives mais, avouons-le, aussi pour les nôtres. C’est Baron, le comédien, qui l’emporte après avoir récité la mort d’Oreste et de Pylade, d’après un passage de Cyrano lui-même, pendant que les deux autres, sur la suggestion de Dassoucy, ont mimé « ces deux valeureux guerriers ». Cyrano dans son rayon de lune de lui dire : « Monsieur, merci. Vous nous avez charmé au point que votre art a somptueusement paré votre nudité. J’abandonne mon favori pour donner mon suffrage à votre partie charnue. »

Le libertinage, l’inquiétude amoureuse de Molière, la liberté des conversations, l’ébauche et même la naissance sur scène à partir d’une pièce de Cyrano, Le Pédant joué, de la comédie qui, sous le titre Les Fourberies de Scapin, verra le jour en 1671, la langue dans le style de l’époque mais sans affectation aucune ni pastiche, le spectacle de la nudité, avec une grande aisance, de trois des acteurs, le jeu des uns et des autres, jeunes et moins jeunes, la qualité littéraire des dialogues… tout cela contribue à faire du Banquet d’Auteuil une pièce qu’il faut voir.

« L’homosexualité est au cœur du sujet », déclarait dans une interview lors de la création de la pièce à Montpellier en 2014, Jean-Marie Besset, auteur de plus de vingt pièces déjà. Pièce sur l’amitié, sur l’amour, sur la création dramatique, sur la liberté des mœurs de chacun (liberté des mœurs comme on dit « liberté d’expression », n’est-ce pas ?), sur la vie, sur la mort tout aussi bien (Cyrano est mort assassiné, Molière allait mourir trois ans plus tard)… Molière gay ? Et pourquoi pas, malgré les grimaces des grincheux et des critiques effarouchés. « Il ne suffit plus aujourd’hui de mettre trois hommes « la quéquette à l’air » sur une scène pour faire d’un spectacle une pièce d’avant-garde. » écrit Jacques Paugam. Sans doute, mais primo Besset n’a pas cherché à écrire une pièce d’avant-garde, secundo « trois jolies quéquettes » et les corps qui vont avec, sont agréables à regarder, et puis aujourd’hui, en période de régression des mœurs malgré les apparences, il faut peut-être savoir aussi oser et provoquer, voire choquer les cagots et les bigots, tout comme dans les années 70.

N’oublions pas notre propos ! Cette pièce vient à point nommé relayer sans l’écarter le moins du monde, le roman de Claude Puzin, Vies Errances et Vaillances d’un Gaillard Libertin. Une pièce à voir, oui, un livre à lire. Le texte est aussi disponible aux Éditions H&O Théâtre (2015, 12 €).

Le Banquet d’Auteuil se joue jusqu’à 25 avril au Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, dans la distribution suivante : Antoine Baillet-Devallez (Pierrotin), Félix Beaupérin (Baron), Grégory Cartelier (le chevalier de Natouillet), Romain Girelli (le marquis de Jonsac), Hervé Lassïnce (Chapelle), Alain Marcel (Cyrano de Bergerac), Jean-Baptiste Marcenac (Molière), Quentin Moriot (Osamne-« Alessandro »), Frédéric Quiring (Lully), Dominique Ratonnat (Dassoucy). Musique originale de Jean-Pierre Stora.

Avec le soutien de Yagg.com et France-Culture.

LA VIE D’ADELE : chapitres 1 et 2 (il serait temps !)

La Vie d’Adèle : Chapitres 1 et 2.

Titre abrégé La Vie d’Adèle, une production belgo-hispano-française écrite, produite et réalisée par Abdellatif Kechiche, 187 minutes. Sortie en DVD le 26 févier 2014.

Sorti en salle le 9 octobre 2013 en France, en Belgique et au Québec, le film a reçu les plus hautes récompenses cinématographiques dont la plus remarquable est la Palme d’or à Cannes, décernée à l’unanimité. Relevons aussi le « Prix du meilleur espoir » et celui du « »Meilleur film en langue étrangère », dans le cadre du « Critics’ Choice Movie Award », récompense décernée aux meilleurs films étrangers par le jury de la Broadcast Film Critics Association depuis 1996. Si le film est revenu bredouille des Oscars 2013, il a en revanche, le 17 décembre 2013, obtenu le Prix Louis Delluc (décerné depuis 1937), considéré comme le « Goncourt du cinéma ».

Inspiré de la bande dessinée (on dit aujourd’hui « roman graphique ») Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, ce long métrage est vite devenu célèbre par son sujet audacieux, par sa qualité artistique, le choix et le jeu des acteurs principaux, de ses deux comédiennes principales d’abord, mais aussi par la polémique très vite suscitée par les déclarations de celles-ci, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux, la plus virulente. Le réalisateur s’est même dit « humilié et déshonoré » par les propos de cette dernière. Pourtant les conditions du tournage que Léa Seydoux a prétendu « horribles » les scènes de sexe très explicites (bien que simulées) et jusqu’aux accusations de harcèlement auquel les deux actrices auraient été soumises, n’ont pas éclipsé le mérite et le succès du film. Le verdict du public, lui, a été plus que favorable. « Beau », « émouvant », « magnifique », parfois « un peu trop long », cela rassure ainsi que les 270.000 entrées en cinq jours. La critique, ne se laissant pas abuser par la polémique, n’a pas tari d’éloges non plus, « ode à la vie, à la jeunesse » pour Metronews, un chef d’œuvre selon Télérama, « époustouflant » selon Les Inrocks , « une sublime histoire d’amour » pour Le Point, « un très grand film » selon Libération… On ne saurait tout citer, et c’est du côté de ces éloges que nous nous rangeons, parce que La vie d’Adèle est effectivement un très grand et très beau film. Il est long, il dure trois heures, et à aucun moment on ne s’ennuie. Ajoutons cependant, pour être honnête, que la critique n’a pas été unanime. Éric Neuhoff, par exemple, sur Le Figaro en ligne, descend le film avec une complaisance toute… de droite. De sa critique ne citons que ces lignes : « Kechiche filme avec un Pialat sur la langue. Ce naturalisme pataud, ces images saturées de quotidien, ce réalisme exponentiel n’exigeaient peut-être pas une triple palme d’or à Cannes. » Mais respectons la liberté d’expression et parlons du film.

De quoi s’agit-il ? De la vie d’une adolescente (Adèle Exarchopoulos dont c’est le premier rôle au cinéma), élève de Première, qui rêve du grand amour, convaincue à son âge que ce grand amour ne peut être qu’un garçon. Elle pense l’avoir trouvé en rencontrant Thomas, mais c’est Emma (Léa Seydoux qu’on connaît surtout depuis La Belle personne de Christophe Honoré), une jeune femme aux cheveux bleus, jeune femme libérée, une artiste, qui lui fait prendre conscience que c’est pour les filles qu’elle a une attirance. C’est Emma qui incarne les désirs et les rêves les plus intimes d’Adèle. Apprendre à s’affirmer en tant que femme qui aime les femmes et devenir adulte, voilà ce que nous raconte et nous montre le film de Kéchiche, sans fausse pudeur, sans chercher aucunement à choquer, mais dans la seule intention de dépeindre la vérité du sentiment et du désir. C’est bien une éducation sentimentale, à la fois réaliste et romantique, une histoire d’amour fou, à laquelle assiste le spectateur, l’histoire des commencements de l’amour, toujours si beaux, mais aussi celle des doutes, de la jalousie, de la rupture, de tout ce qui bouleverse une vie quand on aime et surtout quand on aime hors des sentiers battus, hors des normes et des préjugés.

C’est là où tout gay, je veux dire tout homo, pour restreindre l’emploi de ce mot au sexe mâle, se retrouve aussi dans ce film. Quel adolescent en effet ne se croit pas, ne se sent pas, surtout, a-normal, différent, mal dans sa peau, quand, au lieu d’aimer une fille de son âge, de rechercher l’attention et les faveurs d’une camarade, il a éprouvé de l’attirance pour un camarade de sa classe ? quand, au lieu d’admirer telle ou telle actrice à la grande beauté, il rêve secrètement de James Dean ou de Brad Pitt ou bien, s’il est sportif, de Jean Galfione, Christophe Lemaître ou du footballeur Yoann Gourcuff ? Le film touche le public justement par sa justesse de ton et d’analyse. À aucun moment, alors que la salle était comble, je n’ai pour ma part, dans un grand cinéma parisien, entendu la moindre protestation, la moindre moquerie, la moindre réprobation dans les termes injurieux que l’on ne connaît que trop, hélas. C’est dire ! et si nombre de lesbiennes ont réprouvé ou méprisé ce film, sous le prétexte, entre autres, qu’ « il n’y avait aucune lesbienne sur le plateau », on ne peut que le regretter. L’intolérance est malheureusement de tous les bords. Scènes de sexe ridicules, dit une lesbienne américaine, non réalistes dit une autre, et une troisième de déclarer qu’elle se s’est jamais endormie sur les fesses de sa partenaire ! « Deux femmes qui s’emboîtent, voilà une image classique de la pornographie lesbienne réalisée par les hommes», a renchéri l’auteure d’un blog culturel lesbien. Eh oui, c’est là où le bât blesse : le film en effet a été réalisé par un homme. Alors, aurait-il fallu reprocher au film Le Secret de Brokeback Mountain, dont a fait un parallèle de La vie d’Adèle, d’avoir été réalisé par Ang Lee qui, autant qu’on le sache, n’est pas gay ? Quant au reproche fait au film qu’il n’est pas « vrai » dans ses scènes de sexe, simulées, rappelons-le, laissons répondre Catherine Breillat, quand à la même objection elle répliquait : «… ça n’a aucune importance que ce soit vrai ou faux, l’important c’est que ce soit du vrai cinéma. »

Du vrai cinéma, c’est assurément la qualité du film de Kéchiche. Sous-tend le thème de la lutte des classes ‒ Adèle et Emma n’ont pas la même origine sociale, chez l’une on se régale de spaghetti bolognaise, chez l’autre d’huîtres, chez l’une on ne présente pas sa rencontre à ses parents comme son amoureuse, chez l’autre on le fait sans gêne aucune dans une famille à l’esprit ouvert et gay friendly, l’une, Emma qui est artiste peintre reproche à Adèle qui sait écrire de ne pas exploiter ce talent en artiste, la première est une artiste intellectuelle, la seconde veut devenir institutrice. Mais les images, et d’abord les gros plans, frappent davantage le regard. En rapport avec le titre de la bande dessinée bien évidemment, il y a le bleu une première fois évoqué, j’allais dire suggéré, lors des baisers, après l’expérience amoureuse ratée avec Thomas, entre Adèle et une copine dont les ongles sont bleus. Mais surtout ce bleu dont Emma se colore les cheveux, et qui colore les scènes d’amour, avec l’éclairage à la bougie, couleur chaude du plaisir et de la volupté, des soupirs et des râles. Les baisers passionnément échangés sont filmés en gros plan non pour exciter le spectateur hétéro ou la spectatrice lesbienne, mais pour rendre au plus près la peau, les lèvres et en même temps l’émotion, exprimer à la fois la sensualité et le cœur. Notons au passage que la sensualité n’est pas seulement charnelle, c’est aussi celle de la nourriture, de la gourmandise même. La vie et l’amour à pleine bouche !
Adèle est jeune, elle a quinze ans, c’est en étudiant Marivaux (La Vie de Marianne) en classe qu’elle découvre ce qu’est le coup de foudre que le hasard d’une rencontre lui fait ressentir peu après dans la vie réelle. Car la littérature est bel et bien présente dans le film. Marivaux et la sensibilité du côté d’Adèle, Sartre, l’existentialisme et la cérébralité chez Emma, artiste pourtant.

Et finalement c’est peut-être parce que s’opposent la passion amoureuse et la différence de classe entre les deux héroïnes, parce que le cœur domine chez l’une et l’esprit chez l’autre, que s’insinue lentement dans cette belle histoire d’amour, née d’un coup de foudre, le lent poison de la rupture. Emma finit par exposer dans une galerie, Adèle qui est invitée au vernissage, très mondain comme il se doit, est devenue institutrice. Leurs chemins se sont séparés. « A ceux qui n’ont ni rang ni richesse qui en imposent, il reste une âme, et c’est beaucoup. » De qui est-ce ? De Marivaux, dans La Vie de Marianne. Et c’est là la vie d’Adèle.

EXPOSITION DE PHOTOS AU BONHEUR DU JOUR

1963 : de grands élèves de l’école de Salem, proche du lac de Constance, en Allemagne, pris sur le vif par Will McBride et dans leur intimité partagée, dans la salle d’eau. Cette école située dans un château existe toujours.

Ces photos toutes inédites, sauf une qui est très connue, n’ont jamais été montrées ni publiées. Exposées dans la galerie, elles seront pour la première fois proposées à la vente.

Photographe connu pour ses reportages, Will McBride, né à Saint-Louis (Missouri) en 1931, est décédé tout récemment, le 29 janvier 2015. Après ses études d’art à l’Université de Vermont, où il a suivi les cours de Norman Rockwell, puis à la National Academy of Design de New-York, Will McBride a complété sa formation artistique à Syracuse University of New York. Il a vécu à Chicago jusqu’à son départ pour l’Allemagne en 1953. C’est en tant qu’officier qu’il photographie les militaires de la caserne de Würzburg avant de s’installer à Berlin.

Devenu photographe indépendant à partir de 1959, ses photos ont connu de nombreuses publications dans Life, Stern, Quick, Twen, Geo, Look et Paris Match.

La série d’œuvres que présente la galerie Au Bonheur du Jour est intitulée : « Salem Suite », série de photographies de scènes intimistes.

Un livre en a été édité par Koll and Friends. On peut le trouver à la galerie.

Galerie Au Bonheur du Jour, Nicole Canet 11 rue Chabanais 75002 Paris.
Tel. : 01 42 96 58 64. Du mardi au samedi 14H30 –19H30.

http://www.aubonheurdujour.net/McBride.htm

NOUS SOMMES CHARLIE

Nous sommes Charlie !

Xavier Bezard est l’auteur du dessin ci-dessous, à droite. Auteur du roman Gustave paru le 16 mars 2015 chez ErosOnyx éditions, il est photographié ici devant la mairie de Cosne-sur-Loire le jeudi 8 janvier 2015.

ALATA (Out in the dark)

Alata (Out in the dark)

Sortie en salles : le 22 mai 2013.

Le titre en hébreu, et proposé en anglais entre parenthèses, signifie « Obscurité ». Le bref commentaire du réalisateur en donne l’esprit du film : « Même dans les heures les plus sombres, tant qu’il y a de l’amour, il y a de l’espoir ». Il s’agit en effet d’une histoire d’amour sur un fond ténébreux de violence et d’oppression, le conflit israélo-palestinien. Nimer, étudiant palestinien de Ramallah, qui vient en clandestin à Tel-Aviv depuis dix ans, rêve de partir pour l’étranger afin d’y connaître des jours meilleurs. Dans un bar gay, un soir, il rencontre Roy, jeune avocat israélien. Ils tombent vite amoureux l’un de l’autre. Nimer est alors confronté à un cruel dilemme : rester en Israël avec celui qu’il aime ou poursuivre son rêve d’aller vivre ailleurs ?

Mais la cruauté n’est pas celle-là seulement, c’est aussi et autant celle de la réalité sociale et politique : la communauté palestinienne à laquelle il appartient rejette son identité, rejet qui par homophobie peut aller jusqu’au meurtre, tandis la société israélienne ne reconnaît pas sa nationalité. Services secrets, chantage, complot terroriste, rejet familial, enfermement, crime de sang constituent la trame de ce drame qui emprunte au thriller le suspense de sa fin. Fin ouverte : Nimer a une chance de fuir les siens qui le rejettent et la terre qui refuse de l’accueillir. Réussira-t-il et Roy pourra-t-il le retrouver ?

Le titre se justifie d’abord par la situation dramatique de Nimer, qui pour survivre doit faire face à une double menace. « No exit » (titre anglais de Huis-clos de Sartre) pourrait en anglais être un autre titre. Mais la lumière du film, à partir de sources naturelles, le justifie tout autant et les gros plans de visages rendent plus émouvante encore pour le spectateur l’histoire d’amour, peut-être sans avenir, de ce jeune couple à la Roméo et Juliette. Se cacher, échapper à la police pour pouvoir s’aimer fait du coup de ce film un film politique. Où est la Terre promise quand s’aiment un Israélien et un Palestinien ?

PLAISIRS ET DÉBAUCHES AU MASCULIN 1780-1940

PLAISIRS ET DÉBAUCHES AU MASCULIN 1780-1940
Parution le 31 octobre 2014

Signature du livre le mardi 4 novembre de 17 à 22 H

Photographies, documents, dessins inédits.
336 pages – 275 illustrations couleurs. Édition limitée à 950 ex., Relié
Textes d’Etienne Cance et de Nicole Canet Éditions Galerie Au Bonheur du Jour
ISBN 978-2-9532351-8-0

Tournons avec bonheur les pages de ce livre, et découvrons un large éventail de plaisirs et de débauches. Voyons, au fil du temps et sous divers climats, comment les jeux de l’amour et les fantasmes érotiques sont représentés par les artistes. Long rêve éveillé qui, tel un voyage d’amour, nous fait partir de l’Europe pour nous conduire jusqu’en Perse et en Chine.
Luxure et créatures gracieuses, corsetées et parfumées dans les aquarelles inédites d’Arthur Chaplin réalisées en 1888 ; les orgies dionysiaques dessinées avec fougue par Hildebrand ; excès et fantasmes d’écrivains, poètes et dandys, à la réputation sulfureuse qui ont pour noms : Jacques d’Adelswärd-Fersen, Jean Lorrain et Oscar Wilde ; ouvrages d’Andréa de Nerciat dont les gravures illustrent les sujets les plus licencieux, chers aux libertins du 18ème siècle.

Photos clandestines représentant l’homosexualité la plus débridée…, tels sont, d’ailleurs, les thèmes abordés dans cet ouvrage dédié aux plaisirs.

Galerie Au Bonheur du Jour, Nicole Canet
11 rue Chabanais
75002 Paris
Tél. : 01 42 96 58 64

Email : canet.nicole@orange.fr
Du mardi au samedi de 14h30 à 19h30
Site : http://www.aubonheurdujour.net
Page de présentation du livre : http://www.aubonheurdujour.net/Plaisirs_et_debauches.html